3/03/2013 Monsieur PONGE

Francis Ponge est un maître du mot ; le mot ajusté aux mensurations de l'objet.

Celui qu'on pourrait surnommer "le forgeron des mots" nous a guidé ce dimanche pour trois propositions d'écriture autour de l'objet, du style et de la précision.

I/ Le texte fendu
Où comment jouer les acrobates du liant...

Fragment de Suzanne:

La surface du pain  est hérissée de quelques pics célestes, s’élevant au-dessus des rondeurs maternelles de la chaîne des Puys et à cause de cette impression de dualité possible, les Alpes, le Taurus ou la Cordillère des Andes, ne sont plus qu’austérité, aiguilles acérées, érigées au dessus de ravins profonds, univers granitique, karstique ou volcanique, sans douceur.

Ainsi donc une masse amorphe, de pâte non levée, peut faire entrevoir le jaillissement de la lave du volcan se dispersant pour nous dans le four stellaire, embrasant la voute céleste, car elle s’est façonnée peu à peu, a gonflé, s’est craquelée, dans la fusion au cœur du four.

Et tous ces plans dès lors, définissent les différentes strates de la miche à la sortie du four.

Ces dalles minces de la croûte croquante, cratère s’entrouvrant sur une mie moelleuse telle une couette et divinement fondante dans laquelle on enfonce les dents avec délice et couche ses feux avec une telle gourmandise, que l’on en oublierait presque la brûlure ignoble sous-jacente.

Fragment de Francine :

La surface du Pain, histoire d’amour brûlante, craquant puzzle écorné, à cause de cette impression multiple, unique, vertueuse de déprédation élémentaire telle les Alpes, le Taurus ou la nature muette, matrice cristallisée, œdème en éruption.

Ainsi donc une masse amorphe de paysage lunaire, effritement de graminées, d’épis volés, pour nous, dans le four stellaire des bêlements humanitaires, bouches affamées, fournil d’essaim, elle s’est façonnée d’alvéoles mystères, de mie moelleuse, de planisphères…

Et tous ces plans dès lors d’assouvissement trivial, domination, corps décharnés. Ces dalles minces, plaquées, coagulées ; peintures alambiquées couleur de pain brûlé, couche ses feux éteints, mosaïques de bruns, tout à tour cache misère, tartine de miel, poudre de succession ignoble sous-jacente.

Fragment d'Evelyne:

La surface du pain est une plaine fendue par des pics brunâtres à cause de cette impression sous mes doigts mon esprit s’envole loin…

les Alpes, le Taurus, la chaîne de l’Hindou Kouch.

Ainsi donc une masse amorphe de pulvérulente matière et d’eau déposée pour nous dans le four stellaire s’est expansée telle une insouciante nostalgie d’un big bang elle s’est formée en trois dimensions.

Et tous ces plans dès lors exprimeront la fierté de leur platitude originelle.

Ces dalles minces, enveloppe craquante d’une réalité molle qui couche ses feux ardents et ses désirs soumis telle une ogresse lubrique

Ignoble sous-jacente.

II/ La transe opiniâtre
Comment rentrer dans le ventre des mots?

Transe de Francine :

Rayé, fuselé, strié, entaillé, déchiré, éclaté….

Nature inanimé, vivant et concret d’externe entremise

Blanc, laiteux, crémeux, aérien et léger devient dense et compact

Dessine et se dessine, s’allonge, se creuse, se noie, s’étire en dentelle, se rencogne, s’échafaude

On y devine un visage, une forme, un continent

On y rêve de douceur, d’évasion, de création

Il se pimente de grisaille poivrée, de muscade, de soleil d’œuf, de filament d’emmental

Un souffle, il s’échappe – Une tourmente, il explose

Devient létal, se décompose.

III/ Etude végétale
Si celui qui écrit a le regard du peintre, alors il écrira loin.

Etude de Francine :

Feuillage tendre, boutons rosés s’éclosent au derniers frimas, socle en trident, terre de verger, le pommier de fruits croulera.

En bon centenaire survolant l’éternité, ses feuilles dessinées et malgré tout caduques, son tronc dressé impose la noblesse. Le chêne trône.

En jardinière dès février, clochettes roses bleues jaunes ou nacrées, son parfum entêtant annonce le printemps, son tubercule en terre, ses feuilles en fer de lance, en deux mots la jacinthe en floraison.