04/02/2013 Je connais l'odeur de l'ennui

Proposition : Associer diverses émotions, sensations à des odeurs et plus largement à des ambiances, comme dans l'exemple qui suit:




Ennui
« Je connais l’odeur de l’ennui. Ça sent le parquet ciré, la lessive
St Marc, le linge qu’on vient de repasser, la chaleur du mois
d’août qui passe à travers les persiennes de fer, et le silence.
Au début, cette odeur, je l’aime bien, elle me repose, et puis
elle m'ennuie. »                                        Brigitte Smadja



TEXTE DE SUZANNE : 


Une simple odeur, peut faire resurgir en moi avec une certaine nostalgie, une part de
mon enfance que je croyais oubliée, pourtant engrammée :
- celle du café que je broyais, arc-boutée sur le moulin bien serré entre les
cuisses, attentive au crissement des grains à chaque tour de moulin
- celle du vin d’orange macérant 40 jours dans une jarre
- celle du cornet de marrons chauds acheté au coin d’une rue, qui
réchauffait les mains et le coeur
- celle de l’attente interminable devant le fumet du pot au feu mijotant à
petits bouillons sur le coin de la cuisinière à charbon, véritable supplice
pour ma gourmandise impatiente. Venait enfin l’instant suprême, celui de
déguster en me brûlant la langue dans ma précipitation, la divine moelle
étalée sur une tranche de pain et juste saupoudrée de quelques grains de
sel.
J’ai connu l’odeur de l’ennui, les jours de pluie empêchant la sortie prévue de longue
date. C’est une odeur de poussière recouvrant toute chose, de grisaille délavant
toute couleur, une odeur d’humidité ruisselant dans tout notre corps, une odeur de
lassitude qui freine toute envie de lire un livre ou s’atteler à un ouvrage quelconque.
J’ai connu l’odeur de la honte, les lendemains de dîners trop arrosés, dont il ne
subsistait pour tout souvenir, que quelques pensées confuses, des relents nauséeux
et un violent mal à la tête.
J’ai connu le parfum des matins de déprime, où l’on préfère rester sous la couette,
dans l’odeur moite des rêves sales, de ceux qui tournent en boucle dans la tête,
plutôt que d’affronter le monde en se levant.
J’ai connu l’odeur de la peur de perdre un être cher, avec la sensation subite de se
vider de tout son sang, intestins et estomac révulsés, souffle coupé, tétanisé, esprit
en stand-by, incapable de réfléchir, de prendre de la distance, enfermée dans une
spirale dévorante, la peur exsudant par tous les pores.
J’ai connu l’odeur de l’ivresse, face à la beauté de cimes enneigées, humant à pleins
poumons l’air raréfié, glacial, tout en exhalant une haleine fumante.
Je me suis soûlée du parfum des embruns saturés d’iode, agrippée à la proue d’un
bateau fendant l’eau avec violence.
J’ai senti l’odeur de soufre des instants précédant l’orage, dans le silence terrifiant
avant le déchaînement soudain.
J’ai connu l’odeur de l’abandon aux caresses d’Hélios qui me dorait la peau comme
une brioche, sur une plage de sable blanc.
J’ai connu la senteur subtile d’un brin de muguet, gracile, émergeant tel un petit rat
d’opéra, sur la scène d’une pelouse.
J’ai connu l’odeur des grands départs, quand le stress de manquer le train fait
monter l’adrénaline et allonge le pas. J’ai connu la bousculade des odeurs
corporelles entrechoquées de la foule en transit, l’odeur prégnante d’huile et de
freins chauffés à blanc de la locomotive. J’ai connu l’odeur rassurante de l’être aimé
accompagnant que l’on essaie de conserver jusqu’au dernier instant, qui s’étire,
s’atténue, pour finalement disparaître au moment de monter dans le train et de se
plonger dans un mélange plus ou moins agréable d’odeurs inconnues.
Enfin, j’ai connu la plus merveilleuse des odeurs, celle du bonheur, celle de veiller
mon enfant endormi, fragile et confiant, puis de voir ses yeux s’ouvrir en me souriant.




TEXTE DE MARIE-HÉLÈNE

Je connais l’odeur de l’attente. Ça sent la craie, l’éponge mouillée, le bois ciré, l’amidon du tablier neuf, le soleil frileux. Et surtout le vent qui secoue les marronniers, les feuilles mortes séchées et le feu de cheminée. Mais souvent, cette odeur se délite dans les flèches rouges qui transpercent le cœur d’un cahier neuf. Alors vient l’ennui.

Je connais l’odeur de l’ennui, les coudes sur la table, le menton caché dans les mains paresseuses. Ça sent la bougie parfumée, le thé acidulé, la poussière et les toiles d’araignées des poutres du grenier. La senteur des immortelles défie le temps et le reproche de la pluie gifle les vitres d’un rêve inachevé. Elle berce les aventures d’un tapis volant quand vient la nuit. Et je reconnais l’odeur de la joie, peut-être du bonheur.

