07/01/2014 LA VIE MATERIELLE

Quand Marguerite Duras écrit "La vie Matérielle", elle nourrit le projet d'un livre de lecture, sans commencement, sans fin et sans milieu. Un livre proche de l'écriture confiera t-elle.

Nous piochons dans ce livre notre proposition d'écriture du jour :

Il y a ceux qui gardent et ceux qui ne gardent rien. Ceux qui s'encombrent d'objets et ceux qui aiment s'en débarrasser.

Et vous, que gardez-vous, ou ne gardez-vous pas ?
Voilà de quoi travailler la figure d'accumulation !



Texte de MARIE-HELENE :


J’ai toujours accumulé les objets. Souvenirs de voyages, souvenirs d’enfance, souvenirs bonheur, souvenirs d’errance.
J’ai conservé les boutons dans une boite en fer rouillé. Il y avait les rouges, les bleus, les nacrés, les transparents. Mais jamais aucune veste, aucun chemisier, aucune jupe ou pantalon ne les a accueillis. Ils étaient là, témoins d’une mode ancienne ou d’une taille cruellement dépassée.

Les livres et les revues de cuisine, les classeurs de recettes écrites à quatre mains avec ma mère trônent sur une étagère avec les fiches sur lesquelles se prélassent de somptueux gâteaux glacés, alléchants et sucrés. Pour faire bonne mesure je conserve les cuillères en bois, bombées, plates, longues, courtes, brûlées, cassées, les louches, les fouets, les moules en plastique, en terre cuite décorée, les moules à manquer, les moules à tartes. Comme de savoureuses promesses de longues tablées endimanchées et joyeuses.

Mes étagères débordent de mes souvenirs de voyages. Statuette poussiéreuse en bronze, bucheron en bois poli, attrape rêves amérindien,  galets d’une plage endormie, bâtonnets d’encens cachés dans un plumier nacré, tasses estampillés au nom d’une ville, d’un monument, d’un pays. Et le nez plongé dans les volutes parfumées d’un café, je m’envole dans un voyage imaginaire pour la frénésie d’une avenue New Yorkaise, les senteurs exotiques d’un lagon ou le calme d’un lac coréen.

Mes tiroirs secrets recèlent les cartes d’anniversaires tendres, chantantes, les cartes de vœux pailletées, pétillantes, les photos jaunies, les papiers déchirés, les numéros de téléphone sans nom, un vieux cahier, une histoire inachevée.

Tous ces objets sont les petits cailloux semés sur la route du passé. Chacun marque une étape sur le planisphère de la mémoire. Ils sont les murs porteurs de la maison vie, ils rassurent le présent, ils ouvrent la porte des chemins à venir et incertains, ils éclairent les ombres, ils dénouent la paralysie des heures tristes. Au fil du temps ils me sont devenus indispensables et encombrent les cartons de tous les déménagements. Mais je ne m’en séparerai jamais car ils sont moi.  




Texte de FRANCINE :


En cherchant divers papiers sur l’étagère du cellier, j’ai déniché une vieille boîte à chaussures close par une ficelle usée.
Je l’ai prise délicatement entre les doigts, je l’ai secouée, puis les souvenirs ont afflué à ma mémoire. Très doucement je l’ai ouverte et y ai redécouvert mon trésor.
Dedans sur un lit de feuilles en décomposition, j’y ai trouvé un cahier à la couverture délavée, un vieux porte-plume avec sa plume sergent major, une boîte en carton avec cinq plumes dont une aux dents écartées, quelques buvards tachés et une orange piquée de clous de girofle.
Ce cahier, je l’ai caressé tendrement, puis les yeux humides, je l’ai ouvert. A la première page, en plein milieu, encadré par une fresque de couleur rouge et jaune dessinée maladroitement, il y avait une image 10 x 15 fixée à la colle blanche. Elle représentait une plage avec un palmier et le soleil dans le coin en haut à droite. Puis les pages suivantes, deux par deux, les images racontaient ma scolarité en primaire.
En cours préparatoire, il y avait les images de la vie courante : la ferme, le tracteur, le facteur, l’épicerie, l’école, le thé de cinq heure, le repas de famille …..
Puis le cours moyen, avec la préhistoire, les dinosaures, nos ancêtres les gaulois, l’art grec, les pyramides, les romains et les thermes, …..
Enfin le cours élémentaire, où les images étaient plus modernes et les thèmes plus sérieux : les métiers, la recherche et les pays du monde avec leur population et les costumes traditionnels.
Sous chaque image, quelques liges qui décrivaient ce qu’elle représentait, avec mes mots, mes yeux et mes ressentis de petite fille.
Le cahier était presque rempli de ces images qui démontraient une  studieuse et disciplinée. Toute mon enfance à l’école de Caluire, du temps où j’étais jeune et insouciante, confiante et ignorante de la vie. Ces images étaient ma fenêtre ouverte, mon rêve éveillé, ma liberté.
Combien de fois l’ai-je feuilleté ce cahier ! Que d’histoires me suis-je raconté, inventant des personnages, des situations, des voyages merveilleux, des rencontres inoubliables……

