06/05/2013 Bière et enfance


Vous écrirez un texte sur la bière enrobé d’un parfum d’enfance.
Soyez dans l’autofiction autant que possible et mentez vrai !!
Pour ce concours organisé par la FIBA, un logorallye vous est imposé.


Texte d’AGATHE :

Au village, c’est la fête de la bière la musique fuse de partout assourdissante. Ça rigole, ça chante, les bistrots regorgent de monde – ceux qui, déjà assis devant leur bock, profitent de ce temps de pose pour oublier la rudesse du temps, savourent la mousse se diluant peu à peu dans la moustache, qui du coup s’avachit.

Ça discute fort, ça gesticule large, et soudain, la chiquenaude fatale renverse le demi direct. La bonne bière se répand sur le carrelage déjà bien marqué par le début de cette journée festive.
Celui-là, là-bas, tout sec, accoudé au comptoir, nous montrant son dos dont la raie de la misère avoue l’indifférence, se retourne pour lancer une blague au maladroit qui, avec sa gueule de boîte à frissons à fait face au bébé blotti contre son doudou dans sa poucette – tandis que sa mère, proche de l’enfantement, essaie de lui faire manger la tartine, terreau de la vie autant que l’amour, laisse patatras tomber ladite tartine sur le carrelage du bistrot, déjà bien maculé.
Toute petite dans mon coin, j’attends avec curiosité de voir si tout ça va mal tourner ou se calmer.



Texte de JOELLE :

La boite à frissons

Je le revois grand et droit comme un I. Il trace avec la charrue des sillons bien alignés sur la raie de misère de son cheval. D'une chiquenaude il redresse son chapeau perché sur son crâne laissant apparaître le trait blafard de son front que ne connaît pas le soleil. Ce chapeau est l'unique protection contre l'astre incandescent ou la rudesse du temps.

Je l'attends, mon doudou dans une main, ma tartine margarine raclures de chocolat noir dans l'autre. Il sait tout faire, parler à ses chevaux, dresser ses chiens, bavarder avec ses abeilles. Il m'apprend à planter des tomates, cueillir des fraises et faire avec le doigt un trou dans le terreau pour y glisser la fragile racine d'une fleur.

J'aime ses moustaches à la mousquetaire, il en roule les pointes  doucement entre ses doigts, mais mon meilleur moment c'est à la fin d'une journée bien chaude lorsque la bière dorée les souligne d'un frisotis aérien de mousse légère.  Du dos de la main il a ce geste unique, il frotte ses lèvres en remontant vers les moustaches et les lisses. Ce n'est pas un gros buveur mais il sait apprécier ce liquide frais doré pétillant et mousseux, quand il y trempe les lèvres c'est le bien être, le moment détente, il étire ses longues jambes, caresse la tête de son chien et me sourit.

 Mais patatras ! en courant derrière le chien je fais tomber le verre qui explose sur le carrelage en une flaque chatoyante mordorée et blanche irisée par les derniers rayons de soleil. Saisie, je le regarde, en panique, immobile, je crains l'enfantement d'une colère,  dans le coin du mur, tête basse,  je reste  silencieuse et prudente. Un rire profond et gai me rassure aussitôt. C'est un homme bon. Ce n'est pas comme l'autre là-bas, dans l'autre maison.

C'était sombre, une bière poussait l'autre, son caractère était aussi aigre que son haleine était fétide, sa main leste et sèche laissait des marques cuisantes sur mon visage. Il incarnait la peur. Cette peur qui prend aux tripes, qui vous fait régresser jusqu'à disparaître, cette peur qui vous tient éveillée la nuit épiant le moindre bruit...

En une seconde, mon geste maladroit venait d'ouvrir la boite à frissons...



Texte de SUZANNE : 


Je me souviens d’un certain après-midi d’hiver, dans le village d’enfance de ma mère, où la rudesse du temps, incita mon grand-père à pousser devant moi, la porte du vieux bistrot.



Mon doudou bien serré contre moi, je ne vis d’abord rien. Un brouillard dense de fumée engloutissait les visages. Seul le carrelage de tomettes sales, brunâtres, terreau planté de mégots de cigarettes et de noyaux d’olives, apparaissait au fur et à mesure sous mes pas d’enfant.

