02/12/2013 La ronde des consonnes

Personnifier l'alphabet, quelle drôle d'idée !

En s'inspirant du goût des mots de Françoise Héritier, nous allons nous interroger sur notre perception des consonnes, minuscules et/ou majuscules.

Quelle qualité morale peut bien avoir le G ?
Quel goût a le M ?
Quelle musique s'échappe du w ?
Quelle odeur a le B ?
Quelle est la couleur du J ?


Texte de MARIE-HÉLÈNE :

B  a la bonhomie d’un bonbon rose et blanc, il s’enlace pour des bisous baveux, il a le son du basson

C  est charmant et joyeux, il s’accoquine sans scrupule avec ses copines consonnes, câlin il s’élance sur une cédille et au son du clairon il cajole le ciel, nimbé du bleu de la liberté

D est dévoué, ventripotent, orgueilleux, il danse au son d’un diapason doré comme un melon

F est flamboyant, orange il crépite dans une fragrance de fraises et danse comme un feu follet au son des fifres et des flûtes de pan

G est un gentil gnome au  goût acidulé de la grenade, il a la blancheur maladive de la lune et gratte une guitare grave

M est mou et monotone, il s’entremêle au miel moiré d’un marron glacé et le murmure d’une gourmandise sucrée miam miam

N est un nain au goût de cannelle, fier de n’avoir qu’une jambe, mais entre nous le père Oël et Saint Icholas auraient l’air niais s’il n’avait pas existé

P est un unijambiste pataud, il piétine les pâles pâquerettes dans les prés pour composer une palette pastelle à la  saveur d’un pamplemousse rosé

Q est léger, il est rond comme une queue de pelle mais il sent la pastèque verte, là est toute la question

K est expérimenté, fidèle et âgé, il a la couleur sépia des photos anciennes, il protège sa couvée comme un kangourou au son grave du violoncelle

R a les dents longues mais le souffle court, il a l’amère senteur des roses fanées, il est rouge de colère de ne retenir que les pierres d’une rivière de rêves au roulement d’un tambour

T est un tueur tyrannique et téméraire, il tisse le temps dans un testament sanguinaire, d’un coup de tonnerre il terrorise les témoins de ce théâtre temporaire

J est jeune et jovial, il jubile dans un jardin de jujubes jaunes et jacasse tous les jours avec les jacinthes joufflues en jouant du djembé

V est volage, primesautier, il a la senteur d’une violette, il s’enroule dans les voiles mordorées de la volupté au son du violon



TEXTE DE JOELLE :

B: cri de l'agneau, ventre gonflé de la femme enceinte. B est comme un bébé, soyeux et parfumé.

C: est comme un crochet, acéré et dangereux, un doigt qui pointe et qui accuse.

D: comme un cube que l'on jette, plein de hasard et de promesse. Il est menteur.

F: c'est la félicité, la famille, la fée, mais aussi par ses formes rectilignes, la froideur.

G: Il est gras, il est gros, rebondi et assis, c'est le garage, le repos.

H: il est vache, c'est la hache, méchant.

J: il est ouvert, joie, jeux, amusement, il représente le jour mais peut devenir aussi froid que janvier.

K: c'est un cas, il est froid et sévère fruit d'automne ou chapeau de gendarme.

L: un peu prétentieux, il représente l'envol, l'aile, la dominance, fauteuil au dossier droit il vous martyrise le dos.

M: c'est l'amour, l'amitié, le pont qui aide au passage, ferme et doux à la fois.

N: c'est un imitateur qui n'a pas réussi, qui a raté sa croissance, il contient de la haine.

P: il est sonore, c'est le père, le pouvoir, il peut tout, c'est le pape de l'alphabet ou la pipe de papa.

Q: mal placé il est à la queue, un peu paresseux, il quête, il quémande, il se pose toutes sortes de questions, il ne sait pas.

R: c'est le rêve, le roman, l'imaginaire, parfois tendre, parfois raide, il ne se retrouve pas lui même, alors il erre.

S: c'est un sot, il est seul, il peut aller haut avec son savoir, mais ses souvenirs l'empoisonnent et le stoppent.

T: c'est un soutien, un toit, il peut aussi être terriblement têtu, alors il se tait.

V: il est du sud, parfumé à l'ail, c'est le vase qui reçoit les fleurs, c'est lui qui précède le WE ou qui annonce la météo.

