11/05/2014 Voyager en pantoufles

Une journée pour écrire à l'aveuglette, à partir d'éléments contenus dans une enveloppe mystérieuse...
C'est une journée pour partir en voyage sans quitter son siège.



Texte de FRANCINE :


J’ai survolé les monts et les mers. J’ai vogué avec le vent et me suis enroulée dans les volutes blanches des nuages. Accompagnée des lumières qui fusent dans les cieux, j’ai rejoint la terre d’Arnhem, le vieux sanctuaire, non loin de l’île de Bathurst, de l’autre côté de la mer d’Arafura.
Dans ce grand désert de sable, terre de mes ancêtres, comment imaginer une forêt lorsqu’on est né sur une terre sans arbre ?
Pour mon repos éternel, je devais capturer l’essence divine qui s’échappe à la rosée des arbres gigantesques, là où les koalas, sentinelles des portes de la vie, se languissent des festins promis.
Au loin un rythme cadencé envahit les huttes des villages de bois. Le feu qui purifie s’élève dans la nuit. Le groupe d’aborigène commence ses danses ancestrales. Le corps peint des signes rituels, ils appellent les divinités de la forêt. Leurs muscles bandés luisent sous les lueurs orangées. Les bâtons de pluie chantent. Les enfants regardent tétanisés les grimaces terrifiantes qui chassent les âmes mortes. Les geckos des sables se glissent sans bruit. La lune monte dans le ciel…
Je survole ce paysage, m’imprégnant des odeurs chaudes. Bientôt la rosée se déposera, l’effluve suave des feuilles d’eucalyptus sera enfermé dans les perles roses. Je m’enivrerai  de leur senteur délicate.
Loin au-delà de la canopée, enfin rassasiée et apaisée je pourrai rejoindre le cercle de mes ancêtres et m’étendre pour l’éternité sur cette terre de légendes.

Le soir, à la veillée, les femmes préparent le frugal repas composé de baies des buissons d’acacias et de cochons grillés. Les enfants sucent leurs doigts englués de miel des mille  fleurs de la contrée. Les hommes se mettent en cercle les pieds nus, pour rendre hommage à leurs dieux en une danse vibrante et rythmée. Les vieux musiciens s’asseyent près du feu, qui pinçant la corde tendue sur un morceau de bois, qui scandant le pas sur un tam-tam de fortune confectionné dans un tronc d’arbre. Des didgeridoos portés à leur bouche sèche un long sifflement transperce les ténèbres.
Tous en chœur, ils entonnent un chant mystique, dont les paroles s’élèvent dans les flammes qui dansent sous la voute céleste protégeant la terre d’Arnhem.

Dhuru oh dieu des dieux,
 Maître des destinées
Avec toi je me lèverai
Avec toi je marcherai
Dhuru oh dieu des dieux
A la chasse vainqueur je serai
Du gibier jamais ne manquerai
Dhuru oh dieu des dieux
De ton bras nous protègeras
De l’adversaire tu vaincras
Hou hou ham ham
Hou hou ham ham
De la force tu nous donneras
Les portes de l’éternité tu nous ouvriras…..

La musique se meurt en mélopée lancinante.
Les voix se perdent dans la nuit. Les âmes apaisées se lovent et s’étalent sur l’immensité du peuple aborigène, réunies dans leur quête de plénitude, confusion de la nature et des hommes. Sagesse millénaire, héritage de nos fils. Les dernières flammèches s’envolent telles des lucioles en liberté.


Je peux enfin me reposer.



Texte de SUZANNE :




