17/02/2013 Ecrire une Nouvelle

Pour s'exercer à la Nouvelle, le mieux c'est de récolter des faits divers avec une chute renversante et de les adapter aux critères d'écriture de la Nouvelle.

Les règles inhérentes à la Nouvelles sont nombreuses. S'il ne fallait en retenir qu'une, ce serait celle-ci :

Dans la Nouvelle encore moins qu'ailleurs, on ne doit emmerder le lecteur



Nouvelle de Laetitia



L’ART DE LA PUNITION


« Ce n’est pas possible ; c’est injuste d’aller au lit sans manger ». Cela faisait plus d’heure qu’elle se repassait les évènements dans la tête. Elle ne comprenait pas, qu’avait-elle donc fait pour mériter une telle punition ? C’était intolérable, insupportable.
Et plus elle ruminait, plus sa colère montait.

L’après-midi s’était bien passée, comme d’habitude. La famille était allée se balader puis était rentrée avant que le soleil ne se couche. A ce moment-là, rien ne laissait présager la suite des évènements.
Samantha, en rentrant avait demandé à son père de jouer avec elle à son jeu favori tandis que sa mère préparait le repas du soir : des lasagnes, son plat préféré. L’ambiance qui régnait dans la maison était à la joie.

Et puis il y eut cette terrible dispute issue d’un évènement insignifiant qui avait mis Samantha dans un état de colère terrible. Ses parents n’arrivaient pas à la calmer. Son père l’envoya dans sa chambre et lui dit de ne revenir que lorsqu’elle aurait retrouvé ses esprits. Elle n’y parvenait pas. Elle ruminait et sa mémoire s’amplifiait et se déformait si bien qu’elle ne se rappelait même pas l’origine de cette colère. C’était insupportable.
Ses parents ne comprenaient pas, 8 ans à peine et elle faisait preuve d’une détermination hors du commun. Les parents mangèrent sans dire un mot. Le silence qui s’était installé n’attendait que Samantha pour disparaître. Mais elle ne vint pas.

Il était hors de question pour elle de faire le moindre pas. Elle pleurait tout ce qu’elle pouvait. Puis plus rien ne coula de ses yeux. Non seulement elle n’avait plus de larmes, mais elle avait la sensation que plus rien ne coulait dans son corps : le vide. Son cœur semblait s’être arrêté. Plus rien. Elle attendit que ses parents soient couchés et erra dans la maison.

Après avoir déambulé pendant plusieurs heures en quête de vengeance, elle alla se coucher non sans avoir concocté un plan pour réparer cette injustice.

En se levant le lendemain après une nuit agitée par les remords, les parents de Samantha furent surpris par l’odeur de café et de pain grillé qui régnait dans la maison. Leur fille, pleine de regrets leur avait préparé leur petit-déjeuner. Quelle surprise ! Tous deux l’embrassèrent et prirent cette marque d’attention comme une demande de pardon de sa part. Le petit déjeuner fut joyeux et Samantha se délectait de voir ses parents aussi enjoués.

Quelques heures plus tard, une ambulance emportait le père de Samantha qu’elle ne reverrait que le lendemain, mort.
Tout alla très vite, une autopsie révéla que Peter STONE avait été empoisonné avec de « la mort aux rats » et les recherches dans la maison des STONE conclurent que celle-ci se trouvait dans le café fait par Samantha le matin du drame.
Elle fut placée puis, compte tenu de son âge, fut jugée non responsable de ses actes ce qui lui value une peine en sursis.

La vie repris son cours à la maison ; Samantha et sa mère se retrouvèrent seules. Samantha semblait avoir totalement oublié les évènements, aucune tristesse n’était visible ; elle était redevenue la petite fille aimante et agréable que sa mère avait toujours connue.
Bien sûr, Madame STONE était perplexe ; elle aimait sa fille plus que tout au monde. Mais le chagrin d’avoir perdu son mari était évidemment très présent.