Un soupir m’a soulevé la poitrine, puis j’ai reposé le cahier, refermé la boîte. Je l’ai poussée au bout des étagères et j’ai essayé de reprendre le cours de ma vie.


Texte de SUZANNE :


Souvenirs, souvenirs…


Rejet de mon enfance peut-être, j’ai jeté ou donné tous mes jouets, ma dinette de porcelaine, mes balles, ma corde à sauter, ma chère trottinette, premier véhicule m’autorisant une certaine liberté de mouvements, mes poupées défigurées, y compris la plus jolie qui ne m’était accessible qu’à titre exceptionnel, car trop fragile. Seul rescapé de ce tri volontaire ou imposé, un poupon mal aimé, avec lequel je n’ai quasiment jamais joué, qui m’avait été offert par ma marraine, alors que je souhaitais ardemment une bicyclette et qui délaissé, traîne encore dans un vieux coffre.

Je n’ai conservé aucun de mes dessins d’enfants, à l’exception de ceux que j’adressais régulièrement à mon frère aîné parti au loin et qu’il m’a restitués après mon mariage.

Aucune trace de mes vêtements de petite fille, disparus  probablement lors de déménagements… J’ai toutefois conservé quelques années, une jupe longue noire moirée, confectionnée en un après midi par ma mère pour mon premier bal, mais elle aussi j’ai fini par la donner…

Adulte, dans les jours précédant mon mariage, je me suis délestée auprès d’une jeune voisine, de tous les objets qui avaient quotidiennement partagé mes années d’adolescence : électrophone et l’essentiel de mes disques vinyles, les affiches représentant mon idole, ou celles de l’époque.  J’ai détruit mes poèmes écrits dans des moments d’enthousiasme ou de mélancolie, mes cahiers de lycéenne et d’étudiante, à l’exception de mon rapport de stage de B.T.S qui a échappé à cet autodafé et m’a suivie dans mon nouveau statut social. Je tournais la page et faisais le vide de tout ce qui avait précédé.

Une fois mariée, j’ai continué, faute de place, de goût, de poids indiscipliné jouant les ludions,  à opérer un tri régulier dans ma garde robe. Je m’effeuillais sans regret, ni tristesse. Même ma tenue de mariée : robe courte, manteau, canotier et escarpins aux talons vertigineux n’a pas échappé à la sélection, pour rejoindre les vêtements à donner.

Toutefois, il y a une chose dont il m’a toujours été viscéralement impossible de me défaire, ce sont les livres, les beaux bien reliés, les moins beaux lus et relus. Certains livres de poche de mon adolescence sont entassés dans un meuble que je n’ouvre jamais, mais je sais qu’ils sont là et que 40 ans plus tard, je peux encore les en extraire pour satisfaire mon plaisir de lecture.

Il m’est également impossible de me séparer de tous les objets qui concernent l’enfance de ma fille, à savoir l’intégralité de ses dessins de maternelle, la trace de tous ses mots d’enfant, quelques uns de ses vêtements que je préférais et bien sûr sa bibliothèque enfantine que je redécouvre avec plaisir en faisant la lecture à mon petit fils.  Si elle-même a conservé la centaine de cartes postales que je lui ai adressées tout au long de ses études supérieures, je préserve jalousement, ses quelques lettres ou petits mots chargés d’amour.

