4/11/2012 Question de style

I/   LES EPIPHANIES de Henri Pichette,  un motif lyrique instantané :


« Néanmoins, la vie sera élucidée.
Car à vingt ans tu optes pour l'enthousiasme, tu vois rouge, tu ardes, tu arques, tu astres, tu happes, tu hampes, tu décliques, tu éclates, tu ébouriffes, tu bats en neige, tu rues dans les brancards, tu manifestes, tu lampionnes, tu arpentes la lune, tu bois le lait bourru le vin nouveau l'alcool irradiant, tu déjeunes à la branche, tu pars à la découverte, tu visites l'air les champs les ruines les métropoles les stades et les musées les jungles et les églises les arènes les volcans les chutes les fjords les oueds les lagunes les bayous les caftons les toundras les déserts les grandes salles des châteaux les jardins suspendus les pyramides les mégalithes les catacombes les cavernes ornées les blanches montagnes les théâtres étoilés la mer Océane, tu bolides, tu pagaies, tu varappes, tu dribbles, tu crawles, tu voles à voile, tu hameçonnes les filles, tu t'amouraches, tu gamahuches, tu renverses la vapeur, tu déploies les couleurs, tu dérides les bonzes, épouvantes les bigotes, scandalises les vieux birbes, tu convoles un jour dans l'infanterie un jour vers les oiseaux-lyres les aigles-bugles les cygnes au cri de cuivre un jour avec les clartés furieuses les splendeurs d'ombre la nature, tu idéalises, tu ambitionnes, tu adores, tu détestes, tu brilles.
A quarante ans je te retrouve rongeant ton frein, tu fondes sur la sympathie, il y a un cerne noir à toute chose, tu déshabilles du regard, tu convoites, tu prémédites, tu disposes tes chances, tu te profiles, tu places ton sourire tes phrases tes bouquets tes collets tes canapés, tu estimes, tu escomptes, tu commerces, tu carbures à prix d'argent, tu te pousses dans les milieux, tu médis du tiers et du quart ou fais du plat selon le rang, tu arroses, tu gobichonnes, tu prends du ventre, tu prends des mesures, tu prends médecine, tu te mets au vert, tu récupères, tu remets ça, tu enrobes et te lisses le cheveu, tu ne veux pas avoir l'air, tu opères comme en glissant, tu serpentes, tu attaques par le faible, tu escarmouches à petits coups de champagne, tu endors les chagrins, tu tamises les lampes, tu officies sous le manteau de la nuit... mais se réveiller : la grisaille la routine les manigances la vacherie... comme tu voudrais un jeu neuf! que s'il te l'était donné, tu laverais les sons, ressourcerais les images, procéderais à la toilette des Muses des Grâces des bonnes fées, or tu dissèques, tu calcules, tu cogites, tu épilogues, tu fais silence.
A soixante ans tu dates, tu radotes, tu perds la main l'ouïe tes dents, le cœur te faut, les jambes te flageolent, tu tombes en faiblesse, encore un peu et tu retombes dans une enfance touchée à mort. »



Texte de Marie-Hélène

Tout s’éclaire à la fin

 A vingt ans, tu musardes, tu mansardes à la cime des arbres, tu détentionnes, tu acquisitionnes les rires, les rites, tu enjolives, tu minimises toutes les bêtises, tu implores, tu bois le monde à ta source, tu récréatives devant un café, la fumée de la liberté jaunit l’ombre d’une moustache, tu siffles, tu zieutes, tu peuples avec ta meute les rues, les ruelles, les bancs, les places, l’espace, tu solutionnes la faim, les guerres, la misère, tu retentis, tu glousses, tu ricoches sur ton téléphone, tu copies-colles avec ton clavier, tu t’ébroues, tu bouscules, tu cherches, tu déranges, tu exaspères, tu inventes les toujours les jamais les encore l’amour l’amitié la mode les mots les idées le jour la nuit les étoiles, tu abrutis le soleil la lune les profs les parents, tu t’incrustes, tu pars, tu reviens, tu es le seul le vrai l’élu, tu ronronnes, tu peluches encore le nounours de ton enfance, tu sais que la terre sans toi ne tournerai pas.