La vie repris son cours à la maison. Enfin c’est ce que tout le monde croyait…
La voisine des STONE, une dame d’un certain âge qui aimait occuper ses journées en regardant ce qui se passait dans sa rue, trouva étrange de ne voir depuis plusieurs jours que Samantha sortir ou entrer de la maison, pour aller chercher le courrier, sortir une poubelle.
Elle décida d’appeler les secours qui découvrirent le corps de Madame STONE, dans sa chambre tandis que sa fille jouait tranquillement dans la sienne.

L’autopsie mit en évidence que c’est de la mort aux rats qui l’avaient emportée. Mais aucune trace dans la maison de ce fameux poison ne fut trouvée, ni dans la nourriture, ni la boîte pouvant le contenir.
Samantha avait tirée des leçons de sa première expérience et il était hors de question de faire la même erreur une seconde fois…



Nouvelle d'IR


La pêche miraculeuse

Vatea, Anapa,et Makami pêchent depuis qu’ils savent marcher. Ils ont été initiés par les  pêcheurs de l’île, pères, grands-pères, voisins. A Nuku Hiva, la pêche fait partie des plaisirs mais aussi de la survie.
En octobre, quand commence la saison des pluies, l’océan frappe la roche violemment. Ils connaissent les passages, les vents, la folie de cette masse bleue déchainée. C’est une éducation de l’instinct, une écoute, un regard, un héritage.

Ce matin-là, à l’aube, les trois adolescents agiles se glissent dans la pirogue à balancier, pour taquiner les bancs de perroquets et de mahi mahi qui fendent l’écume à la pointe du Pic Noir. Dans la simplicité de ce territoire, les marquisiens vivent avec les éléments,  au rythme du soleil. Les alizés et les pluies induisent les journées.
La notion d’âge est une question d’autonomie et ces trois jeunes ont l’âge de la liberté.

D’un geste régulier, ils fendent l’eau avec leur pagaie pour sortir du port de Taiohae. Les vents sont favorables. Les alizés facilitent la traversée vers la pointe sud d’Hiva Oa et assez rapidement ils se dirigent vers l’immensité profonde de l‘océan  où les poissons parfois, prennent le temps de visiter. 
Ils sont dans l’excitation mais savent aussi la violence des phénomènes saisonniers qui inversent le vent sans invitation et la soudaineté des rendez-vous avec les gros mammifères qui affectionnent  les eaux polynésiennes du Pacifique pour se  réchauffer : de juillet à octobre, les baleines à bosses viennent s’accoupler près des lagons autour des îles de la société et il n’est pas rare d’entendre, dans le vent des Marquises, le chant de séduction des mâles languissants.
Ce grand territoire d’eau, triangle dessiné par les îles hawaiiennes au nord et la Nouvelle Zélande et Tahiti au sud, est le paradis des poissons. Les peuples de ces îles ont longtemps pêché pour se nourrir et beaucoup d’espèces ont gardé l’habitude de venir en villégiature une partie de l’année. Les mouvements migratoires sont une chance pour les pêcheurs mais les gros cétacés sont aussi un danger.

Un groupe de dauphins joueur accompagne le jeune équipage, tantôt de front comme un attelage, tantôt de côté comme une escorte. Le chant de ces souffleurs conforte le choix des gamins, ils sont dans la direction du poisson et ensemble ils vont exercer leurs talents.

Les trois marins jettent leurs filets avec précision et profitent de ce repos pour dévorer mangues, papayes, ramboutans et viande séchée emmenés pour tuer l’attente. Vatea prend son coupe-coupe et décapite les noix de coco avant de les donner à ses deux amis.
Bien que le ciel soit sombre, ils sont d’humeur joyeuse. Ils savent que la pêche est très souvent généreuse avant l’orage, et ils plaisantent leur proche victoire avec jeunesse en fanfaronnant.

En effet, quand ils tirent leur filet, l’abondance les surprend, c’est une prise extraordinaire : des mérous célestes, carangues à nageoires bleues, chirurgiens achille, poissons clown, poissons cochet et au milieu de ce festival de couleurs, une mouette accrochée aux mailles de coton maintes fois réparées. Le pauvre oiseau a bu la tasse et n’est pas prêt de s’envoler. Naturellement, Anapa décroche l’oiseau, le frappe contre le bois, le rince, le plonge dans un sac qu’il noue à sa ceinture.

