21/02/2012 La saison des masques


Carnaval ou le monde à l’envers…

Descendant direct des fêtes de l'Egypte ancienne en l'honneur d'Osiris, le Carnaval est une fête très particulière.

D'autres fêtes semblables avaient lieu en Grèce ainsi qu'à Rome. En sa phase moderne, le carnaval a ses origines dans les fêtes organisées avant le carême, période de 40 jours avant Pâques. Son nom a comme origine l'expression "carne vale", soit l'abstinence de viande et la contrition du carême, qui valent la fête de la gloutonnerie, de la musique et de la lascivité !

Cette fête a toujours été l’occasion d’oublier la rigueur du quotidien et de sortir radicalement de sa mesure et de son rang. Le carnaval, c'est aussi le besoin de s'amuser, d'oublier durant un certain temps les soucis de tous les jours. L'hiver est ainsi devenu la saison des masques.



Le carnaval est une occasion unique pour jouer à être quelqu’un d’autre. Traditionnellement on choisissait un déguisement très différent de ce que l’on était.

Consigne : Se déguiser ? Est-ce vraiment si anodin... Racontez-nous vos déguisements et vous verrez que se déguiser permet à l'homme davantage que se distraire.

Contrainte : L’inclusion
C’est une figure de construction utilisée pour sa circularité. Il y a inclusion lorsqu’un texte commence et se termine par le même mot, voire la même phrase. 


Texte de Marie-Pierre

Il faut que je reste cachée. Et pourtant je veux vraiment vivre ça, mais ce sera incognito. Il faut dire que le carnaval en Guadeloupe, c’est une institution et pour rien au monde, je ne veux manquer ça.
J’ai passé des heures à sillonner la rue Frébault à Pointe à Pitre, rue dans laquelle abondent les boutiques de tissus. J’ai touché, palpé des étoffes, consulté mille fois mes patrons de couture et suis finalement partie avec plusieurs coupons chatoyants, brillants, mauves, argentés, bariolés.
Après des heures de couture, j’ai fabriqué un costume de reine intergalactique pour Léa, avec une collerette digne de la reine d’Angleterre. Et pour le fun, je me suis aussi confectionné un sarouel et une tunique brillant de mille feux argentés.
A l’époque du carnaval, toutes les écoles sont dans la rue et participent à la fête générale. C’est bien sûr le cas de l’école maternelle de Léa et je me suis fait une joie de la voir défiler avec ses copines antillaises.
Mais mon chef n’est pas d’accord pour me laisser partir. Il ne veut pas m’accorder de congé. Je vais alors voir le médecin de Gosier et lui déclare – ce qui est vrai, juré, craché- que pour la première fois de ma vie (et la dernière), je veux me faire arrêter pour maladie sans être malade. Je dois être convaincante, car je repars avec un arrêt de travail pour l’après-midi en question.
Et je vis mon premier carnaval, noyée dans la foule, au milieu des chants, de la transpiration, des cris, des musiques, de la couleur. Les enfants, fiers de parader dans leurs costumes somptueux ; les parents qui chantent et dansent sur des rythmes saccadés. La chaleur, la poussière, le corps à corps obligatoire ; la plongée dans un monde multicolore, odorant, complètement exotique ; le rythme de la foule, la force de la danse.
Tout à coup, je sursaute. Des caméramen de France Antilles apparaissent et filment la scène. Au secours, je suis censée être patraque dans mon lit ! Il ne faut surtout pas que j’apparaisse au journal télévisé de 19 heures, ça ferait tâche auprès de mon chef. Alors je continue à profiter de la fête mais en la jouant profil bas, car il faut que je reste cachée.




Texte d'Anne-Sophie
La saison des masques

Il est des voiles qui dévoilent l’insoupçonnable.