L’odeur de la joie, c’est l’eau de fleur d’oranger, les amandes grillées, le sucre chaud d’un nougat blanc et les dents qui pétillent. Ça sent aussi la paille rentrée avant l’orage, les chèvres belliqueuses, le chant des cigales qui se noie dans le grondement sourd des galets malmenés par les vagues. Comme le roulement lourd du tambour de la fête du village. Et les cris d’hommes en colère.

Je connais l’odeur de la colère. Ça sent le vin, la cigarette, la poudre. Ça sent la foudre et le sel des larmes de bambins apeurés. Ça sent les mains moites qui se tendent, qui supplient, qui arrêtent et se ferment. Ça sent mauvais, ça sent la putréfaction, ça sent l’oubli, ça sent l’attente. Et je connais l’odeur de l’attente. 





 TEXTE d'IR :

Je connais l’odeur de l’ennui, ce parfum de solitude dans une bulle, sans obligation, sans mauvaise conscience, libre. Ce territoire sans frontière est balayé par les odeurs de mémoire, les senteurs d’imagination, les vents d’espoir. C’est l’odeur de malabar au milieu des cigares, l’odeur des mangues sous la neige, l’odeur de bergamote qui embaume la chambre à peine éclairée, le lilas en hiver, les fleurs de tiaré dans un paysage où le temps s’est débarrassé de la durée.

Je connais l’odeur d’être mère, le tartine et chocolat sur ta peau transparente, les légumes que je cuis pour tes purées, l’herbe écrasée par tes genoux voyageurs, l’odeur pâle de ces nuits à te veiller, l’odeur chaude du caramel quand je te regarde dormir. Tout à coup je respire le temps qui passe, un parfum d’adolescence, une odeur de solitude écrase mon nez, je n’ai pas retenu toutes les senteurs de ces années avalées. Je prends un flacon, rassemble mes souvenirs et distille l’élixir pour parfumer ma mémoire.

Je connais l’odeur blanche de la peur, l’odeur d’adrénaline. Cette odeur d’acide sulfurique ronge tout. Une odeur froide de métal, une odeur putride, paralysante. L’odeur glacée de la peur refroidit le sang, c’est une contrée de viscères, un relent imprégné dans le corps gelé, une odeur foudroyante, le blizzard dans une nuit d’été, et je m’autorise à dire que ça pue.

Je connais l’odeur de l’oubli. D’ailleurs, je ne sens plus rien. Mon nez est bouché.

Je connais l’odeur de notre amour, je marche le nez en l’air pour la sentir. Souvent pour capter une molécule de cette fragrance j’en perds la vue, je ne suis qu’un nez. Odeur de praline, odeur de ta peau mélangée à la mienne, odeur des grandes forêts, je vis de te respirer, tu sens le miel, la pêche des vergers, l’immense pré. Aveugle de te respirer ainsi, soudain je suis claquée par l’odeur d’un casino où les jeux sont truqués, l’odeur de moisi, l’odeur de fiel. Étonnant  Sans avoir eu le temps d’enfouir le visage dans mon col roulé, je suis écœurée par un parfum entêtant, je suis saturée de tes humeurs.

Je connais l’odeur rouge de la colère, odeur de poudre, odeur de sang, le champ de bataille, l’acier frappé, la lave du volcan,  la fumée noire qui étouffe, le caoutchouc brûlé par un freinage trop brusque, la transpiration froide, les coups de hache sur une porte en fer, le goût salé des pleurs et des regrets.
  

Texte de MISTRALINE :

Je connais l’odeur de la patience. Ça sent la peinture fraîche, la cire d’abeille, les fruits confits et la soupe au pistou. J’ai appris à l’aimer ce parfum entêtant qui libère à merveille les arômes du temps.

Je connais l’odeur de la dépendance ; c’est une odeur de peau, le parfum du tabac, ça sent le sucre chaud et le coca-cola. Se damner pour si peu, comment l’explique-t-on ? Ce si peu est dit-on, la meilleure chose qui soit…

Relent de tabac froid et de transpiration, je perçois les émanations de la désillusion. Ça sent les matins tristes, les haleines fétides, les monologues plaintifs, les encens de l’absence.

Sentez à présent l’odeur de l’ennui, ambiance naphtaline. Un infâme fumet de courgettes bouillies embaume la torpeur des longs dimanche d’hiver, quand la nuit s’invite au goûter. Au début cette odeur, je l’aimais presque, elle me réconfortait, ça sentait « la maison ». Depuis, ça sent l’ennui.

Il est une odeur qui m’échappe, c’est celle de la négligence. Non pas qu’elle soit inodore, disons qu’elle est inconsistante. Comme celle du pain industriel, du parfum bas de gamme, du safran frelaté, il manque l’essentiel : le cœur, le corps, le nez ?

Vous sentez cette odeur de pomme acidulée ? Cette odeur de pétards du 14 juillet ? Et l’odeur des bonbons qui joue sous votre nez ? C’est le parfum de la gaîté qui s’invite au banquet.

Je connais aussi l’odeur de la vie, ça sent le pain grillé, la fuite de gaz, l’huile brûlée, le biberon chaud, la terre mouillée, la vieille poussière et le fumier. Combien d'années faut-il pour les apprivoiser, ces odeurs de la vie ?


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