14/10/2012 Mots à mots
1/ Poésie : de l'esthétique des mots
Moi Etranger
Dans ce pays nouveau les mots sont comme des petits plats,
Petits plats bien cuits ou al dente, on les sert sans peine dans tous les états.
Les gens sont tous chef de cuisine, maître de l’art culinaire
Et quand on est à table on arrose ses histoires avec un bon verre.
Moi étranger, je n’arrive pas à assouvir ma faim,
Je rumine mes mots mal cuits, mes phrases mal assaisonnées.
Je copie le livre de cuisine de Virginie, qui me l’apprend,
Mais que sais-je des agrumes, du persil, du thym et des féculents ?
Mes mots ne sont pas miel, mes phrases pas à point,
Mais comme les gens d’ici s’embrouillent quand ils se mettent
à concocter de mon pays quelques recettes !
Alors leurs plats ratés sont dingues dans mon pays lointain.
Nico
Ce soir je serai…
Se confectionner une robe c’est
comme écrire un poème.
Imaginer la texture d’un poème
qui aurait de l’allure,
Choisir l’étoffe et les mots
colorés
Tailler en deux coups de ciseau
le patron désiré
Coudre à grands points de bâti le
contour des mots dits
Et rapidement essayer les mots
choisis.
Ajuster et reprendre l’ourlet
Ajouter la longueur des rimes brodées.
Un point en avant, un mot en
arrière
Les mots sont piqués et assemblés
vers…
Le moment royal !
Se glisser dans le poème en dansant
Et s’en aller au bal en chantant.
Evelyne
Big Bang
Il est des jours il est des nuits où tout nous fuit entre les doigts
Il est des jours couleur bitume – il est des heures de lassitude.
Le don de soi – le don de foi – les mots ronronnent par habitude
Les mots murmurent – les mots rigolent, les mots se murent
Se mûrissent, s’épanouissent – mots florilège d’arpèges qui se noient.
Mots brasier, mots éclatés – la vie s’écoule – le fil se tend,
Mots de tendresse – vile pécheresse de mot qui mord et qui se fend.
Les cris s’effeuillent et se distillent – lèvres gonflées, ventre tendu,
Les larmes égrènent le temps qui passe comme rosée tant attendue.
Le souffle court – Oh maux des hommes, soudain entoure
Couleurs ténèbres – sombres morsures que l’on célèbre ;
Nausées d’espoir, hélas futiles, de solitude en ma demeure ;
La femme enfante dans la douleur, la vie renaît, la femme se meurt.
La colère gronde de par le monde. Le tonnerre fronde, éclate et tombe.
Francine
Gemme les mots
Mots enfouis au tréfonds de soi, à redécouvrir dans la joie.
Mots enfouis au tréfonds de soi, à redécouvrir dans la joie.
Ou brillants, scintillants, voire étincelants.
Qu’ils soient très durs ou doux, ils résonnent fort en nous.
Chaque mot quel que soit son sens, très longtemps on y
pense.
Ils nous enorgueillissent, ou nous embellissent.
Mots ciselés avec douceur, ils nous emplissent de bonheur.
Suzanne
Avant de bâtir commence par t’assoir
Démolis, terrasse et nivelle pour fonder sur une assise de mots solides
Par des moellons rejointoyés maçonne le corps des murs
Conte-toi mots et merveilles quand l’édifice s’érige et monte au ciel
Echafaude des mots longs pour structurer l’œuvre
Mélange les mots doux pour donner du liant au chef d’œuvre
N’oublie pas les mots d’humour qui soudent l’effort des hommes
Ni les mots qui brillent et font rêver tandis que l’on bâtit
Utilise des mots simples et clairs pour être bien compris
Si tu ferraille que ce soit uniquement pour raidir les poteaux
Evite les mots qui fâchent, l’harmonie est nécessaire au travail d’équipe
Si les astres te sont favorables, au soir, tu auras achevé une belle tour de Babel.
Henry
Les mots pour des maux
Quels sont les mots pour encadrer nos maux ?
Mots sur la vie, mots sur la mort, mots sur le mal.
Le mal, les maux, l’angoisse, sont-ce que des mots ?
Module de soins, module d’accompagnement, module d’aide,
Tout n’est qu’apprendre, apprendre à réagir, à agir, à
comprendre,
Mais qui a-t-il à apprendre si ce n’est apprendre à aimer
l’autre avec ses maux.