De larges sourires ensoleillent leur visage, cette pêche en une prise est un miracle. Cette performance entrera dans les contes que les mamas racontent le soir. Les familles vont être fières et rassasiées.
Très vite ils trient le poisson en choisissant les poissons que les femmes cuisinent dans la coutume, rejettent les rescapés. Ils ne veulent pas se charger, surtout qu’ils ont prévu de faire un arrêt dans les rochers pour ramasser quelques coquilles.

Sur le retour, les rires éclatent, Vatea et Makami se moquent d’Anapa, le surnomme le « chasseur  de mouette », et rament en chantant Pupu himene  pour rythmer leurs mouvements. Ils veulent être  de retour avant l’orage.
Des éclairs de feu déguisent le ciel, ils accélèrent la cadence pour se rapprocher des terres, et tandis qu’ils scrutent l’horizon leur musique se perd dans les embruns.

Mais jour après jour les familles ont guetté, navigué, fouillé le littoral, imaginé, prié, et finalement dansé le chant des morts pour honorer la mémoire des jeunes téméraires disparus.  Des colliers de fleurs jetés sur l’écume des vagues ont embaumé l’âme des naufragés. L’océan avait décidé de les garder à jamais. Personne ne les avait aperçus… 


Pourtant, il n’est pas rare, des années après, de trouver dans les maisons marquisiennes une coupure de la « dépêche » trônant comme une relique juste à côté du sacristi. Cette première page de journal jauni raconte la pêche miraculeuse d’un thonier à quelques miles  de l’île de Tokelau, au nord des Samoas. Une photo montrant trois guerriers affaiblis entourés des hommes de l’équipage illustre un article pour le moins surprenant. On y lit que la senne, le grand filet de 1600mètes, a ramassé une pirogue qui dérivait avec à son bord trois adolescents très mal en point. Ces trois survivants s’étaient religieusement partagé une mouette durant ces sept semaines, leur embarcation ayant été renversée par une baleine…



Nouvelle de Joëlle


Un crime programmé

Le cri d'abord, aigu, strident, effrayé. Pendu par les bras, les pieds ne touchant pas le sol, la tête avachie sur l'avant, son teint passait lentement du rose au blanc cireux. Une plaie béante courait d'une oreille à l'autre lui donnant un sourire dément. Sa vie s'écoulait par saccades de ses carotides tranchées.
Le chalumeau à la main, l'homme poursuivit son œuvre avec conscience et obstination. L'homme n'arrêtât pas là son geste assassin, d'une main rapide et efficace il lui ouvrit le ventre laissant apparaître ses boyaux fumants et encore palpitants. De grands seaux d'eau chaude firent disparaître les premières traces du crime.
Il lui avait fait confiance, il n'avait rien vu venir. Pour lui plus de course dans le bois le nez au vent. Il ne ressentait rien. Il ne ressentirait plus jamais rien. Et pourtant, rien n'était fini.
Le couteau finement aiguisé, l'homme le désarticulait avec la dextérité d'un chirurgien. A chaque découpe,  un bruit mat faisait vibrer la table couverte de plastique bleu. L'œuvre était presque achevée.
L'homme satisfait considéra  son ouvrage le sourire aux lèvres. D'un geste machinal il s'essuya le front y laissant la marque rouge de son crime. Ca ne lui avait pas pris plus d'une heure. Enfin libre!
Libéré de ces ronflements, libéré de ces bruits saugrenus qui lui devenaient insupportables, libéré de ces appels grotesques "Napo! Napo! à tableueueueueueu!" qui lui vrillaient tous les soirs les tympans. Ce serait à son tour de passer à table, dans un silence religieux.
Il conserverait de ce moment le souvenir ridicule d'une queue en tire-bouchon sur un gros derrière rose.




