29/07/2013 Ces images qui parlent

PROPOSITION : Tirer une image à l'aveuglette et utiliser tous les éléments qui la constituent.


Texte de SUZANNE :

UNE JOURNEE PAS COMME LES AUTRES
(Ou harponner un équivalent de rêve)

Penché en avant, presque  en rupture d’équilibre, un pied sur le trottoir, l’autre déjà sur la rue, il hésite…

Son pied gauche est orienté vers sa voiture, pour prendre le chemin quotidien et grisâtre de son travail, avec pour toute perspective une journée banale, morose à souhait, rythmée d’appels téléphoniques interminables, de réunions ennuyeuses de costumes gris aux mines compassées et seulement entrecoupée d’un repas indigeste.

La main sur la télécommande de sa BMW, il hésite…

Son pied droit encore sur le trottoir, se sent d’humeur joyeuse, voire vagabonde et souhaite rompre définitivement avec cette monotonie.

Il hésite…

Assumer ses responsabilités de tous les jours, ou partir à l’aventure ? Lancer son harpon vers l’inconnu, accrocher son rêve, ou s’ancrer pour toujours sur cette terre ?

Finalement, le pied droit l’emporte. Il ôte sa cravate et défait le premier bouton de sa chemise. A bas le code vestimentaire ! C’est « libre » qu’il part à la découverte de son quartier.

La neige tombée cette nuit, a recouvert le sol ainsi que les véhicules garés le long du trottoir et même le petit homme vert du feu tricolore, d’une fine et floconneuse étole blanche. Ses chaussures vernies glissent légèrement, mais au lieu de s’en énerver, il accentue ses glissades, se rappelant comment il dévalait dans une course effrénée, la rue de son enfance avec ses petits voisins.

A l’intersection de l’avenue, il découvre un ravissant square bordé d’une haie de houx aux baies rouges. Peut-être, est-ce celui où son épouse emmenait leurs jeunes enfants, où ils ont appris à faire leurs premiers pas, à maitriser la pratique de la bicyclette, pendant que lui passait ses 8 à 10h journalières au bureau ?

Une certaine nostalgie l’étreint soudain, d’avoir manqué ces instants inoubliables de leurs pas hésitants, de leurs premiers tours de bicyclette en zigzag apeurés, de leurs chutes, jusqu’au moment où il aurait pu partager leur sourire radieux, quand ils ont enfin acquis l’équilibre.  Que de cris de peur, de joie, que de chansons naïves mais belles, ont été étouffés par son absence…

Tiens, pourquoi ne courrait-il pas, il est tout seul dans ce square à cette heure matinale ? Hop, un petit coup de balançoire. Il s’étire aux anneaux du grand portique. Aïe, ça fait mal ! Il a perdu ses muscles secs de petit garçon. Tant pis, il recommence, voilà ça revient. De joie il se met à chanter à tue-tête, les yeux brillants malgré le froid. Fini la grisaille des jours laborieux. Il est heureux ! Dans le bac à sable il fait des dessins : un chat assis, un hibou, une salamandre avec ses doigts ventouse. Le sable lui glisse entre les doigts, comme toutes ces années qu’il n’a pas vu passer…

De son pas élastique, il rejoint l’église toute proche dans laquelle il n’a plus remis les pieds depuis si longtemps, à l’exception des cérémonies officielles pour le baptême de ses enfants. Les vitraux très colorés lui font penser à une tapisserie murale. Il apprécie le silence, ce silence qui lui parle soudain, qui lui fait écouter son cœur, ce qu’il ressent au plus profond de lui-même et que dorénavant il est décidé à entendre et à respecter.

Il se redresse de toute sa hauteur. Il sait maintenant quelles sont les choses essentielles, que le bonheur ne se trouve pas forcément dans une course effrénée vers une carrière professionnelle, mais aussi dans les petits riens de la vie.

