09/09/2012 Vices et vertus
« Il est plus aisé
d’avancer avec des vices qu’avec des vertus. Les vices accommodants de nature,
s’entraident, sont pleins d’indulgence les uns à l’égard des autres, alors que
les vertus, jalouses, se combattent et s’annulent, et montrent en tout leur
incompatibilité et leur intolérance. »
Emil Cioran
Cet aphorisme à la structure épanodique délivre une argumentation drôle et
dérangeante mais pas dénuée de fondement. Voici donc notre point de départ du jour : un épanode. L'enjeu consiste à l'illustrer de façon brève dans un premier temps.
Texte de Nico :
La mémoire courte de Simon
Mon neveu Simon a une manière efficace de se soustraire à toutes les contraintes et tous les embarras, surtout quand des adultes en sont la cause.
On lui fait un reproche, par exemple : ‘Simon, tu as mis du lait partout sur la table ! C’est tout sale ici ! sa réaction est simplement : ‘Je ne me rappelle pas…, il y a du lait ?’ Il ne se rappelle de rien : la crotte sur le tapis du salon, laissée par ses chaussures sales, les meubles renversés, les jouets dispersés un peu partout, les fleurs cassées dans le jardin. Quand on lui dit quelque chose, quand il est confronté aux dégâts qu’il a causé, sa réponse est toujours du genre ‘je ne sais pas’, je ne me rappelle pas’, ‘ce n’est pas moi’.
Et sa maman, elle l’aime et elle est gentille avec lui, elle range tout, nettoie tout en soupirant, en grondant, pleine d’amour : ‘Ah, Simon. Ah Simon, quand apprendras-tu à ranger tes affaires ? Ah Simon…
Il a douze ans maintenant et rien n’a changé dans son comportement oublieux, qui marche avec le monde. Encore que, pas avec tout le monde. Il m’a raconté que son premier malheur lui est arrivé quand il a invité une jolie petite fille pour aller au cinéma. Elle était dans sa classe et il voulait renouer des liens d’amitié avec elle. Du moment que Simon lui a communiqué l’invitation elle l’a regardé d’un regard qui en dit long et elle lui a donné une bonne claque dans le visage.
Simon resta là tout étonné, bouche bée.
Manifestement il y avait un problème. Quand il était encore très petit, il avait sévèrement offensé une petite fille en lui attribuant tout ce que sa mère lui reprochait, un comportement qui gâchait la fête de son propre anniversaire. Il avait oublié…
Texte de Marie-Hélène :
Justin est un égoïste. Un véritable égoïste. Il a fait de l’égoïsme la philosophie de sa vie. Il n’ouvre son cœur qu’à lui même. Ses jours sont un long poème dédié à lui même. Ses grands projets, ses grands buts n’avantagent que lui même.
Julie est une artiste et de temps
en temps sa femme. Sa palette est illuminée de générosité, ses pinceaux colorés
crient sa douceur, sa douleur. Elle partage son existence entre son atelier et
les cours de dessins prodigués aux petits élèves de l’école primaire du
village. Justin ? Elle l’aime, elle lui offre l’argent de ses œuvres, elle
accepte ses caprices. Elle console ses amis, elle se lève au milieu de la nuit
pour secourir l’oiseau tombé du nid.
Justin est un égoïste. Il a volé
le monde et décrété qu’il lui appartenait. Ses rêves sont peuplés de
« Je » et de « Moi ». Quand il s’ennuie, il se téléphone
pour se raconter sa vie, si belle de lui même. Ses meilleurs amis s’appellent
Méchanceté et Mépris. Il méprise son entourage en général et Julie en
particulier. Les larmes de sa femme ne le mouillent pas, elles le
rafraîchissent, il s’en nourrit. Son cœur est un morceau de calcaire.
Justin est un égoïste. Il s’en moque car on
l’aime quand même, on l’admire même.
Texte de Mistraline
Jean
était si fainéant que toute sa personnalité reposait sur cette clé de voute
branlante mais farouchement pérenne.
On
n’a jamais vu quelqu’un employer toute son énergie à l’économiser aussi bien
que lui.
Jamais
il n’eut de vrai travail, cela serait revenu à bafouer ses propres
principes. Il avait l’ambition des fainéants ; moins il en faisait, plus
il était satisfait de son existence. Ses mains de bureaucrate qui affichaient une
manucure irréprochable ne lui servaient guère qu’à prendre soin de lui.
N’est
pas oisif qui veut en vérité, il faut un certain talent pour gagner sa croûte
sans courber l’échine…
Jean
avait su conjuguer sa paresse à l’art de mentir et de tricher. Trois vices qui
formaient une combinaison parfaite pour réussir sa vie.
Olivier
son frère, était différent de son aîné. Pour rien au monde il n’aurait menti ou
triché. Il se voulait droit et infrangible comme une porte de prison.
Et
il l’était, pour son plus grand malheur.
Cependant
lui aussi était habité par la flemme mais son désir de droiture obstruait toute
communication avec ce penchant indolent qu’il considérait comme honteux. Il ne
trouva jamais sa place dans le monde du travail. Il choisissait
systématiquement des passions dans l’espoir de les convertir en profession.
Mais la passion exige du génie pour en faire une vie.
Il
devint si amer que les gens l’évitèrent, bientôt on ne lui fit plus signe, on
ne l’invita plus, on l’évita. A force de nier la part de lui-même qu’il lui
faisait honte, il passa à côté de ce qu'il était vraiment.
Jean
était devenu le meilleur joueur de poker de la ville et le plus arrogant.
Olivier
le vertueux exigea tant de sa femme et de ses enfants qu’eux aussi finirent par
le laisser seul face à son amertume.
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