Nouvelle de Chantal


Nuit câline


Elle fonçait droit devant, sachant très exactement où elle allait. La jubilation éclairait son visage. Odile ralentit pour reprendre son souffle. Elle s’arrêta devant la pharmacie, croisa son regard excité dans la porte vitrée puis reprit son chemin. Elle avait réussi à quitter la maison sans le réveiller. Elle trouverait bien quelque chose à lui dire pour justifier son absence matinale. Elle ne lui offrirait son cadeau que ce soir. Elle avait pris soin d'effacer toutes les traces de leur corps à corps nocturne. Les enfants ne tarderaient pas à faire irruption dans la chambre pour réclamer leur petit déjeuner. Elle les confierait à sa mère en fin d'après midi.

Elle entra dans le magasin et s'approcha de Vincent occupé à mettre un peu d'ordre dans les rayons. D'habitude, elle venait avec Alex, son mari et c'est lui qui prenait les choses en main. Un peu rougissante, elle expliqua à Vincent ce qu'elle cherchait. Elle insista sur la taille, il fallait qu'il fasse au moins 30 cm et sur la puissance du mouvement rotatif.
« Mon mari aime les sensations fortes, vous savez et je veux vraiment lui faire un cadeau inoubliable. C'est notre anniversaire de mariage aujourd'hui ».
Avant de rentrer chez elle, elle fit un crochet par sa boutique de sous-vêtements habituelle.  Voilà. Tout était en place. Elle était prête.

Quand sa mère vint chercher les enfants, elle insista beaucoup pour qu'ils aillent embrasser leur père. Elle fut traversée par un flux de tristesse auquel elle ne donna pas prise. Après tout, les choses n'étaient pas si graves et il lui fallait prendre cette décision. Elle la mûrissait depuis tellement de nuits. Le droit au bonheur, enfin, pour elle aussi.

Elle prit le temps de choisir cette robe fluide et transparente qu'il affectionnait tant et son nouvel ensemble à dentelle la rendait irrésistible.
Le dîner du traiteur attendrait. Elle préférait ne pas manger avant. Par contre, plusieurs coupes de champagne allaient lui donner l'élan nécessaire pour franchir cette dernière étape.

Il ne se rendit compte de rien. Son plaisir se mélangeait à la douleur.

Elle lui enfonça son cadeau si profondément et avec une telle rage qu'il en émit plusieurs cris successifs. Il la regarda sans comprendre, jouissance mêlée de peur dans le regard.
Elle ne lui adressa aucun mot. Elle se contenta de revoir les humiliations sexuelles qu'il lui faisait subir depuis trop longtemps.

Tout était maintenant à sa place. Joyeux anniversaire pensa-t-elle.

Il mourut quelques heures plus tard d'une hémorragie interne. Elle fut condamnée pour homicide involontaire d'une peine avec sursis.