Ecouter – voir – entendre


Texte de FRANCINE :


Prend-on la vie autrement que par les épines ? René Char

Une balustrade de fleurs crache ses couleurs au jour qui se lève. L’astre rayonnant haut dans le ciel éclabousse de lumière les tons orangés de l’été. Des dahlias  à la robe gorgée de feu s’emmêlent aux lanternes capucines, des groseilles parfumées et des boules de chardons s’échappent de l’entrelacs de verdure. Des tiges de ramures se dressent vers demain et sortent du cadre.
Hier, c’était le noir et blanc, nostalgie du temps passé, de l’enfance envolée, des jours heureux oubliés. L’innocence des jeux, le goûter partagé, le fils de la voisine, la nièce de l’épicière…..
La carafe en cristal de grand-mère de sortie dans la cour, débordant de jus de framboises préparé par Nanou. La confiture de mûres attendait les tartines dorées et la porcelaine reposait sur la table de jardin. Un plateau de gaufrettes fourrées à la groseille fraîche tendait les bras aux mains malhabiles des enfants réunis. Une scène de goûter à l’orée des fifties où le col Claudine concurrençait les nœuds d’organdis et le petit short de garçonnet qui dévoilait les genoux cagneux. Des coiffures sages, des chemises repassées, des enfants comme des images….
Le souvenir est aplani, gommé. Les épines se sont émoussées. Les fillettes aux cheveux courts font des gerbes de fleurs colorées. Des fleurs sauvages, des fleurs des champs, des fleurs indisciplinées comme elles auraient voulu grandir….
Rouge, jaune, orange… des couleurs qui fusent, qui crient, qui vivent.
Petites filles à la dînette jouant à la maman domestique. Femmes fleur libres et chantantes, déboulonnées du carcan rigide et froid des traditions….
De bouton grêle en cœur épanoui, une fleur naît et relève la tête vers le soleil. Un bouquet odorant de pétales chatoyant, un assortiment d’arômes fins et entêtant. La femme est une fleur qui plie sous le vent et offre à qui sait l’écouter un murmure de réconfort et de douceur.
Messagère des amoureux la fleur s’invite dans le quotidien, grave l’espoir dans les mémoires et s’éternise dans les cœurs.
Des fleurs séchées entre les pages d’un cahier, couleurs passées, tendres pastels. Même hier est coloré. Les scènes de l’enfance émeuvent le passant, les épines de la vie sont les dards tranchants des mauvais jours. Les piquants se font arrondis et pointes d’amertume, même s’ils écorchent encore le doigt, on oublie la douleur par l’éclat de la corolle comme une danseuse désuète qui tourne sur ses pointes aux sons lancinants d’un piano mécanique.

Un parfum de nostalgie envahit l’horizon et le regard se porte au loin vers le soleil qui poudroie et illumine de blanc le chemin vers demain.

Texte de MISTRALINE

Le goût de l’éphémère

C’était notre insouciance à la marelle, nos disputes aux Mille Bornes, notre exaltation à la corde à sauter et notre vivacité à l’élastique.
L’éphémère ? C’est l’heure de la récréation, cet instant hors du temps où se joue le plus important. Ce que nous sommes vraiment surgissait à ce moment-là, dans ces moments comptés, qui comptent plus que tout. Ce plaisir à être ensemble, à se retrouver, pour rire, pour gagner, pour inventer des jeux ou se perdre en élucubrations.
Ce temps de l’enfance, on ne devrait le passer qu’à jouer. L’éducation ludique, voilà ce qu’il nous manque. L’enfance est éphémère mais toute notre vie nous retournons sans cesse la visiter. Nous allons y puiser, notre force, notre joie, nos colères et nos rêves.
Dans cet éphémère éternel chaque petite fille deviendra femme et chaque garçon se changera en homme. On troque ses sandales pour des talons aiguilles, sa candeur pour des caprices, ses valeurs pour des bénéfices ; ça ne dure qu’un temps : le temps des amours aux sens interdits.
Comme il paraît loin alors le temps des baptêmes et des communions, des robes blanches et des socquettes à dentelles, des serre-têtes et des barrettes. Elle paraît si loin notre première dent de lait, notre attente de la souris, notre réveil hâtif pour trouver la pièce sous l’oreiller. Nous avons beau avoir remplacé le coton par des dentelles, l’éphémère s’est inscrit durablement en nous.
Le goût du Zan me le rappelle, l’odeur de l’ail et de la sauge, les rafales du mistral, les premiers iris violets le long des fossés, le parfum du thym et du mimosa, la puanteur des usines à cellulose... Nous le conservons jalousement au fond de nous ce goût de l’éphémère.

C’est insidieux, ça s’infiltre, ça s’incruste dans nos pores et dans nos cœurs, c’est une vigie qui nous alerte et nous crie : hâte-toi de vivre !

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

05/10/09 Après le tremblement

12/06/09 La fille d'acier

03/05/2011 Notes de chevet