VOYAGE EN MONGOLIE


Il est 6 heures,  Goki quitte silencieusement la yourte familiale, un sac en peau de yak sur l’épaule. Les premières lueurs de l’aube sont à peine visibles. Le froid est glacial, mais sa  pelisse et son chapeau doublés de renard, le protègent des morsures du vent. Sont accrochés à sa ceinture, son fidèle lance pierres ainsi qu’une gourde remplie du lait de la dernière traite.
Aujourd’hui est un grand jour, celui du début de son voyage initiatique, qui fera de lui un homme. A 17 ans, il doit apprendre à vivre seul, quitter le cocon familial, découvrir le monde, les autres, mais surtout partir à la découverte de lui-même, savoir ce dont il est capable. Le but ultime de son voyage est de ramener 6 baies d’or provenant de l’arbre vénérable « l’Uruburi » qui pousse sur les pentes du Mont Pobeda.
Des hauts plateaux sur lesquels se trouve le campement familial, il distingue de l’autre côté du fleuve Indiguirka, la tête chenue coiffée de neiges éternelles du Mont Pobeda, qui culmine à 3003m d’altitude. Il lui paraît tout près mais…
De ses  longues jambes élastiques, il descend allègrement en direction de la plaine de la Kolyma. Un sourire étire ses lèvres en pensant à sa famille, ses parents qu’il vénère et son petit frère et sa petite sœur qui étaient encore endormis dans les bras l’un de l’autre sous la peau de yak quand il est parti.
Le soleil qui émerge derrière lui, éclaire peu à peu la montagne. Il lui faudra d’abord atteindre la plaine de la Kolyma, traverser le fleuve qui se jette en un vaste estuaire dans la mer de Sibérie Orientale, avant de gravir par la face ouest le Mont inaccessible par les autres versants.
Au fur et à mesure de sa descente, la chaleur se fait plus intense. Lui qui est depuis toujours habitué à chevaucher parmi la steppe rase des hauts plateaux, foule maintenant de ses pieds une végétation plus dense, avec de belles prairies d’herbe drue, parsemées d’arbrisseaux.
Goki aperçoit un jeune berger qui garde un troupeau de chèvres au poil long et fourni. Il décide de le rejoindre pour faire une pause. Les deux garçons se sourient et vont s’asseoir au pied d’un arbre, où ils partagent une galette que Goki tire de son sac, tout en regardant paître les chèvres. Tous deux communient dans le même plaisir simple de la nature qui leur est offerte. Nul besoin de paroles. Paix et sérénité emplissent leurs deux cœurs. Puis Goki explique que son but est encore lointain et qu’il doit reprendre sa marche. Il repart heureux de cette première rencontre.
En fin de journée, les muscles endoloris,  il arrive un  peu exténué au bord du fleuve Indigarka. Celui-ci à cet endroit, est impétueux. Il bouillonne, crache de l’écume, tel un large torrent. Le bruit est assourdissant. Aucun moyen de le traverser. Goki décide de trouver un endroit protégé pour passer la nuit. Demain il descendra le long du fleuve, à la recherche d’un gué. Trois arbres lui offrent de leurs rameaux entrelacés, un abri suffisant pour sa première nuit  solitaire. Il accompagne les deux dernières galettes que sa mère avait cuites la veille sur le feu de bois, d’un peu de lait, avant de se coucher en chien de fusil. Le grondement du fleuve Indiguirka berce ses rêves de découvertes et de conquêtes.
Le lendemain, il repart le ventre vide, mais reposé. Une dizaine de kilomètres plus loin, le fleuve forme une boucle. Son cours s’est apaisé, brisé par de nombreux rochers. Goki choisit de traverser à cet endroit. Bottes nouées autour du cou, il se glisse dans l’eau glacée. Sur l’autre rive une surprise l’attend, un poisson gît, coincé entre deux rochers. Son prochain repas est assuré… Il repart en chantonnant la berceuse que lui chantait sa mère pour l’endormir :
Dors, dors, dors mon petit Goki,
Ton pays c’est la Mongolie,
Pour tracer ton chemin tu as toute la vie,
Ne  crains rien, aie confiance, tout est écrit.

Un coup de vent rageur, soulève la poussière et balaie ses pensées.
Enfin arrivé au pied du Mont Pobeda, il pressent que le vrai chemin, l’aventure ne font que commencer. Tête renversée, il suit des yeux la minuscule sente qui sinue entre les arbres, avant d’entamer la progression difficile. Mais rien ne lui fait peur, il est jeune et vigoureux.
Les paroles du  Chef du campement la veille de son départ,  lui résonnent encore à l’oreille :
 « Mon petit, tu ne trouveras l’Uruburi , que si ton esprit est à la fois éveillé et ton cœur apaisé ».
Le jeune homme écoute le bruissement des branches. Les arbres le protègent du froid, mais en même temps l’enserrent, l’étouffent. Lui qui ne connaît que les grandes steppes ouvertes à tous les vents, se sent soudain emprisonné.  Au fur et à mesure de l’ascension, la pénombre s’intensifie. Goki entend les cris des oiseaux nocturnes qui se répondent  lugubrement. Un peu effrayé, mais courageux, il poursuit toutefois sa marche. Son cœur bat la chamade, tous ses sens sont aux aguets et ses mains crispées sur le lance pierres. Il se répète en boucle la berceuse de son enfance :
Dors, dors, dors mon petit Goki,
Ton pays c’est la Mongolie,
Pour tracer ton chemin tu as toute la vie,
Ne  crains rien, aie confiance, tout est écrit.

Arrivé à mi- pente, il débouche tout à coup dans une clairière inondée de lumière, par le disque argenté d’une pleine lune à son apogée. Après autant d’effort, troublé, ému par une telle beauté, il lève les bras au ciel dans un geste d’offrande, le cœur soudain apaisé.
Puis il s’assoit au pied d’un immense résineux. Son regard se porte inconsciemment sur un minuscule arbuste très épineux, dont les feuilles miroitent dans la clarté lunaire. Il s’en approche à pas lents et remarque au milieu des  feuilles, des boules d’or qui pendent de ses branches. Il vient de découvrir enfin « l’Uruburi » et cueille 6 baies qu’il enferme précieusement dans son sac.


Demain, il repartira vers les siens, riche de ce trésor. Dans trois jours, devant tout le campement rassemblé, il croquera les 6 baies, pendant la cérémonie qui immortalisera son entrée dans l’âge adulte.

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