Nouvelle de Marie-Hélène



JOYEUX ANNIVERSAIRE     

     
Odile se réveilla pour une fois d’humeur joyeuse. Ce jour était un jour extraordinaire. Un nouveau siècle s’ouvrait devant elle. Une nouvelle page blanche à colorer de sa vie durant encore de longues années. Le petit studio dans la maison de retraite qu’elle habitait depuis trente ans était, comme elle, tout pimpant. Le soleil entrait à flots par la fenêtre ouverte et lui donnait envie de chanter. Bien que chancelante sur sa canne, elle se dirigea d’un pas alerte vers la salle de bain. Là, d’une main tremblante, elle maquilla son visage émacié aux couleurs de l’arc en ciel. Et souligna son regard froid d’un trait d’encre noire. Ha, miroir, mon beau miroir….Au fil des ans, elle n’avait rien perdue de son élégance. Ses pensées s’envolèrent vers Mathilde, sa petite fille. Celle-ci entretenait tant bien que mal la demeure familiale, héritée de ses parents. Elle faisait une guerre quotidienne aux aléas financiers d’une vie d’artiste mais Odile n’en avait cure. Maintes fois, elle avait exigé qu’elle épouse un métier digne de son rang. Artiste ! A cinquante ans, les mains toujours dans la glaise ou les doigts maculés de peinture. Alors que le frais minois de sa jeunesse lui ouvrait les portes de la bourgeoisie, elle avait choisi contre l’avis de sa grand-mère d’être saltimbanque. Crime impardonnable. Et la dernière couleur posée sur la médiocre palette de sa vie était un jeune amant de vingt-cinq ans. Dont sa chère amie Madame Després, lui avait conté qu’il était simple commis et livreur dans la meilleure pâtisserie de la ville. Odile pinça ses lèvres fines dans une moue dédaigneuse. Cette péronnelle n’était pas digne d’hériter de sa fortune. La vieille dame se laissa envahir par un certain agacement. Aussi se prit elle à rêver au fabuleux voyage programmé pour l’été prochain. L’Espagne, avec Clovis, son voisin, à peine âgé de quatre-vingts ans. Il pousserait son fauteuil roulant le long de la promenade, face à la mer, ils dégusteraient de savoureuses paellas dans les meilleurs restaurants de la ville et s’étourdiraient de sangria. Mais, pour l’heure, assise sur son lit, Odile s’impatientait. Une jeune aide-soignante, en retard bien sûr, devait la vêtir de son magnifique tailleur de soie moirée. Puis Mathilde l’accompagnerait vers la fête organisée en son honneur. Et, parée de ses plus beaux joyaux, elle serait la reine de cette journée. Comme à son habitude, elle éblouirait l’assistance de sa tranquille assurance. Toute sa famille serait réunie autour d’elle. Les neveux, les nièces, les cousins, les cousines. Peu lui importait. Fort heureusement, Mathilde avait eu le bon goût de ne pas se reproduire. Odile ne supportait pas les vociférations d’enfants bruyants et mal élevés. Elle-même avait laissé sa progéniture à la garde de nurses grassement rémunérées. Tout en enfilant sa robe légère, elle essaya de deviner la couleur de son gâteau. Au chocolat, bien entendu. Les yeux fermés sur son rêve gourmand, elle salivait et savourait l’onctueuse pâte fondant sur son palais. Elle ferait une entrée triomphante avec Clovis. Et ce n’est qu’après avoir subi leurs discours larmoyants qu’elle leur permettrait de lui offrir une coupe de champagne. Elle choisirait cet instant pour leur annoncer la nouvelle. Elle épouserait Clovis juste avant leur départ pour Barcelone. Elle se réjouissait de leur surprise. Elle se délectait par avance de leur mine déconfite. Enfin habillée, élégamment coiffée, parfumée, elle congédia la jeune fille d’un revers de main, comme pour chasser une mouche inopportune. Mathilde, une fois encore, se faisait attendre. La porte du studio s’ouvrit à la volée. Une femme maigre, à l’air revêche, accoutrée d’un pantalon bouffant et d’une chemise trop grande s’avança. Sans ménagement elle agrippa Odile par les épaules, la fit asseoir dans un fauteuil roulant. Mathilde, sans un mot, poussa sa grand-mère vers l’ascenseur. Arrivées sur le perron du rez-de-chaussée, les deux femmes virent la foule joyeuse et bruyante amassée sur la pelouse. Plus loin, sous les tentes immaculées le buffet attendait les convives. Une camionnette noire, aux couleurs des Délices du Palais, s’engageait à vive allure dans l’allée du jardin. Le dessert aussi était en retard. Odile, le menton fièrement levé, sourit béatement et longuement, salua de sa main gantée les invités. Mathilde, encombrée de la chaise roulante emprunta la longue rampe descendant vers le parc et s’arrêta, essoufflée, dans l’ombre du bâtiment. L’air crépitait de mille applaudissements. Soudain, un crissement de pneu aigu brisa cette harmonie. Sans ralentir, aveuglée par le soleil, la camionnette noire heurta violemment la chaise roulante, épargnant Mathilde qui, bien à propos, se jeta en arrière. Odile, chatoyant papillon dans son tailleur de soie, s’envola vers le ciel, et grimaçant pantin désarticulé, s’abattit sur le silence abasourdi de sa famille. Jamais elle ne dégusterait le moelleux gâteau de son centième anniversaire si promptement livré par le jeune commis du meilleur pâtissier de la ville. Clovis non plus, d’ailleurs.