Eveiller nos sens à la souffrance de l’autre, sensiblerie ou
empathie ?
L’autre avec ses maux, une part de nous même ? Reflet
de nos peurs ?
Peur des maux, peur de le dire, peur de la mort ?
S’éveiller à la vie commence par des maux
Quitter la vie se termine sur des maux.
Alors y a-t-il des mots pour mettre sur nos maux ?
OUI ET NON
Heureux
d’avoir été savouré sur nos palais sucrés,
Et dégusté
par Monsieur le Maire et nos délicates familles,
Ce mot
succulent, ce mot exquis, ce mot raffiné,
Nous guidait
vers le fumet du buffet qui aiguisait nos impatientes papilles.
Délicatement
décortiqué, découpé et lardé,
Avec une
pincée de gingembre, il fut mis à rissoler
A petit feu
sur le piano de nos vies mélangées.
La
cuisinière fut troussée comme une tourtière,
Et le mot
fut dilué, bouillon dans une soupière
Trop parfumé
d’un oignon qui nous fit pleurer.
La
mayonnaise est retombée, la disette a roussi le papier signé.
Friandise
devenue rance, cristal d’un Champagne éventé
Le Oui
faisandé fut relevé par la pointe de piment
Du Non
épicé, acidulé et tellement gourmand.
Alors je me
racle le gosier, et dans un sourire poivré
Je te sers
le dessert sans sucrier ni crémier,
Juste une
écuelle, une pétillante piquette dans un verre ordinaire :
Je m’en
vais.
Marie-hélène
Les mots prêts-à porter
Je sors mes mots du coffre :
Je les découpe, je les ciselle, je les entoure de dentelle.
Longs
rubans de mots satinés, si prompt à s’échapper,
et
lourds mots de velours, clinquants et tapageurs.
Ou
bien ces cache-cœur, ces mots tremblants de peur.
Puis
les mots en lamés… les brocards, les
mots dorés pour briller tard.
Les
mots en toile de bure pour résister au temps,
contre
ces mots d’avant, délavés par l’usure.
Viennent
les mots de soie, sauvages et hardis,
mots
de cuir et d’émoi, aux cadences alanguies.
Alanguis
et suaves dans des drapés lascifs, des mots sans âge, sans passif.
Des
mots que l’on épie sous toutes les coutures,
Car
ourlés de savoir et cousu de culture.
Mistraline
2/ Autofiction : Inventer son premier souvenir de rédaction
Texte de Henry :
Tabliers noirs et galoches ferrées, c’est la rentrée.
C’est la rentrée, les marronniers sont roux et la nuit tombe
tôt.
L’instituteur monsieur Betbéze, drôle de nom disait ma mère,
avait choisi comme thème de première rédaction : « Racontez vos
vacances. Point »
Ce sujet devait faire parti des instructions de Jules Ferry
, tous les éducateurs de l’école publique s’y conformaient.
Mes vacances s’étaient passées chez une vieille tante, en fond de Bretagne
crachineuse et réfrigérée. Heureusement mon grand père, que je n’ai pas connu,
avait laissé dans le grenier une grande armoire débordant de livres éclectiques
et de dictionnaires exotiques.
Il avait été shipchandler sur le port de Brest et parlait
plusieurs langues, huit disait la
légende familiale.
La pièce était dans la pénombre d’un vasistas et embaumée
par un tas de pignes de pin servant à allumer le feu. Une cascade de soleil
jaillissait du vasistas faisant danser des poussières d’or et tombait sur un
fauteuil profond de velours rouge qui invitait à s’assoir.
Mes journées étaient réglées : promenade matinale pour
prendre l’air et acheter le pain, puis quartier libre, c’est les vacances.
Ma brave tante continuait à vaquer au soin de son ménage.
Je passais le plus lumineux de mon temps à découvrir les
merveilles de l’armoire d’Aladin :
Des récits de voyages, des aventures d’explorateurs, des
dictionnaires Russe/Espagnol, Italien /Allemand ou les mots se répondaient mais
sonnaient bizarre.
Racontez vos vacances !
Devant l’indigence du réel et la richesse du monde écrit je
décidais d’écrire un récit
autofictionnel, mot que j’ignorais à l’époque et jusqu’à très récemment.