W: il est électrique et lumineux, il aime les voyages, les sorties, les soirées, il est un peu prétentieux.

X: c'est l'axe, il vous oriente à l'excès et peut  vous perdre, il est vif et plein de gaz.


Z:  c'est le libérateur, le zorro de l'alphabet, il peut zigzaguer ou zoomer, c'est un drôle d'animal, bleu comme l'azur insaisissable comme l'horizon.



Texte de FRANCINE :



b est une montgolfière qui s’élance aux cieux et laisse sa nacelle sur la portée, il est un trémolo qui se meurt ;

m est un nanan sucré qui colle au palais et embaume le chocolat ;

p est pressé, il va de l’avant, sans ménagement. Il est chaud et rouge comme une braise, sonore comme une calebasse ;

c est un ballon crevé. Il est fourbe, tantôt c tantôt s et se glisse en fausse rondeur en fin de mot ;

s donne le tournis. Il souffle le vent et la tempête, jaune comme un turban de soie. Il a le goût du poivron, doux et fort, rond et allongé à la fois ;

d porte son poids sur le dos. Il claque comme une porte. Il est sombre et sourd ;

j est un petit cachottier. Il se pose sur la langue et s’amuse à nous faire zozoter. Il est joyeux, clair et gai ;

f est sérieux, équilibré. Il fait sa loi et gouverne les mots. Il est exclamatif, il est majestueux ;

x le mystérieux, ne sait s’il est rond ou crevé. Il va devant, il va derrière, il est bleu, il est vert. Il sent le vent du large et le rêve éveillé ;

h est indécis. Il ose, il n’ose pas. Il est rose, tendre et timide. Son odeur de thé au jasmin s’élève et plane ;

k suit le h. Il l’entraîne. Il est terre à terre, brutal et direct. C’est un dominateur colérique, fort en poivre ;

r est une blonde qui court dans les prés. Elle se faufile de mot en mot et met de la vie là où elle passe ;

g n’aime pas la solitude. Sa couleur se marie à toutes les autres. Elle prend le goût de sa voisine et se fait douce ou rude selon l’humeur ;

v et w s’amusent, ce sont deux vagues qui moutonnent, vives et légères. Des gouttelettes d’écume blanche, salées et rieuses ;

q est un vieux monsieur bedonnant qui traîne son malheur comme un escargot sa coquille. Il est vert mousse, résonne comme un basson et boîte bas au fond du verger ;

n n’a qu’un jambage. Il essaye de se faufiler, de paraître conséquent. Il chante fort et fait le pitre. Il se prend pour une grande personne mais nul ne se laisse avoir à son truchement ;

t est discret. Le nez un peu en l’air, le bras en avant. Il est solide. Il est le canevas. Il est la référence. Droit, direct et fort comme un chêne ;

l est aérien. Il s’envole, touche à peine terre. Sa voilure est pleine d’étoiles scintillantes. Il est une barbe à papa à la framboise ;

z s’accroche, ne veut pas se perdre. Il est toujours dernier. En retard. Son dos se courbe pour se cacher et se projette en avant d’un bond de gazelle. Il est velours doux. Il est caramel. C’est le petit gentil de l’alphabet.




Texte de SUZANNE : 



B   Balbutiement du bébé devant son biberon, fumet de la blanquette qui mijote en glougloutant, bloup, bloup bloup, blancheur immaculée de la robe de mariée, le « B » est la couleur de la pureté et du bien.

b – Bedaine en avant, le « b » promène d’un air débonnaire cette légère excroissance, témoignage de son goût prononcé pour les bonnes choses,  pour le bien manger, bien boire, bref de son épicurisme. D’un tempérament coloré, son odeur est suave. Il n’est pas bruyant, concentré sur ce qu’il déguste

C – Caverne béante, où l’on peut se réfugier ou mettre à l’abri tous ses biens. Accueillante, protectrice  la lettre « C » est une cavité naturelle qui enserre en son sein toutes les odeurs de la vie. De couleur plutôt sombre, elle résonne pourtant des cris et des rires de ceux qui l’habitent

c  – Rondeur de sa coquille ivoire qui s’ouvre dans un léger clapotis, pour recevoir un parfum de citron et offrir généreusement son joyau