Nouvelle de Suzanne
A BOUT DE BRAS

Maître Renard se prépare pour son ultime plaidoirie, au Tribunal Correctionnel de Nîmes, avant une retraite bien méritée à taquiner le goujon en Ardèche.
De haute stature, les cheveux grisonnants, une taroupe bien fournie joignant ses sourcils broussailleux, son menton volontaire et sa voix grave mais puissante en imposent.
Ses belles mains manucurées émergeant avec élégance des manches de sa robe d’avocat, ont su bien souvent fasciner et convaincre un jury sceptique, voire récalcitrant.
Seuls ses intimes savent déceler au fond de son regard noisette, un éclat malicieux caractéristique de son tempérament rusé, typique de ses origines Auvergnates.
Ce matin, il doit défendre un jeune homme d’une trentaine d’années, accusé d’avoir dérobé quelques bijoux dans la vitrine d’un bijoutier. Il est vrai que depuis quelques mois, les cours de la bourse s’effondrant, le prix de l’or a flambé, suscitant un accroissement des vols dans les bijouteries ou au domicile des particuliers.
Au cours d’un rapide entretien avec son client, l’avocat expérimenté écoute l’accusé lui relater les faits et en profite pour cerner sa personnalité. Son client lui paraît assez déprimé.
C’est l’heure du procès.
- « Messieurs, la Cour ! »
Les magistrats prennent place.
Pendant que le Procureur énonce les faits en présence du plaignant, l’inculpé fait profil bas.
Devant la multiplicité des vols perpétrés depuis ces derniers mois, le Procureur souhaite faire un exemple.
- « Monsieur le Juge, Messieurs les Assesseurs, Messieurs les Jurés »
- « Il faut que ces vols cessent une fois pour toutes et je réclame une peine minimale de prison de trois ans »
Un murmure s’élève dans l’assistance. La mère de l’accusé, assise au premier rang,
s’effondre silencieusement en larmes. Les épaules du prévenu s’affaissent.
Le magistral avocat s’avance alors pour sa plaidoirie.
- « Monsieur le Juge, Messieurs les Jurés »
- « Je pourrais vous dire, que mon client fait partie de cette jeunesse
actuelle désabusée, sans foi ni loi, qui passe ses journées dans la rue, à la recherche d’un quelconque méfait à commettre »
- « Je pourrais vous dire, que mon client n’a qu’une idée en tête, faire payer aux riches la misère dans laquelle il vit »
- « Non, en vérité je vous le dis, mon client a déjà suffisamment payé à notre société »
- « Suite à un grave accident de la route et une longue hospitalisation, il a perdu son travail, son logement et sa femme l’a quitté »
- « Il vit actuellement chez sa mère qui l’héberge, malgré sa toute petite
retraite »
- « Non ce n’est pas un voleur au sens où vous l’entendez ! Il n’a aucun
mépris ni rancune à l’égard de notre société »
- « C’est une victime ! »
- « Il a juste inconsciemment étendu son bras dans la vitrine du plaignant, pour saisir les quelques bijoux qui y traînaient »
- « Nulle intention malfaisante dans ce geste absolument non prémédité »
- « Ce n’était pas un acte volontaire, conscient »
- « C’est son bras que l’on doit punir et non lui ! »
Avec un sourire amusé, le Juge lui répondit :
- « Bien Maître, utilisant votre logique, je condamne le bras de l’accusé à une peine d’emprisonnement d’un an. Il peut accompagner son bras en prison ou pas, à lui de choisir ! »
A ces mots, l’avocat hilare, s’approche de son client, l’aide à décrocher son bras artificiel, le laisse sur la table et quitte le Tribunal avec son client « libre », et fier du dernier coup d’éclat de sa carrière…



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