La tête encore pleine de mes lectures je racontais mes
aventures dans une Bretagne bigoudène du cheval d’orgueil avec ses foires aux bestiaux, ses autobus bringuebalant
s chargés de cages à poulets, des chapeaux ronds et des coiffes
en dentelles.
Des récits dramatiques de marins hauturiers morts sur des
bancs de morues à Terre Neuve.
Nous étions dans les Hautes Pyrénées et beaucoup n’avaient
jamais vu la mer.
Mon récit fit sensation y compris sur Monsieur Betbéze qui
lut ma copie et me gratifia d’un neuf sur dix ;
Je n’eus pas le sentiment d’avoir menti, j’avais simplement
rêvé ma vie.
C’était les vacances que j’avais réellement passées dans mon intimité, un monde que
j’avais découvert et dans lequel je vécus encore longtemps.
Texte de Joelle :
Sur un nuage
La journée s’annonçait belle pourtant. Soleil et gros nuages à larges volutes se promenaient dans le ciel.
Voilà que madame Pique, qui pique à la mécanique, c’est son surnom, nous dit de sortir nos cahiers.
- « rédaction surprise dit-elle d’un ton revêche.
- « à quoi vous font penser les nuages ? »
Le nez en l’air, mâchonnant mon crayon je me dis :
- « à rien, ce sont des nuages. C’est nul cette rédac ! ou peut être à des fantômes qui se transforment en s’étirant et en s’enfuyant. C’est vraiment nul ! »
Ma gourmandise naturelle, celle qui m’a donnée de si belles joues, se pose sur mon épaule et me susurre à l’oreille :
- « pourquoi pas des gâteaux pleins de crème chantilly ? »
Immédiatement je me retrouve devant la devanture de la pâtisserie, les fines odeurs de pate chaude frétillent à mes narines, les énormes meringues me font un clin d’œil, les gâteaux dorés et parfumés m’invitent à entrer. Je salive.
- « alors Joëlle ? »
- « une tarte à la fraise avec beaucoup de chantilly…
Et un hurlement de rire me fait dégringoler de mon nuage.
Texte de Suzanne :
Quasi amnésique de cette partie
de moi qu’est mon enfance, il me faut faire de véritables acrobaties mentales,
un grand huit, des loopings, pour retrouver ne serait-ce qu’un petit souvenir
scolaire.
Toutefois subjuguée toute petite
par les livres, dans lesquels je pouvais vivre une autre vie que la mienne,
j’étais plutôt attirée par le français et les rédactions. Il me vient en tête
l’une d’entre elles, intitulée comme suit :
Séance chez le
coiffeur
Je décrivais alors l’arrivée de
ces dames qui s’étaient habillées pour la circonstance et qui dès l’entrée dans
le salon, commençaient à pérorer en minaudant. Elles n’oubliaient jamais de se
moquer des uns et des autres, de colporter la plus petite rumeur. Derrière
leurs mains, à mi-voix, elles chuchotaient avec des mines de
conspiratrices : « Vous savez que… » ; « Vous avez appris
que… » ?
Leur tête couronnée d’énormes
bigoudis qui tiraient leurs cheveux, laissaient apparaître leur pâle cuir
chevelu. Ces bigoudis étaient quelquefois eux-mêmes surmontés de lourds
bigoudis chauffants pour les permanentes, leur donnant un aspect de monstre.
Ainsi équipées, elles s’endormaient la bouche ouverte, telles des carpes en
quête d’oxygène, ronflant parfois, dans la bienfaisante chaleur du casque séchoir.
Peu leur importait le résultat
final, avoir une tête de loup en guise de coiffure, une tignasse d’un orange
agressif ou bleutée, ou de ressembler à un caniche aux boucles soyeuses. Non,
ce qui comptait par-dessus tout, redressant fièrement la tête en sortant, c’est
d’avoir pu papoter et médire quelques heures et que le village entier sache
qu’elles sortaient de chez le coiffeur !
Si ce devoir a obtenu une bonne
note, ma maîtresse n’en a pas moins déserté à partir de ce jour là, le salon de
coiffure du village, pour se fondre dans l’anonymat de la ville voisine.
Texte de Francine :
Après le décès de mon père, j’ai trouvé au fond d’un tiroir, une
feuille de cahier quadrillée précieusement conservée.