A quarante ans, tu socialises, tu exerces, tu bureautises, tu thésaurises, tu théorises tes enfants, ton chien, ton jardin, tu cisailles ta haie tes idées tes amis ton patron, tu pommades ton sourire tes voisins ton banquier, tu canalises tes espoirs tes rêves ton ambition, tu juges, tu ordonnes,  tu réalises, tu concrétises, tu concèdes de temps en temps, tu avances, tu cours, tu n’as jamais le temps, tu éduques, tu sais pourquoi pour qui comment, tu papotes, tu popotes le sud l’orient l’occident, tu perds le nord à l’ombre d’un sourire d’un verre d’un éclair, tu culpabilises tes rondeurs, tu régimes ta vie, tu imites tes vingt ans, tu éparpilles la fourmilière, tu vas et viens, tu t’insinues dans tes phantasmes tes livres tes magazines tes aventures tes lendemains tes résistances tes pantoufles, tu pardonnes tes erreurs tes errances tes vacances, tu expliques, tu t’embrouilles, tu abandonnes, tu dérides ton nez tes yeux tes seins tes hanches ton passé, tu te projettes, tu rêves de pays lointains de plages blanches d’océan d’inconnus de volcans, tu fermes les yeux sur le quotidien, tu t’économises, tu sommeilles, tu attends patiemment une nouvelle vie un nouvel envol.

A soixante ans, tu te réveilles, tu entres en partance, tu libères tes valises, tu trekkings, tu dors sous la tente, tu partages le thé le sable les pyramides les neiges éternelles les quatre coins du ciel, mais tu pillulises en cachette en silence, tu serres les dents, tu tends l’oreilles, tu comptes les battements de ton cœur, tu fatigues, tu souffles, tu temporises, tu regardes en arrière, tu sers ton enfance dans tes mains diaphanes et tes doigts recroquevillés, tu regardes les nuées et tu as peur.



Texte d'Evelyne :

Alors ? Dis moi, c’est comment ?

A vingt ans tu engloutis, tu dévores les banana-split les nuits et les jours, tu vis la nuit, tu écarquilles les yeux le jour, tu chines les bons plans, tu picnic les amours, tu rockn’roll et tu salsa, tu escalades, tu éclabousses le soleil, tu tributes pour garder le contact.
A quarante ans, tu rétrécis, tu rassembles ta petite tribu sous tes ailes, tu récapitules, tu fais des listes, tu organises, tu fais un pas de côté, tu laisses la place au soleil, tu restes dans l’ombre.
A soixante ans tu perds les listes, tu les oublies enfin, tu explores les nouveaux mondes, tu trouves la lampe magique, tu t’arc-en-ciel, tu te kaléidoscopes, tu fredonnes des notes souriantes et tu t’envoles avec le génie de la lampe pour choisir la suite du menu, t’enivrer des fumets, te lécher les babines de toutes les saveurs passées mijotées pour le festin à venir.


Texte de Mistraline :

Parce qu'il faut bien vivre

C’est sûr c’est à vingt ans que tu empruntes le chemin le plus chaotique, tu t’étourdis tu t’égaies tu t’éloignes tu divagues et tu délires tu fais n’importe quoi tu pars jouer du pipeau sur la colline tu te montes la mayonnaise en épingle  tu frétilles en faisant des queues de poisson tu bois de la marquisette tu te bourres le pif, tu dors le jour, la nuit tu visites Vénus, Bacchus et Cupidon, tu vois mille chandelles, tu t’y brûles un bout d’aile tu papillonnes tu tombes à pic en désamour, tu tombes tu tombes tu tourbillonnes dans le ciel sombre de tes amours.

A quarante ans voilà que tu as pris de nouvelles manies de nouvelles résolutions de nouvelles formes de nouvelles envies tu rafles tout ce qui est à ta portée mais tu convoites quand même ce qui est hors de portée, tu luttes contre le temps contre les sillons que tracent tes dérapages contre les creux qui débordent contre le changement contre l’humanité, contre toi-même contre le manque de sommeil, le manque d’argent, le manque de joie, tu domptes tes peurs et tes désirs tu apprivoises tes lendemains tu dénonces ton époque mais tu cours à bout de nerfs à bout de souffle tenant à bout de bras un destin illusoire.

