21/01/2013 Mots inconnus

 Le logorallye est un bon exercice pour l'imaginaire, il permet aussi d'éprouver l'architecture de sa propre narration.
Nous partons tous avec les mêmes mots imposés, des mots rares, oubliés à l'ombre de la modernité :


Obcordé : ÉE (ob-kor-dé, dée) ou OBCORDIFORME (ob-kor-di-for-m'), adj. Qui a la forme d'un cœur renversé.

Lagrimoso : (la-gri-mô-zo), adv. Terme de musique. Mot italien marquant un mouvement lent et une expression mélancolique et larmoyante.

Hallebreda : (ha-le-bre-da), n. m. et f.  Se dit d'une personne grande et mal bâtie.

Blandices : (blan-di-s'), n. f. plur. Flatteries pour gagner le cœur ; charmes, jouissances.
« Je trouvais à la fois dans ma création merveilleuse toutes les blandices des sens et toutes les jouissances de l'âme. » CHATEAUBRIAND.

Taroupe : (ta-rou-p'), s. f. Poil qui croît entre les sourcils.



La figure de rhétorique du jour est la substitution, déjà évoquée dans un précédent atelier.


Texte d'IR :


 La rupture

Cette boite géante, harmonie de verre et de métal, ces plantes obcordiformes, renversement d’amour, couleur d’échafaud, ces bacs alignés comme des tombes, l’endroit choisi pour une mise à mort.
Tu connais les couloirs qui mènent aux aveux. Ton regard de charbon suit, cherche, emprisonne. Tes sourcils liés par la taroupe masculine barrent ton front d’une lame de fer.
Loin de toi les blandices théâtrales susurrées pour prendre.
Loin de toi les sérénades, le temps des lagrimoso- trémolo usés pour méprendre.
Loin de toi le temps des serments.
La musique  joue un air de requiem, une mise à mort orchestrée.
Les mots que tu siffles sont les feux d’un dragon, ils consument l’histoire comme un papyrus brulé de ses mystères. Ils s’alignent dans l’atmosphère comme une hallebreda de paille, poursuivis par le vent. Ils s’écrivent sur le dos courbé.
Un bois pétrifié, un temps suspendu, un rêve dissout.
Les rubans du cœur et de l’âme s’allongent sur la terre de ce tombeau de larmes.
Le passé et le futur sèchent comme un bel été, le présent brûle comme un sacrifice.
La serre de lumière s’habille d’obscurité, le jardin de torture.
La bataille perdue,  le pavillon se baisse, les honneurs funèbres.
La saison dépassée, le règne déchu, les deux êtres sont bannis.



Texte de Suzanne :


Un amour perdu

 Décidé une fois pour toutes à m’extraire de cet état lagrimoso qui me tenait depuis le départ de Juliette, mes pinceaux et une toile dans le sac à dos, je partis dans les Calanques de Piana à la recherche de la beauté.

Pourquoi étais-je devenu obcordé, après seulement six mois passés avec cette Hallebreda ?

Qu’est ce qui m’avait attiré chez elle ?

Ce n’était pas son physique pourtant !

Elle était grande, sans forme harmonieuse, avec de larges mains non manucurées, des jambes à la pilosité abondante et en X, de longs cheveux qui lui mangeaient le visage, mais cachaient ses grandes oreilles en entonnoir. Ses sourcils rejoints en une taroupe fournie, formaient une haie dense au dessus de ses yeux.

Ah, ses yeux…..

Ce sont eux qui m’avaient ensorcelé, les blandices qui avaient mis tous mes sens en émoi.

Ils m’appelaient du fond de leur insondable profondeur, à la rejoindre dans un monde inconnu, un nirvana.

J’étais irrésistiblement attiré, happé par ces abysses. Je souhaitais en découvrir l’étendue, connaître les moindres recoins de son âme.

Chaque jour, je plongeais plus profondément, dans un puissant cœur à corps, espérant découvrir son plus petit secret, ses plus intimes pensées.

Emporté, transporté, j’ai fini par lâcher le fil d’Ariane qui me retenait à la surface et Juliette m’a rejeté comme une brindille à la marée suivante.


Texte de Monique :


POLE  CAFE

Pôle Emploi ayant expliqué à Rolando que compte-tenu de son âge, de sa présentation et de sa mauvaise connaissance de la langue française, on ne pouvait rien pour lui, il sortit découragé du grand bloc de béton où l’architecte avait eu le culot d’orner la façade d’un moulage obcordé.

Rolando entra dans le  bistrot d’en face qui accueillait les malheureux chômeurs. D’une semaine à l’autre, ils finissaient par se connaître mais ne parlaient pas. Le patron héla un Antillais qui, assis devant un verre d’eau, tripotait son harmonica. Joue nous quelque chose qui remonte le moral à tout le monde. Je te fais un café.

Dans son coin, Rolando se faisait tout petit, hésitant à commander un café, encore 1 euro de moins. Il se regarda dans la glace. C’est vrai que sa présentation était minable et il n’était jamais arrivé à faire disparaître sa taroupe, affreux poils roux de son visage.

Séraphin jouait lentement, lagrimoso alors que le patron aurait préféré allegro ! Le maître des lieux en avait marre de ce café qui ne vendait que des cafés. Il n’avait que la rue à traverser pour aller quémander un boulot à Pôle Emploi. Mais il savait qu’il reviendrait déçu dans son ancien café qu’il n’avait pas fini de payer pour…boire un café.

C’est à ce moment là qu’une autre recalée du travail entra. Rolando baissa les yeux tant le choc qu’il ressentit devant cette grande bringue mal bâtie avait été fort. Une hallebreda souriante à laquelle il offrit un café.

Séraphin ayant cessé de jouer, Rolando lui emprunta son instrument. Ce fut magique. Décidé à conquérir cette femme, il déploya toutes les blandices possibles, les yeux mi-clos, chaloupant de table en table et déversant un flot de notes joyeuses jusqu’à un langoureux tango devant la table de sa conquête.

Mais la belle but son café, se leva et, sans un regard à Rolando …quitta les lieux.




  

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