Méticuleusement, j’ai déplié ma découverte, sous mes yeux étonnés j’ai
déchiffré les quelques lignes laborieusement rédigées.
Une marge de trois carreaux tirée à la règle, au crayon rouge, sur le
côté gauche, et un titre bien centré souligné d’un double trait.
Les majuscules en retrait qu’une main malhabile avaient dessiné,
donnaient naissance à un texte court et sans rature, terminé par un point final
fortement appuyé.
Le sujet me replongea au temps de l’innocence et des jeux
enfantins : « Décrivez votre futur métier ». Je me rappelai
alors qu’avec beaucoup de sérieux j’avais écrit : « Quand je serais
grande, je serais dame-plume »…..
Les images des défilées du carnaval de Rio entrevues à la télévision
m’avaient fortement marquées, et le summum pour la petite fille aux tresses
sages, était ce foisonnement de couleurs et de musique, de rires et de folie.
Savoir que mon père qui me reprochait ma timidité, mon sérieux et mon
enclin pour la solitude avait gardé cette déclaration fanfaronne, comme il a dû
silencieusement rigoler et de moquer de l’adulte incolore que je suis devenue
et qui a oublié ses rêves d’enfant.
Texte de Mistraline
Je suis dans la classe de CM1 de Mme
Baudoux, ma nouvelle maîtresse. Son nom apprivoise ma peur ; il augure du
beau et du doux. Lorsqu’elle apparaît dans la cour, sa bonhomie me rassure, sa
blondeur adoucit mes craintes et sa voix balaye mes dernières réticences, je sais que je vais l’aimer. Même si ses
sujets de rédactions grilleront une à une mes cellules grises…
Premier sujet, à faire pâlir un
scribe du temple d’Amon : vous êtes un manchot empereur, décrivez vos
journées.
Prise dans un tourbillon de
panique, je vais le lire et le relire à m’en user la rétine. Mais j’ai beau
faire chauffer les circuits, le
quotidien du manchot empereur sonne creux dans ma boîte à histoires. Est-ce
qu’il va au monoprix comme mamie le manchot empereur ? Est-ce qu’il mange
des œufs mimosas comme moi ? Est-ce qu’il a construit sa maison tout seul
comme mon papé ? Plus je réfléchis au manchot empereur et à sa vie, plus je
pense à la mienne de vie.
Mamie qui comprend tout, décide de
m’aider pour cette première rédaction de l’année ; elle voit bien que ça
me travaille au corps cette histoire de manchot empereur. Un soir en rentrant
de l’école, je découvre un paquet cadeau sur mon lit. Ça vient de mamie, elle
m’a trouvé un manchot empereur en peluche. Il y a un petit mot avec :
« Ma Nini, voilà un nouvel ami ! Si tu sais t’y prendre, il te
racontera tout de sa vie. »
Qu’est-ce que je suis heureuse et
tellement soulagée ! Je prends Gaspard sous le bras – dès que je l’ai vu
j’ai su qu’il s’appelait Gaspard – et je
commence par lui raconter ma vie, j’ai conscience qu’il faut le mettre en
confiance. Mais au bout de quelques jours, Gaspard et moi, ça ne va plus du
tout. Et je ne me gênai pas pour décrire son attitude dans une prose assassine :
Le manchot empereur est un
égoïste qui passe ses journées assis à compter les mouches. Il observe
tout ce que font les autres. Il connaît tout des autres mais ne dit jamais rien
sur lui, sans compter son air supérieur. Non le manchot empereur n’est pas bon
camarade, il vous ignore toute la journée mais quand le soir arrive, il ne veut
pas dormir tout seul. Il a un cœur de glace, c’est pour ça que Dieu l’a puni en
l’envoyant vivre sur la banquise.
Mme Baudoux a éclaté de rire en me
rendant ma rédaction, ça présageait la super note. J’ai eu huit sur vingt. J’ai
encore plus détesté Gaspard.
Mistraline, en te lisant j'ai eu l'impression d'avoir à côté de moi la petite mistraline me parler de son manchot empereur, aimé et détesté, objet de tous les reproches et de toutes les confidences. Rhooo que ça m'a plu ! c'est doux et sucré comme l'enfance... ou angoissant ! Merci pr ce moment
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