D – Désert doré sans pitié où l’esprit divague sans fin, sans trouver quelque chose à se mettre sous la dent. Le « D » est vorace, il engloutit dans ses dunes toute vie humaine, n’en laissant subsister dans le silence le plus total,  qu’une odeur de poussière

d – Véritable doudou, dont la douceur apaise les peurs de l’enfant, qui caresse en s’endormant le ventre rond du « d ». De couleur délavée, passée, il n’hésite pas à couiner doucement pour interrompre le cauchemar de l’enfant

F – Etendard fièrement brandi en tête de troupe, le « F » rallie à lui les fantassins, les fusiliers ou les flibustiers de tous ordres. Droit, claquant au vent dans un bruit sec, il arbore les couleurs de son groupe

f – Le « f » est un fin filou, qui se faufile partout, sans aucun bruit, véritable feu follet qui apparaît et disparaît au gré de sa fantaisie. Rusé, il est de couleur passe muraille et laisse derrière lui un discret parfum de fleurs fanées

G – Géant, Gargantuesque, grotesque, de couleur rubiconde le « G » engouffre dans sa bouche démesurée qui s’ouvre sur un puits sans fond, des portions gigantesques, qu’il accompagne de grognements de satisfaction, voire d’éructations sonores

g – La glycine grimpe au mur entrelaçant ses branches à l’infini. D’un mauve tendre, presque mièvre, à l’instar de la guimauve elle exhale un arôme douceâtre.

H – Echelle qui fait passer de l’automne à l’hiver, humeur noire dans le faible halo de l’aube, la hulotte lui répond en écho

h – Sa forme en strapontin, lui permet d’être présent ou aspiré. Petit, falot, il est terne et porte l’odeur des séants furtifs

J – Balançoire  accrochée au portique qui se balance joyeusement dans un léger grincement. Elle incite aux rêves bleus quand elle s’approche de l’azur emportant dans son élan la subtile fragrance du seringa

j – D’apparence timide, surmonté d’un point pour la tête, le corps légèrement renversé et pourtant c’est lui qui est à la tête de toutes nos décisions : « je fais ceci ou cela », de tous nos désirs « je veux,  j’ai envie de », de nos émotions « j’aime ou j’ai peur ». Véritable dictateur, il peut se parer de toutes les couleurs, noir s’il déteste, gris s’il est triste, rouge s’il aime, orangé s’il est heureux. De même, son odeur fluctue selon les circonstances

K – Képi kaki vissé sur la tête, visière bien relevée, allure martiale, le  «K » est rigide, il se tient droit, prêt à jouer les kamikazes  dans l’enfer explosif  des bombes

k – D’un beau brun jaune orangé, le « ka  ki» est tout en douceur, voire un peu gluant, poisseux, obséquieux. Il chute mollement du plaqueminier dans un bruit feutré

L – Equerre, le « L » est un soutien. Il indique à la fois la verticalité et l’horizontalité. Il donne la direction, la lumière,  la liberté de pensée, de parole mais aussi d’écriture, dans ces livres où sont réunis côte à côte, les espoirs, les souffrances, les émotions, des hommes qui partagent ainsi leurs idées et leurs valeurs. La lettre « L » a l’odeur du grand large, de l’évasion. Elle sonne comme loyauté et liberté

l – Baguette magique, la lettre « l » minuscule, dirige pourtant l’orchestre, transforme le crapaud en prince charmant. Malgré son apparence fragile, elle propulse les papillons, les oiseaux ou les avions dans le ciel, en direction de la lune. Elle fait preuve de volonté, d’endurance.  Que dire de sa couleur miroitante, brillante ?

M – Majeure de par sa position médiane dans l’alphabet, équilibrée, bien campée  sur ses deux jambes avec un cœur au centre, la lettre « M » rassemble autour d’elle, telle une mère,  toutes les autres lettres. Sa couleur chaude est celle de l’amour, orangée et elle murmure à nos oreilles les plus belles mélodies

m – Moutonnement des vagues sur l’eau qui font le gros dos, ou des brebis qui se pressent l’une contre l’autre en bêlant,  miaulement apeuré du chat, murmures des amoureux seuls au monde, gémissements de protection contre les autres, désir de transparence, d’invisibilité

N –  Palindrome vertical, tout comme le  « Z » dans l’autre sens, le « N » est buté. Il s’oppose à tout. Il rejette dans le néant, tout ce qui le précède. Gris, véritable cumulo-nimbus il éclate violemment et bruyamment dans une odeur de soufre

n – Petit pont qui enjambe la rivière qui s’étire lentement. Amical, il relie un village à l’autre, une rive à l’autre et abrite sous son arche les amoureux dont il s’imprègne de leurs effluves. Il s’illumine souvent de plantes fleuries très colorées