Enfin tu as soixante ans ! Te voilà heureux léger vif pétillant, sans encombre et sans attente sans attache et sans complexe tu vis bien, tu te ménages, tu te bichonnes, tu t’écoutes, tu te régales et tu savoures, chaque bouchée, que la vie te glisse en douce.


II/ Portraits de Maîtres et de Maîtresses

Texte de Marie-Hélène

C’est que la maîtresse était  une dame pas comme les autres. D’abord c’était un homme ! Grand, maigre, chauve, prisonnier d’une  blouse grise, râpée, trouée, rapiécée, tâchée, hermétiquement fermées par des boutons nacrés. Son long nez chaussé de lunettes rondes coulait hiver comme été dans un vieux mouchoir à carreaux. Il était aussi humide, pierreux, moussu et verdâtre que les murs de la cour de récréation. Il y poussait ses grosses galoches et son air pincé, carnassier, accusateur, fouineur. Sa règle en bois scandait ses pas. Et il attendait le moment propice pour en cingler nos petits doigts serrés, craintifs, malmenés, innocents mais toujours fautifs d’un gros pâté sur une feuille immaculée. Jamais il ne souriait, ne riait, ne se marrait, jamais il ne jouait à colin-maillard ni à la marelle ni à saute mouton ni à la balle au prisonnier. Et même en rêve, jamais le loup ne l’aurait dévoré, l’éléphant piétiné, la cloche assommé, la voiture du boulanger écrasé. Jamais !

Mr Lunier était toujours mal luné, jaloux, énervé, excédé de nos balbutiements et ânonnements. Heureusement, l’heure du goûter nous délivrait. Alors, nous nous jetions dans les jupons de nos mères, rieurs, vainqueurs, essoufflés et affamés mais toujours instruits malgré nous.


III/ Un pas vers la simplicité

Texte de Marie-Hélène 

Il est timide, Alain

Il est interne

Nous sommes dans la même classe, en terminal, depuis 6 mois et il n’a toujours pas d’ami.

A part moi

Il ne participe jamais à voix haute à un cours, ne lève jamais le doigt

Il adore l’allemand Alain

Pendant la récréation, assis au pied du marronnier épaule contre épaule, il me fait réciter nos déclinaisons, nos conjugaisons. D’une voix grave il corrige patiemment mes intonations.

Il est comme ça Alain

Patient, doux, gentil

Et pendant un cours d’allemand, devant toute la classe et la prof, je l’ai entendu Alain, me dire « Ich liebe dich » Enfin !


Texte de Mistraline :

Elle est fascinante Annabelle.
Elle est portugaise.

En classe nous sommes assises, l’une à côté de l’autre.

Quand la maîtresse nous a demandé ce qu’on voudrait faire plus tard, Annabelle a répondu qu’elle serait star.
Ça nous a tous cloué le bec.
Elle avait dit ça comme  une évidence.
Le pire, c’est que c’est devenu une évidence pour toute la classe.

Il n’y avait qu’à la regarder pour en avoir la preuve : elle avait des cheveux de poupée, longs, bouclés, brillants, du maquillage, de beaux vêtements et même des soutiens-gorge  de dentelles.

Nous autres on ne connaissait que les culottes Petit Bateau, les thermolactyls sous nos chemisiers et les collants en laine qui nous entravaient l’entre cuisses, si bien qu’on passait nos récrés à les remonter entre deux sauts à l’élastique.

Annabelle ne sautait jamais à l’élastique, c’était un truc de gamine. Elle, elle passait ses récrés à prendre des poses avantageuses entre le grand cyprès noir et la cour des garçons.

L’année suivante, nous avions tous grandi. Et l’année d’après encore davantage.

Annabelle elle aussi avait pris de beaux centimètres. C’est juste que les siens se bornaient à l’horizontale, enrobant hanches, cuisses, ventre, fesses de quelques épais centimètres.

Ainsi le sort semblait s’acharner pour mettre en péril son destin tout tracé.

La star en devenir n’excéda jamais le mètre cinquante et n’accéda pas non plus au star system qui a une sainte horreur du centimètre horizontal.

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