Un secrétaire de ma mère reçu en héritage,  ainsi que ma table de nuit, recèlent pour moi bien d’autres trésors, des témoins de mon enfance, tels qu’un échange épistolaire entre mes parents, leur livret de famille, leurs permis de conduire et  cartes d’identité, ainsi que les cahiers de santé des cinq chats qui ont partagé notre existence, mais aussi des courriers, lettres ou cartes postales de parents ou d’amis très chers, vivants ou disparus, écrits dont la teneur me touche et l’écriture manuscrite m’émeut,  alors que j’envoie à la poubelle sans remords, après les avoir lus, tous les courriers dont le texte est insignifiant à mes yeux.

Actuellement, les mails ont remplacé les lettres manuscrites. Je continue à saturer mon ordinateur de ces messages précieux caressants ou réconfortants, de ces transferts de pensées philosophiques et de paysages saisissants envoyés par des amis.

Bien sûr, après avoir rempli des dizaines d’albums de photos de nos voyages, de notre fille, de nos amis, photos dont la couleur s’est parfois éteinte ou rosie, je continue à cumuler ces centaines de photos virtuelles de nos enfants et petits enfants, des films qui nous permettent de les voir grandir.

Si je me défais facilement d’objets que j’ai achetés et dont je me lasse, il ne m’est pas possible d’effectuer ce geste avec des cadeaux qui m’ont été offerts du fond du cœur. Pour moi, leur valeur n’est jamais marchande mais affective.

Suffisamment détachée des biens matériels pour intégrer un couvent, il ne m’est toutefois pas possible de me séparer de ceux que j’aime et de leurs preuves d’amour.



Texte de JOËLLE :


Il  y a ceux qui gardent et ceux qui n'aiment pas s'encombrer, je ne pensais pas faire partie de l'une ou de l'autre de ces catégories, mais à la réflexion...
j'ai au fond d'un placard cette boite pleine de cartes postales, bien sur très utiles comme "marques-pages". La réalité, c'est qu'elles m'apportent le rêve, alimentent mes projets et programment mes vacances. Petits bouts de carton brillant, images comiques, paysages inertes, aux phrases insipides et mille fois répétées, gestes d'amitié, elles sont pour moi ces quelques secondes ou la pensée d'un être a essayé de se raccrocher à la mienne, mais aussi trace de l'écriture d'un cher disparu.
Mèches de cheveux dans une enveloppe jaunie, serrée entre les pages d'un album photos, dents de lait inutiles précieusement gardées dans une petite boite en attendant la petite souris, premiers dessins des premiers âges, sont une multitude de petits souvenirs qui me rattachent par un fil imaginaire à leur enfance...à ma jeunesse.
Bien sur les photos. Celles récupérées dans les greniers, positions raidies,  visages jaunis, souvent inconnus, noms oubliés; les albums de voyages, les photos d'enfants, des repas de famille...toutes les traces de mes bonheurs, de mon histoire, bien rangées sur l'étagère de ma bibliothèque. Il m'est impossible de me séparer de ces images, qu'elles soient troubles, ratées, en double, non je ne peux pas les éliminer, j'aurai l'impression de jeter une parcelle d'humanité.
Collection d'éléphants de petite taille et de formes originales, santons de Provence, souvenirs de voyage et tous ces ramasses poussière auxquels je ne pensais pas mais bien là pour le plaisir de mes yeux... "tu te rappelles? tu te souviens?" petits fils blancs des souvenirs que je tricotent pour mes vieux jours.
Pourtant, le plus étrange ne se trouve pas là, mais au fond d'un grand coffre en bois. Elles sont là, inutiles, usées, râpées, trouées, ajourées et même parfois mangées par les mites, toutes ces couvertures qui ont partagées ma vie de femme.
Parfois, je me demande si dans une autre vie je n'ai pas subi les morsures du froid.








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