P – Le « P » est placide. Poney pâturant paisiblement sous l’ombre fraîche des pommiers. Souvent bicolore, de petite taille, hennissant doucement pour ne pas effaroucher les enfants, son haleine odorante est chaude

p – Petites poupées russes aux couleurs pimpantes, emboîtées les unes dans les autres, le « p » appelle souvent un jumeau pour l’épauler. Il a la couleur du pin et l’odeur enivrante du pain

Q – Cerf-volant retenu au sol par son fil, il s’envole à tire-d’aile. Bariolé, il laisse le vent s’engouffrer, mugir dans sa voilure, pour s’élever aérien. C’est le symbole de la légèreté, futile, infatué, prétentieux,  il virevolte pour se faire admirer des badauds

q – Avec sa queue-de-pie, la lettre « q » protège ses arrières de tout regard.  Elle est totalement fermée aux autres, muette, cachée derrière son rideau

R – Le « R » est la lettre spécifique du bruit, du ronflement, du rugissement, du roulement de tambour, apportant parfois l’odeur de la pluie battante avec le roulement du tonnerre. Elle est d’un rouge vibrant.

r – D’un gris sombre, il racle le sol de ses dents et raye le plancher de ses griffes. Rapide, rusé, porteur d’une odeur musquée, il n’hésite pas à quitter le navire en poussant de petits cris quand il n’a plus assez de nourriture ou sent un danger

S – Serpent à sonnette ou non, il s’insinue avec souplesse et vélocité. Agressif, n’hésitant pas à cracher son venin dès qu’il se sent attaqué, il peut avoir la couleur du métal, froid. Il émane de lui une odeur fade.

s –  Elle ondule langoureusement et appelle de son chant séducteur les marins en perdition, qui n’hésitent pas à plonger pour la retrouver visqueuse, fuyante, mirage des eaux d’un noir trouble

T – Potence sur laquelle se balancent les pendus les jours d’exécution publique. Erigé, orgueilleux, le « T » domine de sa haute stature. Le « T » est lié de tous côtés à la violence : tabasser, tripoter, triturer, taper, torturer, tuer. Il est noir,  sent la mort et résonne sourdement

t –  Le « t » traverse à vive allure la grande route, emportant dans un bruit de ferraille, le destin de tant de vies. Long ver articulé d’un gris de métal, dégageant sur son passage une odeur de rails chauffés

V –  Vase sacré, de poterie couleur de terre ocre, ou de cristal transparent qui tinte longuement, le « V »  est un réceptacle.  Cône volcanique, colérique, il laisse échapper en longs jets brulants des geysers de lave rougeoyante, comme des éructations.

v –  Le « v » du violon vibre de toute son âme, jette en l’air ses notes victorieuses et joyeuses. Il exhale ses parfums subtils de boiseries précieuses aux couleurs ambrées

W – M renversé, le wapiti dresse fièrement ses doubles cornes. Il est de  couleur brune et émet lors du rut,  un brame rauque

w – Comme les wagons d’un train de marchandises, le « w » est formé de deux  « v » frères siamois accrochés l’un à l’autre, inséparables. Ils cheminent de concert, formant un tout, miroir l’un de l’autre se reflétant réciproquement dans un même écho

X – Ah, les jambes en X, combien de rires moqueurs ont-elles entendus ? A la fois évasées et farouchement refermées,  serrées sur leur secret,  pâles et muettes, mais tenaces

x – « x », l’inconnue que l’on rêve de découvrir, celle qui s’habille de noir, qui met le cœur en émoi. Elle fredonne à nos oreilles une ritournelle lancinante « trouvez moi » ou « qui suis-je selon vous ? ». Elle a le parfum des fleurs exotiques

Z – D’un grand coup de sabre, sur une musique endiablée, Zorro a tracé cette zébrure, cicatrice brûlante, infamante, du vainqueur sur le vaincu, à l’odeur et couleur de sang. C’est la fin de l’alphabet  et de l’épisode


z – Le « z » est calme, détendu, signe de zénitude, zéro activité, zéro pensée, zéro bruit, la fin de toute action, le vide sidéral, sérénité totale, méditation aux effluves de jasmin. 


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