Mon grand-père me saisit sous les bras pour me jucher sur un tabouret haut perché, un vrai donjon, d’où je pus découvrir ébloui le bar et son équipement rutilant.

Je m’accrochai à la rampe de cuivre dans laquelle se reflétait mon visage. La patronne trônait, en bout de comptoir, masquant comme elle le pouvait, un embonpoint proche de l’enfantement, derrière sa caisse dorée qui tintait à chaque encaissement.

Mon grand-père passa la commande avec son autorité naturelle :

-          « Une pression, une tartine et un chocolat pour le petit, s’il vous plaît ».

Le serveur zélé qui finissait d’astiquer son percolateur, passa un bref coup de chiffon sur le bar luisant, sur lequel j’aurais bien fait rouler mes petites voitures et posa devant mon grand-père un petit disque de carton. Il était bien joli ce carton avec son énorme cigale, emblème de la marque de bière artisanale brassée dans le canton. Je le fixai d’un œil brillant. Mon grand-père comprit mon regard d’envie et me fit la promesse de me faire cadeau du sous-bock, quand nous partirions.

Le garçon me servit un chocolat fumant, dont l’arôme emplit encore mes narines vingt ans plus tard. Une tartine beurrée, bien croquante l’accompagnait. Mais ce qui me fascinait, ce n’était pas tant ce goûter pourtant savoureux, non c’était le cérémonial avec lequel le serveur s’occupait de la commande de mon grand-père.

Le fût de bière en perce situé derrière le comptoir, était directement relié au robinet. Une pression mesurée du serveur sur la manette, diffusa un pschitt identique à celui qu’avait fait ma roue de vélo le matin même en crevant. La chope s’emplit aussitôt d’un liquide légèrement ambré, celui de la bière de Noël, recouvert d’une écume aérienne. D’un geste expert de barbier, le serveur en rasa d’un coup de spatule le surplus, qui se perdit aussitôt dans une rigole, véritable raie de la misère, qui courait tout au long du bar. Le serveur avec un air satisfait, posa enfin la chope sur le sous-bock.

Mon grand-père se saisit alors de cette boîte à frissons et me dit en me regardant droit dans les yeux :

-          « A ta santé mon petit !»

Puis il trempa ses lèvres avec une lenteur gourmande, dans la mousse onctueuse qui lui barra la bouche d’épaisses moustaches. Il déglutit au ralenti, savourant ce nectar contenant une légère amertume au goût de cacao, qui lui arracha une onde de plaisir.

De mon côté, la mousse du chocolat ourla mes lèvres de belles moustaches blanches et nous échangeâmes à cet instant, un regard complice, un de ces moments privilégiés de partage que l’on garde au plus profond de son cœur, dans ce coffre fort que l’on entrouvre parfois, pour en contempler les trésors.

Une petite miette de pain s’étant collée au coin de ma bouche, mon grand-père l’a fit voltiger d’une chiquenaude et patatras, elle rejoignit au sol, les mégots et les noyaux d’olives.




Texte de MARIE-HÉLÈNE :


Sur la place du village la terrasse ombragée du petit café était comme une oasis sur la route des vacances. Assoiffé, mon père décida d’une halte. C’était l’heure bienvenue, l’heure des diabolos-menthe  pour les enfants, l’heure des bières ambrées pour les parents.

Mon doudou bien serré dans mon poing fermé, j’escaladais la vieille chaise en paille et m’accoudais à  la table en fer forgé. L’air vibrait du bourdonnement des abeilles sur les jardinières de pétunias.  La jeune serveuse, proche de l’enfantement et traînant d’un pas lourd toute la rudesse du temps sur le carrelage poli, déposa les verres embués devant notre impatience. Je sentis frétiller la boite à frissons de bonheur au contact du liquide pétillant sur ma langue.

