18/11/2012 L'écriture surréaliste

L'écriture surréaliste suppose un réel lâcher-prise.
Pour s'essayer à ce genre, le mieux est de commencer simplement, en faisant le portrait d'une ville ou d'une personne. Exemple avec ce poème sur la cité phocéenne :


MARSEILLE

Marseille sortie de la mer avec ses poissons de roche, ses coquillages et l'iode. Et ses mâts en pleine ville qui disputent les passants. Ses tramways avec leurs pattes de crustacés sont luisants d'eau marine, le beau rendez-vous de vivants qui lèvent le bras comme pour se partager le ciel. Et les cafés enfantent sur le trottoir hommes et femmes de maintenant avec leurs yeux de phoshore. Leurs verres, leurs tasses, leurs seaux à glace et leurs alcools.

Et cela fait un bruit de pieds et de chaises frétillantes.

Ici le soleil pense tout haut, c'est une grande lumière qui se mêle à la conversation,
Et réjouit la gorge des femmes comme celle des torrents dans la montagne,
Il prend les nouveaux venus à partie, les bouscule un peu dans la rue,
Et les pousse sans un mot du côté des jolies filles.
Et la lune est un singe échappé au baluchon d'un marin
Qui vous regarde à travers les barreaux légers de la nuit.
Marseille, écoute-moi, je t'en prie, sois attentive,
Je voudrais te prendre dans un coin, te parler avec douceur,
Reste donc un peu tranquille que nous nous regardions un peu
O toi toujours en partance
Et qui ne peux t'en aller,
A cause de toute ces ancres qui te mordillent sous la mer.

Jules Supervielle



Texte de IR


L'archipel des Marquises

Confidentielle et fascinante érection de pics bousculés par un océan pacifique qui dévore tes falaises de rose tourmenté. Alors que le chant sourd des guerriers maoris monte de ta pierre tatouée, écrasée de moiteur ancestrale, tu renverses la course mêlée de chevaux évadés de leur servilité et accroche aux totems enracinés la gloire des désirs libérés. Tu empales tes femmes lascives aux troncs des flamboyants, les couronnant de tiaré entêté de croyances mêlées, de viol héréditaire, de dévotion hâtée.
A jamais secouée,  ébrouée de violence, torturée de douceur, tu laisses dans le sillage une empreinte cannibale pour redorer le soleil et verser ton sang dans le calice de cette immensité, abreuvant ainsi la pieuvre tentaculaire des territoires secrets.


Texte de Nico


Amsterdam

Amsterdam, ville fondée sur la rivière tombeau de tes habitants des grands siècles pestiférés; pourriture de base, nourriture de vase. Tes mâts inverses qui portent tes maisons phtisiques et ton château pleurard.
Les hosties volantes de tes églises à la lumière obscure, les nonnes mortes sous dalles mollasses.
L’armée de prêtres lascifs qui couvrent le quartier rouge de mollusques, courants de porte à porte avec leurs mollets de coq, chantant leurs psaumes paillards.
La police montée herse les rues, les quais, les ruelles, en nourrissant les touristes qui pullulent dans toutes les saisons mouillées de tes années sans jour.
O, ville descendante, effondrement durable, creusée, tournée, pompée à l’infini, quand seras-tu ma compagne en paix, sous feuillages verts, sous lumières onctueuses, sur une terrasse privée de connards ? Quand pourrons-nous partir ensemble, chercher les collines des pieds secs, les parcs des princes destitués, les allées vides, les places peuplées de gens d’ici ? Buvons le vin poudreux de tes étoiles. Soûlons-nous de tes souvenirs oubliés.


Texte de Suzanne

LYON

La ville tentaculaire se mire dans l’eau glauque du fleuve et de son affluent, déformée au gré du courant, hydre ou monstre baveux éructant ses lourdes péniches. Ces grumes flottantes, ou crocodiles à demi immergés, glissent lentement, sournoisement, à l’affût d’une proie. Habitées de fourmis s’agitant en tous sens, qui à la manœuvre, qui à l’étendage d’hirondelles serrées sur le fil avant leur migration, elles sont passées, sans voir tout là-haut, l’édifice religieux qui veille avec la sagesse d’un Bouddha, sur la ville endormie.

Une brume légère, spectrale, s’élève du fleuve, se déchirant au fur et à mesure de l’apparition du Roi soleil. Une joute céleste oppose un instant, l’astre lumineux et la vierge d’or, sous l’arbitrage de Saint Michel.

Dans l’entrelacs grouillant des ruelles serpentiformes, catacombes vivantes, le petit peuple s’éveille, part au travail, cachant dans les sombres traboules, un  manque chronique de sommeil, étirant avec une lenteur d’Aï, des membres endoloris. Le ténia de métal engloutit aussitôt dans ses entrailles, les bêtes de somme déjà  épuisées par la dure journée qui les attend. Ces abeilles ouvrières, descendantes des Canuts, savent qu’elles doivent toujours plus besogner, pour alimenter leur Reine insatiable.

Délaissant les oripeaux pour la riche soie, les Lyonnais se réapproprient leur ville en fin de semaine. Ils hument son humidité constante, sortent victorieux d’un mortel combat au cœur de l’amphithéâtre gallo-romain, dénichent après une course effrénée dans le labyrinthe du quartier Saint Jean, le trésor, le meilleur « bouchon », s’attroupent devant les facéties d’un singe au Parc de la Tête d’Or, ou s’élèvent grâce au mille pattes jusqu’à Dieu.




Portrait surréaliste de Monique

QUI ?

Elle biche, la biche qui vole
Ses yeux perlés tirent la langue aux gens
Les mots lui bouffent la vie
Son perroquet les répète
Il en a eu marre
Il est parti avec la chienne
Ils sont à la SPA

Les yeux de la biche s'agrandissent à chaque épreuve
et rient quand il pleut
Tant d'amour pour des signes
Sur un papier d'Arménie qui sent le génocide
Un jour les mots se rebelleront
Sortiront de leur châsse de papier
Et lui cracheront à la gueule

La biche fuit en chantant
Et se retrouve dans les bras d'un micocoulier
Qui joue de la guitare
Et elle chante, elle chante
Encore les mots, le plaisir
Encore les maux, la douleur
Addiction
Attention à l'overdose
Verlaine a écrit :
"La vie est là, simple et tranquille".



Texte de Mistraline

Tumultueuse Istanbul, méduse lumineuse, opaque et lisse, paisible poudrière dont les troupeaux diurnes piétinent la bravoure.
Des bouledogues enturbannés jouent des coudes pour lécher tes grenades juteuses. Des chats en haillons habitent tes trottoirs putrides. Des moules à l’agonie attendent l’estocade d’un citron magnanime. Des rats polyglottes organisent des tournois de poker sur tes quais.
Tu te répands entre deux rives, et au milieu coule une dérive : le Bosphore.
Des cygnes vaporeux s’y relaient, des crickets grincheux portent des disques fumants, des fumeurs heureux font pousser leurs moustaches au vent.
Dans ton ciel des boules de coton estompent le bleu trop ardent.
Au loin, tes goélands féroces piquent du bec sur des kebabs clandestins. Dans un halo de vapeur bleue, des tulipes en ballerines hochent la tête, hochent la tête.

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