24/06/2012 Chimères et rhétorique
La chimère désigne un être fantastique qui résulte du mélange improbable de certaines parties d'animaux bien réels. L'exercice d'aujourd'hui repose sur cette idée de création chimérique.
Prenez deux poèmes. Utilisez le premier comme squelette et le second comme pioche à idées et vous aurez une chimère littéraire.
Première consigne
Texte I « Prose du Transsibérien et de la
petite Jeanne de France », Blaise Cendrars
« J’avais faim
Et tous les jours et toutes les femmes
dans les cafés
Et tous les verres
J’aurais voulu les boires et les casser
Et toutes les vitrines et toutes les
rues
Et toutes les maisons et toutes les vies
Et toutes les roues des fiacres qui
tournaient en tourbillons
Sur les mauvais pavés
J’aurai voulu les plonger dans une
fournaise de glaive
Et j’aurais voulu broyer tous les os
Et arracher toutes les langues
Et liquéfier tous ces grands corps
étranges et nus
Sous les vêtements qui m’affolent. »
« Nous allions au verger cueillir des bigarreaux.
Avec ses beaux bras blancs en marbre de Paros,
Elle montait dans l'arbre et courbait une branche;
Les feuilles frissonnaient au vent; sa gorge blanche,
O Virgile, ondoyait dans l'ombre et le soleil;
Ses petits doigts allaient chercher le fruit vermeil,
Semblable au feu qu'on voit dans le buisson qui flambe.
Je montais derrière elle; elle montrait sa jambe,
Et disait: «Taisez-vous!» à mes regards ardents;
Et chantait. Par moments, entre ses belles dents,
Pareille, aux chansons près, à Diane farouche,
Penchée, elle m'offrait la cerise à sa bouche;
Et ma bouche riait, et venait s'y poser,
Et laissait la cerise et prenait le baiser. »
Chimère de Marie-Hélène
J’allais chanter
Chimère de Mistraline
J'avais ri
Et toutes les cerises et toutes les bouches dans les vergers
Avec ses beaux bras blancs en marbre de Paros,
Elle montait dans l'arbre et courbait une branche;
Les feuilles frissonnaient au vent; sa gorge blanche,
O Virgile, ondoyait dans l'ombre et le soleil;
Ses petits doigts allaient chercher le fruit vermeil,
Semblable au feu qu'on voit dans le buisson qui flambe.
Je montais derrière elle; elle montrait sa jambe,
Et disait: «Taisez-vous!» à mes regards ardents;
Et chantait. Par moments, entre ses belles dents,
Pareille, aux chansons près, à Diane farouche,
Penchée, elle m'offrait la cerise à sa bouche;
Et ma bouche riait, et venait s'y poser,
Et laissait la cerise et prenait le baiser. »
Chimère de Marie-Hélène
J’allais chanter
Et toutes les
feuilles et toutes les branches des vergers
Et tous les buissons
J’aurai voulu les
flamber et les courber
Et tous les doigts et
tous les bras
Et toutes les bouches
et toutes les gorges
Et tous les regards
qui ondoyaient au soleil,
Sur le marbre
vermeil,
J ‘aurai voulu
les offrir dans un baiser de feu
Et j’aurai voulu
frissonner dans l’ombre
Et chercher sa jambe
rieuse
Et cueillir les
fruits entre ses dents farouches
Semblables à Diane
qui se taisait.
Chimère de Mistraline
J'avais ri
Et toutes les cerises et toutes les bouches dans les vergers
Et tous les frissons dans le vent
J’aurais voulu les prendre et les
offrir
Et toutes les chansons et tous
les soleils
Et toutes les branches et tous
les arbres
Et toutes les dianes farouches qui
chantaient en frissonnant
Sur leurs jambes vermeils
J’aurai voulu les prendre dans
une fournaise de baisers
Et j’aurais voulu cueillir tous les
regards
Et laisser toutes les ombres
Et chanter tous ces grands feux
semblables et ardents
Sous les ondes bigarrées
Deuxième consigne
La Fontaine de Sang
Deuxième consigne
La Fontaine de Sang
Il me semble parfois que mon sang coule à flots,
Ainsi qu'une fontaine aux rythmiques sanglots.
Je l'entends bien qui coule avec un long murmure,
Mais je me tâte en vain pour trouver la blessure.
A travers la cité, comme dans un champ clos,
Il s'en va, transformant les pavés en îlots,
Désaltérant la soif de chaque créature,
Et partout colorant en rouge la nature.
J'ai demandé souvent à des vins capiteux
D'endormir pour un jour la terreur qui me mine;
Le vin rend l'oeil plus clair et l'oreille plus fine!
J'ai cherché dans l'amour un sommeil oublieux;
Mais l'amour n'est pour moi qu'un matelas d'aiguilles
Fait pour donner à boire à ces cruelles filles!
Ainsi qu'une fontaine aux rythmiques sanglots.
Je l'entends bien qui coule avec un long murmure,
Mais je me tâte en vain pour trouver la blessure.
A travers la cité, comme dans un champ clos,
Il s'en va, transformant les pavés en îlots,
Désaltérant la soif de chaque créature,
Et partout colorant en rouge la nature.
J'ai demandé souvent à des vins capiteux
D'endormir pour un jour la terreur qui me mine;
Le vin rend l'oeil plus clair et l'oreille plus fine!
J'ai cherché dans l'amour un sommeil oublieux;
Mais l'amour n'est pour moi qu'un matelas d'aiguilles
Fait pour donner à boire à ces cruelles filles!
Texte de Marie-Hélène
J’ai bu à la
fontaine de la cité et m’y suis désaltéré d’un vin rouge comme ma blessure.
J’ai endormi ma terreur sous le matelas de mes sanglots et mes yeux se sont
clos, cherchant le repos dans un sommeil capiteux. J’ai transformé dans un rêve
oublieux les champs carmin en îlots de filles claires. J’ai entendu ces divines
créatures battre le pavé miné de leur talons aiguilles dans un rythmique
murmure d’amour. J’ai tâté ma vie qui s’en allait à travers le flot d’un jour
cruel et monotone, colorant ma soif du sang de la nature.
Texte de Mistraline
Un jour
la fontaine de la cité s’est endormie. Les champs, jusque-là colorés du rouge
sang des coquelicots, se parsemèrent d’îlots déshydratés. Dès lors quelque
chose nous mina. Ont alors commencés nos sanglots capiteux, étourdissants et
clos. Après que nos yeux eurent coulé à flots, la soif commença sa rythmique
cruelle. Boire, boire, boire…
Plus le ciel était clair, plus
nous savions vaine la possibilité de trouver à boire pour nos corps ou nos
champs. Le sommeil nous quitta, nous abandonnâmes nos matelas aux mites et nos
vies aux ressorts du destin. Sous ce ciel de terreur avec nos sanglots clairs,
nous avons oublié l’amour des filles, fermées nos oreilles au chant des
patriotes et raclées nos semelles sur les pavés de l’exil.
Le cœur comme percé d’aiguilles,
nous nous en sommes allés pour ne plus avoir à tâter nos pouls interrompus.
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