Face à moi, le nez de mes parents disparaissait béatement dans de grandes chopes de bières. A grands coups de gosiers, ils avalaient goulûment de grandes tartines d’or liquide, la mie ourlait leurs lèvres de moustaches blanchâtres et mousseuses. J’étais fascinée et une nouvelle bêtise fleurit sans hésiter sur le terreau de mon enfance.
Téméraire, mon index s’envola  vers cette écume inconnue, mais d’une chiquenaude impatiente, le buveur chassa l’ importun  et heurta son verre. Patratas ! Le breuvage si convoité se répandit sur la table, entre les bouteilles et le cendrier, comme une raie de la misère caracolant sur l’éclat de rire de ma petite sœur et les jurons de mon père.  J’en profitais pour étaler ma main dans la flaque irisée  et lécher un à un mes doigts dégoulinant d’amertume.
Cette expérience m’apprit que, l’été,  rien n’était aussi bon que le diabolo menthe bien frais.


Texte de FRANCINE :

La tête enserrée comme dans un étau, le cerveau qui danse et qui chaloupe, je me sens patatras, flagada, mal en point.
La nausée au bord des lèvres, mes yeux cherchent un horizon stable où mon regard s’accrochera comme un naufragé à son radeau de fortune. Des limbes ensommeillées, quelques souvenirs remontent à la surface. Une odeur écœurante et des relents houblonneux m’agressent. D’une chiquenaude en pleine mâchoire le voile se déchire. Les fesses sur le carrelage froid du palier, je sors peu à peu des brumes, et mon corps ankylosé se rappelle à ma douleur.

C’était hier, il y a vingt ans, je ne sais plus….
Une visite organisée dans le cadre des loisirs et découvertes du temps scolaire. Le car emplit d’enfants insouciants, rieurs, quelque peu excités par ce voyage studieux mais si extravagant. Aller à la rencontre des artisans, grands chefs cadors dans leur profession. Découvrir ces immenses hangars où se crée un merveilleux breuvage, la bière artisanale, bière blanche par excellence des maîtres brasseurs de la Brasserie Lancelot, au cœur de la Bretagne.
Intimidés par la structure austère et l’ambiance laborieuse qui y régnait, nous descendîmes du car et, comme de bons petits soldats, nous nous accrochâmes aux basques de notre guide.
De grandes cuves rutilantes, des effluves odorantes de malt et de houblon, bien vite les explications de notre accompagnateur tombèrent comme mauvais terreau en jardinières ! Petits curieux de nature, avec deux de mes copains, nous mettions nos doigts partout et le nez au-dessus des cuves, nous nous emplissions d’ivresse illusions, de jovialité à l’hilarité.
Dans la salle de dégustation, accrochés à la rambarde comme un nouveau-né à son doudou, nous avons voulu faire les fiers à bras, et avec bravache nous trempions nos lèvres à toutes sortes de mixtures. Une lampée dorée au fond de la gorge, une bouchée de tartine de rillettes pour surnager tout ce liquide ingurgité, des moustaches d’écume que l’on essuie maladroitement d’un revers de la main… nous riions bêtement et pour n’importe quoi. Le prof est atterré, et bien vite on nous expulse de cette boîte à frissons où nous nous enlisions.

Ce sont ces souvenirs qui s’impriment devant mes yeux. Je suis allongé, me contorsionnant au sol avec des douleurs qui tel un enfantement me déchirent les entrailles. Rudesse du temps des lendemains de fête…
Comment d’une conférence sur la saillie des pouliches camarguaises où la symbolique de la raie de la misère dans le choix des futures porteuses est un facteur décisif, d’un sujet si doctoral peut-on tomber dans la débauche organisée ? Convivialité, musique, flonflon et lumières artistiquement agencées… De discussions en discussions, de verre en verre, de tournée en tournée, la bière colorée, mordorée, savoureuse et rafraîchissante coulaient avec facilité. Une bière artisanale au riz, très légère, à l’effervescence non filtrée pour garder plus de matière en bouche. Poison insidieux qui s’immisce et s’invite. Des ballonnements, des remontées bullebesques, une chaleur frontale et les tempes qui rougissent. Un manège qui tourne en un pas échassier, l’euphorie du moment, et encore une chope d’avalée, une canette d’éclusée, un bock de descendu….
La tête qui éclate en un rot sonore, une bile amère inonde le gosier. Dur retour aux réalités.

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