17/12/2012 Gravure d'objets

Aujourd'hui nous suivons les traces de Régine Detambel et ses portraits d'objets.
Le piège à éviter : la narration
La route à suivre : le corps, la chair, le mouvement...



Textes de Catherine


Le tourne-disque

Trente-cinq tours, quarante-cinq tours, il tournoie derviche captif d’une ronde effrénée. Incantatoire. Gracieux dans son costume cérémoniel, il glisse d’abord lentement, puis de plus en plus vite, dessinant ça et là d’immenses arabesques. Infatigable danseur obstiné, il s’enroule, imperturbable  dans les sillons gravés de la surface lisse d’un disque lancinant. Et ça fait comme des ronds dans l’eau. Des arabesques sonores d’ondes noires. Puis, bras et paumes levés, l’oiseau-lyre aux ailes dirigées vers le ciel se condamne à l’extase.  Et son corps aux courbes harmonieuses devient musique. Immémoriale transe charnelle. La raison est ébranlée. Puis tout s’arrête. Le derviche tourneur va se re-coucher.  Silence.


La malle

Marin à quai, elle se tient là,  en bordure, immobile et silencieuse comme oubliée au fond d’un placard. Cabossée de partout, serrure en bouche close, peau parcheminée de rides profondes, elle a l’allure mélancolique d’une vieille femme fanée et délaissée. Mais encore belle.  Sphinge  mystérieuse et énigmatique,  femme- alizée aux ailes d’élytres, pour s’envoler loin…, elle questionne, désormais en attente, le temps et l’espace. Une gageure, pour celle qui s’est fait la malle si souvent !  Et malgré son grand âge, et sa rondeur alourdie ; malgré ses poignets d’amour saillants, elle porte toujours bien.  Fière, elle arbore ses estampilles comme autant de lettres de noblesse et exhibe devant nos yeux ébahis d’impressionnants états de service. Des noms, des lieux des paysages,  des rencontres qui lui collent à la peau … Sur le bout de la langue - mémoire narrative-  un dernier souvenir : Val Paraiso, qu’elle prononce avec une douceur rugueuse, pimentée et néanmoins caressante : - Val Paraisssso.  Et dans son regard, non seulement des mots, mais un souffle de vent venu des profondeurs mystérieuses de l’horizon. Marin en partance.



Textes de Suzanne


LES USTENSILES DE CUISINE


Renflée, dodue, ventrue, aux formes généreuses, véritable poussah, bouddha fessu, elle trône dans un recoin de la pièce à vivre.
Malgré la pénombre, elle irradie et attire irrésistiblement nos regards de convoitise.
Nos mains caressent son ventre replet de femme enceinte, abritant dans ses entrailles le précieux liquide d’or.
Elle exhale des parfums enivrants. Nos narines frémissent et nos papilles frétillent à l’idée des mets savoureux sublimés par l’huile d’olive de la jarre.


Longiligne, élancée, élégante, tournée dans un joli bois d’olivier, la cuillère virevolte, tourbillonne dans un va et vient incessant, sur un tempo effréné.
Soudain lascive, elle ondule des hanches dans un tango sensuel et langoureux, apparaissant et disparaissant au gré des tours, jusqu’à l’ultime, d’où elle émerge victorieuse, drapée d’une sauce onctueuse.


Ses quatre griffes fortement plantées, retiennent prisonnier dans ses serres, le morceau choisi avec soin, qu’elle offre à son bourreau d’amant.
Le couteau s’en saisit aussitôt, tranche, coupe, décapite, étête, éviscère, dépèce.
Une fois l’opération terminée, l’amante diabolique arbore fièrement l’objet du sacrifice et le présente aux lèvres du gourmet.



Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

05/10/09 Après le tremblement

12/06/09 La fille d'acier

03/05/2011 Notes de chevet