J’ai 18 ans et je vais faire mon tout premier jour de l’an. Des semaines à l’avance je pense à ce tout premier soir, je l’invente, je l’imagine, je m’y projette et je décide de me déguiser en chinoise.
Le soir même, ma mère me prête son ensemble en satin noir brodé venu du Vietnam, me coiffe d’un chignon banane avec quelques boucles parsemées, piqué de deux baguettes en ivoire, digne d’un coiffeur de haute couture et me conseille sur le maquillage pour un effet naturellement bridé. Je me regarde dans ce vieux miroir ovale et je vois en face de moi l’image d’une jeune fille qui ne me ressemble pas. Elle est mutine, mystérieuse derrière les fines courbes dessinées sur ses yeux. Elle semble déterminée à jouer du regard, à dévoiler enfin son charme. 
bibliotheque_roseDe cette soirée là, je me suis sentie comme libérée d’une apparence quotidienne, ordinaire derrière laquelle on ne peut se cacher. Alors qu’une fois déguisée j’ai laissé mon autre se révéler, celle qui ne se voit que ces soirs-là, celle qui préfèrera rester longtemps dans l’ombre.
Cette toute première soirée m’aura donné le goût de la fête, du déguisement, de m’inventer un rôle pour un temps choisi. Plus tard je me suis transformée en danseuse orientale avec des tissus vaporeux aux couleurs dorés et fuchsia, avec lesquels il m’était tellement plus aisé de donner libre cours à une danse faite de courbes et de rondeurs. Puis, à un autre jour de l’an, le thème fixé était soirée gothique : bustier noir, cape de velours rouge, maquillée de manière tragique. Le rouge et le noir sont à l’honneur, en mi-vampire mi-sorcière je semble redoutable. Et là le délire s’installe, puisque le thème le permet. Une autre fois, l’invitation me demande de choisir un personnage de BD. J’opte alors pour fantomette. Je me sens alors légère, mutine, malicieuse et terriblement sexy sous mon masque…

Il est des voiles qui dévoilent l’insoupçonnable.



Texte de Mistraline

Certaines choses se rejouent sans cesse mais il faut parfois des années pour  comprendre la règle du Je…
Mon premier souvenir de déguisement remonte à 1979.
Je vais avoir cinq ans et c’est aussi mon premier passage sur scène. Je suis Joséphine Baker !
Tout le monde a de grands espoirs pour ma prestation scénique. La maîtresse contient mal son stress, une vive tension règne avant le lever de rideau. Tout ça me dépasse un peu. Je porte un sautoir en perles blanches avec un bikini noir sur lequel on vient d'agrafer trois étoiles blanches en carton. Deux pour les seins, un pour le pubis ; ça me met terriblement mal à l’aise.  Je ne ressens aucune pudeur à être en maillot de bain mais ces étoiles semblent indiquer à tout le monde qu’il faut regarder précisément ces endroits-là.
Je me suis sentie merveilleusement bien toute la journée. Je n’ai pas été à l’école, j’ai porté mon bikini noir tout l’après-midi avec beaucoup de plaisir, très en confiance pour le spectacle...
Si seulement la maîtresse n’avait pas accroché les étoiles ! Une fois sur scène, je perds pied très vite. Je n’arrive pas à me détacher de tous ces regards fixes, je me tétanise lentement. Mes petites camarades de classe continuent de chanter : « Je sais que j’ai de belles gambettes, c’est vrai ! ».
Je suis comme un bigorneau sans coquille, je voudrais disparaître.

Il est intéressant de voir qu’un seul détail peut tout déstabiliser. Ou tout rétablir...

Deux ans plus tard, je commande un déguisement pour noël. Je l’attends impatiemment ! Tous les jours je demande si c’est noël, si bien qu'on finit par me menacer de me priver de cadeau. Quand le jour J arrive enfin, je campe depuis l’aube au pied du sapin. J’observe sous toutes les coutures chaque paquet et je me rends à l’évidence : il n’y est pas. Le déguisement que j’ai commandé devrait être dans une boîte aussi grande que moi et je n’en vois aucune de cette envergure. Je suis dépitée comme jamais. Depuis des mois j’attends noël pour rien… Finalement, on me laisse un peu marronner puis un gros paquet fait irruption comme par magie. Fébrile, je le déchire et je découvre mon habit de marquise. Une robe de satin rose avec des ganses de velours noir sur le devant, les petites chaussures Louis XVI qui vont bien et la perruque aux anglaises blanches… Ma joie ne laisse personne indifférent. Je parade en marquise des anges toute la journée, toute la semaine, tout le mois ! Tous les matins je veux mettre ma tenue de marquise pour aller à l’école et la patience de certains atteint les limites du supportable. Au bout d’un an, le déguisement disparaît mais j’y repenserais souvent.
Une fois adulte, je vais acheter des tas de robes pour me déguiser mais je ne vais pour ainsi dire, jamais plus me déguiser. Je vais les prêter et les porter chez moi, pour moi. Jusqu’à l’an dernier où la directrice de l’école Jeanne d’Arc me demandera si je veux bien présenter la kermesse déguisée en reine !

Trente ans plus tard, me voilà sur scène avec un costume de théâtre acheté à vingt ans. C’est une longue robe de satin rose quasiment identique à celle que j’avais à sept ans, les nœuds sont remplacés par des perles nacrées en forme de minuscules gouttes. Je porte une perruque blanc argenté et la même mouche sur la joue. Je suis en totale adéquation avec une partie de moi qui fait rayonner tout mon être.
Certaines choses se rejouent sans cesse mais il faut parfois des années pour comprendre la règle du Je.

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