17/11/13 Grammaire de l'imagination

Gianni Rodari nous propose dans sa Grammaire de l'imagination tout un tas de recettes pour entraîner l'imaginaire et le développer. On constate assez vite que le réel cloisonne et limite, il faut le défier et occulter ses règles pour inventer des histoires.


Histoire de JOELLE :

Dans le parc d'un château, il y a très longtemps, un bousier filait du mauvais coton. Des gestes répétitifs, aucune reconnaissance, c'était sa vie. Il se sentait inutile. Travaillait, travaillait, oui, mais pourquoi?
 Il avait les dents longues et son plus grand rêve était de laisser la trace de son passage sur terre.
Malheureusement chaque fois qu'il roulait une bouse, il effaçait les traces de ses dents sur le sable.
De la bouse devant les yeux c'est sûr qu'il en avait, l'intelligence n'était pas sa principale qualité. Jour après jour, reculade après reculade il roulait cette boule et effaçait toutes traces. Depuis des mois il reproduisait des gestes interprétés à l'envers.
Il réfléchissait le jour, ne dormait plus la nuit n'ayant qu'une obsession  "réaliser la chose qui ferait de lui un personnage inoubliable".
Par une douce soirée de printemps, il se retrouva malencontreusement coincé sous le seau de la traite des vaches. En quelques instants  il était  propulsé dans un océan blanc agréablement chaud et parfumé. Après moult secousses, brassages,  malaxations et nombreux autres pièges, il se retrouva dans une meule de fromage.  Enfin calme et repos. Là, il put récupérer un peu de sa sérénité et  comprit, qu' il allait enfin pouvoir  réaliser son rêve.
Sans relâche, avec les dents, il creusait, de ces débris il fabriquait des boules  et de ces boules il bouchait les trous du fromage. Il avançait ainsi au travers de cette matière ocre et odorante en laissant sa trace. Sa vie avait trouvé enfin toute sa dimension.

Une chose pourtant  le dérangeait : sa solitude...


Histoire de SUZANNE :

Kiki, un perroquet gris du Gabon aux ailes éjointées, errait tristement.

Autrefois beau parleur et même chanteur, il avait été la vedette du spectacle. Il n’hésitait pas à vocaliser à tue-tête dès le lever du soleil pour plaire à sa belle, même s’il soupçonnait qu’il y avait anguille sous roche. En effet un beau matin, celle-ci s’enfuit rejoindre un groupe d’oies cendrées en route pour les pays chauds, emportant pour tout bagage, la belle voix de Kiki.

Depuis ce jour, Kiki ne savait plus comment tuer le temps. Il ne cessait de se plaindre d’une voix de fausset, auprès des autres pensionnaires, le Serpent contorsionniste qui n’osait plus sortir de sa boîte, l’Ourse ventriloque qui avait préféré hiberner plutôt que de l’entendre, le Scorpion jongleur qui perturbé par l’humeur morose de Kiki, ne rattrapait plus rien avec sa queue et même les clowns, les Mandrills au nez rouge qui le mitraillaient de  cacahuètes, quand il s’approchait de leur île.

Une mouche psychologue de son état, aurait peut-être pu le sortir de cette dépression, mais elle avait pris sa retraite l’été dernier pour méditer dans le désert, loin de toute habitation et de tout lieu de pêche.

Seul Jumpy le Kangourou, échappait à cette sinistrose générale et voulait bien écouter Kiki, tout en bondissant joyeusement comme s’il était sur un trampoline. Son but était d’atteindre le ciel et il s’entraînait dur pour ça et bandait au maximum les muscles de ses pattes postérieures. Il voulait y arriver et il y arriverait !

Pourquoi tenait-il tant à atteindre le ciel ? Il souhaitait connaître le fonctionnement du temps, pourquoi celui-ci pouvait paraître à certains moments très court lors d’un bonheur fugace et à d’autres très long, comme pour Kiki qui ne reverrait jamais revenir sa belle.

Kiki à qui l’on avait ôté pour toujours la possibilité de voler, admirait Jumpy qui alternait salto, double vrille et même saut périlleux arrière carpé.

Un jour, devant l’air encore plus triste que d’habitude de son ami, Jumpy lui proposa de sauter avec lui, en grimpant dans sa poche ventrale. Kiki ravi, n’hésita pas une seconde et rejoignit aussitôt son compère, s’agrippant au bord de la poche. Tous deux dans un grand éclat de rire sautèrent de concert. Ils sautèrent, sautèrent de plus en plus  haut, si bien qu’ils atteignirent le ciel tout là-haut, bien au-dessus des nuages.

Jumpy le Kangourou maintenant immortel, est devenu le Maître du Temps. Par temps clair, on peut apercevoir sa constellation, auprès de celles du Perroquet et du Scorpion, non loin de la Grande Ourse qui brillent au firmament pour former avec lui,  le « Magic Circus » de la nuit.


Histoire de FRANCINE : 

Le danseur de flamenco tapait si fort du pied qu’il fut réquisitionné pour enfoncer les clous de l’estrade. Bien qu’il eut le cœur sur la main il avait les yeux plus gros que le ventre et souffrait de brûlures d’estomac.
Hospitalisé suite à un ulcère sévère, les médecins s’aperçurent qu’il avait l’estomac dans les talons, et qu’à chaque pas de danse, il aiguisait encore un peu la douleur.
Dans sa chambre d’hôpital, il côtoya un serpent qui s’était enroulé autour du piston du trombone à coulisse afin de parader en tant que danseuse du ventre et un hippopotame amateur de plongeon qui s’était fracassé trois dents.
Le soir par la fenêtre il voyait le phare de la pointe du Cotentin. Un ver luisant voulant éclairer le monde y avait élu domicile. Ce dernier rayonnait de bonheur et illuminait le ciel étoilé.
Au rez de chaussée, la bouilloire de cuisine chanteuse d’opéra à ses heures, poussait la chansonnette en un long sifflement plaintif.
Le toubib à cou de girafe déambulait dans les couloirs, la tête au ras du plafond où une araignée courait. Son stéthoscope négligemment pendu sur son torse éléphantesque se balançait en mesure, tandis qu’un scorpion patinait sur le marbre veiné de la commode, la queue dressée telle une voilure.
Le long manteau de la nuit enténébrait le bâtiment. Le « flamenquiste », son ulcère et le serpent danseuse du ventre se tapait une belote. L’hippo ronflait la bouche ouverte. Bientôt à ses, la bouilloire s’essoufflait.
Le toubib au cou de girafe rentra la tête dans les épaules, s’ébroua et se réveilla dans la salle de garde.

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