22/04/2013 Paradoxe et contradiction


Comment illustrer les paradoxes et les contradictions de la nature humaine ?



Texte de SUZANNE



LUCIEN TAUPE – PHOTOGRAPHE


Lucien Taupe, saisit son appareil photo Réflex fétiche, un Canon équipé d’un mode rafale, avant de fermer la porte de son « deux pièces ». Il n’a jamais laissé pénétrer quiconque, collègue ou petite amie dans son refuge qu’il préserve jalousement de toute intrusion.

Vêtu à l’année de la même tenue, insignifiante, jean délavé et blouson sur une chemise sans teint, de nature solitaire, peu enclin aux confidences, ses collègues l’ont surnommé « passe muraille », car du fait qu’on ne le remarque pas, il apparaît toujours là où on ne l’attend pas.

Cet aspect de sa personnalité, le sert bien dans son travail de reporter photo. Le cheveu terne, le corps filiforme, la démarche souple, il sait se fondre dans une foule, disparaître pour reparaître soudain un peu plus loin pour trouver un meilleur angle de vue.

Ce qu’il aime par-dessus tout, c’est arpenter les rues au hasard, les oreilles aux aguets, le regard fureteur, en quête d’un scoop, du cliché qui le rendra peut être un jour célèbre.

Lui qui se réfugie volontiers dans l’anonymat, se cache derrière son appareil photo comme derrière un masque, désire dévoiler au monde non seulement l’aspect extérieur parfois ostentatoire de ses contemporains, mais aussi leur regard, reflet de leur âme et de leurs plus intimes secrets.

S’il refuse de se prêter au jugement des autres, il n’hésite pas à les mettre en scène, telle cette femme parée d’or qui sourit d’un air vaniteux. Mieux qu’un croquis parfois caricatural, son appareil saisit dans l’instant, ce sourire et ce regard prétentieux.

Il photographie avec plaisir les femmes aux poitrines opulentes, aux formes arrondies féminines et charnelles, signe d’amour et de vie. C’est le « Botero » de la photographie.

Rien n’échappe à son œil exercé, ni le regard courroucé d’un couple en train de se déchirer, ni celui de convoitise d’un enfant attendant de recevoir son cornet de glace.

Comme son illustre confrère Robert Doisneau, le spectacle de la rue lui offre la possibilité de pénétrer l’intimité de ses concitoyens, tout en témoignant d’une époque. Son appareil lui sert de filtre, d’écran. Lui, est en dehors de cette vie qu’il montre et pourtant…

Cette jolie brunette qui s’avance vers lui, le regard brillant, les joues rosies par l’émotion, ses lèvres entrouvertes sur de ravissantes perles laissant échapper la chamade de son cœur l’aurait-elle choisi, distingué parmi la foule des autres ? Il déclenche aussitôt le mode rafale pour saisir ces instants de bonheur au parfum indéfinissable… Mais non, elle a juste sauté au cou de l’homme qui se trouvait à côté de lui.

Tout entier dans un besoin viscéral de reconnaissance, pour l’instant il vit sa vie par procuration. Peut être un jour, acceptera-t-il de poser son appareil, pour faire enfin face à la caméra…



Texte de MISTRALINE


Une madeleine qui a du chien

Mademoiselle Bing est toiletteuse pour chiens. C’est une fille proprette, mignonette, gentillette qui déteste la saleté. Cependant elle a choisi de consacrer ses journées à renifler du chien mouillé, à tailler de la griffe ou du poil et à brosser des canines entartrées.

Tout stresse mademoiselle Bing : être en retard la stresse, être en avance la stresse, avoir un rendez-vous la stresse, ne pas avoir de rendez-vous la stresse... Le soir, dans son grand lit, elle se passe en boucle la journée du lendemain. Premier client : la teigne de Mme Pingeot  avec son York bipolaire, suivit du bouledogue puant des Frigou, du bichon acariâtre de Mme Lotz, du lévrier neurasthénique des Rivière et du caniche boulimique de la vieille Bourdalou… 
Mademoiselle Bing n’a pas de chien, elle est  allergique aux poils canins, elle se bourre d’anti-histaminiques et part au boulot toujours un peu pressée, un peu essoufflée, un peu énervée.

De son côté, Groucho, chef caissier d’un hard discount, se hâte aussi. Il est en retard, il n’aime pas ça, il sait qu’on va l’attendre. Il déteste plus encore être en avance, il ne supporte ni d’attendre, ni de faire attendre. Il fait des tours et des détours pour arriver à l’heure pile. Pourtant Groucho est perpétuellement en retard. Se dépêcher, se bousculer ça l’épuise ; il ne sait aller qu’à son rythme. Groucho sait qu’il est mou, il déteste cette mollesse qui ramolli la détermination entre ses chairs. Il est mou comme une madeleine détrempée.
Il ne mange jamais de madeleine, il y pense, c’est déjà trop.
Ce péché mignon il se dit qu’il le mangerait délicatement, du bout des dents, miette après miette pour en savourer le parfum exquis, la texture idéale, le moelleux divin. Dans la réalité il l’engloutirait en une bouchée, alors il n’en mange pas. Il s’astreint à la portion congrue : rien de savoureux, rien de gai, rien d’alléchant, rien de tentant ; régime tue la faim.

Ce matin, ils marchent tous les deux sur le même trottoir, mademoiselle Bing devant et Groucho trois pas à sa suite. Ils s’arrêtent dans la même boulangerie, ils se sourient, ils se sont vus. Ils se retrouvent au déjeuner dans la brasserie des lys.
-          Bonjour,  je m’appelle Groucho lui dit-il doucement.
-          Bonjour, je suis Madeleine lui répond-t-elle de sa voix moelleuse.

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