22/01/2012 Influences élémentaires...

Pourquoi certains auteurs accordent-ils une place capitale aux éléments ? Que surgit-il lorsque nous tissons une toile de fond chargée d'intensité climatique ? En lisant nos textes vous verrez que cela influence le rythme de notre prose.  Mais pas seulement...



Juin 1976, Enfin, le jour tant espéré arrive.

Je n'ai pas fermé l’œil de la nuit. Mon rêve va se réaliser, aujourd'hui... Je n'ose y croire encore.
Il est sept heures du matin et l'air est chaud déjà
Les bagages sont placés dans le coffre de la voiture.
Après de rapides adieux à l'oncle et la tante avec qui nous avions cohabité pendant cinq ans, nous prenons place dans la 404.
Direction l'aéroport d'Oran.

A travers les vitres de la voiture, les rayons du soleil me cuisent le bras, le visage.
Le paysage défile, aride, rouge orange, clairsemé d'herbes tristement sèches.
Je baisse un peu la vitre, une vague de chaleur étouffante s'engouffre à l'intérieur du véhicule et me coupe le souffle.
Les yeux fermés, je rêve de vallées verdoyantes, de pluie, de neige et même de froid. Le froid de ma Bourgogne natale…

Nous arrivons, l'aéroport bouillonne de voyageurs pressés, de retour au pays ou comme nous en partance.
Pendant que mes parents s'occupent des formalités, nous nous approchons des baies vitrées pour admirer les avions.
Des ondulations de chaleur font frémir le tarmac...
Parmi tous ces avions, il y a celui qui me ramènera chez moi...
L'embarquement est annoncé et nous voilà agglutinés les uns contre les autres pour parcourir les derniers mètres qui nous séparent de l'avion.

Après les contrôles d'usage, nous nous installons dans nos sièges.
J'ai les mains moites, des gouttelettes de sueurs coulent le long de mes tempes... J'ai soif.
Je regarde par le hublot, l'avion avance lentement puis décolle.
Les rayons du soleil me cuisent le bras, le visage, la chaleur est accablante mais je ne la sens plus...
J'ai une pensée pour ma meilleure amie Fatima, que je laisse derrière moi : Je pars Fatima ! Je pars ! Je rentre chez moi... Je suis sauvée.
Fanny





LA PÊCHE AU GROS

            Ce matin là, ton bras hâlé autour de mes épaules, sous le soleil vif, mordant de cet hiver 1990, nous déambulions le long de la plage de Flic en Flac. Débarquée 2 mois auparavant,  j’avais décidé, contre vents et marées, de faire ma vie à tes cotés, sur cette île de paradis, l’île Maurice. Bien qu’un peu tendue, notre conversation était chargée de promesses. Toi Mauricien, moi Parisienne, le défi à relever était de taille.
Nos amis nous avaient annoncé un coup de vent pour la fin de la journée. Pourtant, déjà au delà de la barrière de corail, la mer était houleuse, crémeuse. Le long de la plage, les filaos frémissaient sous les risées coquines. Nous avions loué un bateau pour une partie de pêche au gros, en pleine mer. L’azur, qui ne savait faire que ça, était limpide et bleu. Chargées de lourds plateaux, souriantes et ondoyantes dans leur paréos chamarrés, de jeunes Mauriciennes vendaient des jus de fruit frais aux touristes bronzés, alanguis, paresseux. Mais leur regard attentif ne quittaient pas le ciel.
Dés la sortie du port, les vagues firent rouler le bateau d’un bord à l’autre. Le capitaine, vigilant, inquiet, ne quittait pas l’anémomètre des yeux. Accoudés au bastingage, les cheveux virevoltant dans la brise du large, nous scrutions l’horizon. Gris bleuté. Nos souffles scellés furent le point d’orgue de ce moment de béatitude.
Bientôt, l’ancre fut jetée, les cannes à pêche armées, le bouchon aussi minuscule que la terre lointaine, tressautait à la surface de l’océan. Harnaché au siège, tu as crié. Surchauffé, fumant, le moulinet dévida le fil de pêche à la vitesse de l’éclair, le bouchon disparu dans l’eau sombre, happé par un marlin bleu. Les ordres du Capitaine, brefs, précis, se perdirent dans le claquement des fanions accrochés aux haubans. La colère d’Eole fondit sur nous. Le marlin en profita pour se sauver. La mer se couvrit d’une écume grise, bouillonnante , les vagues se creusaient, le bateau, fragile, petit, léger tanguait. Le Capitaine, bien que blême, restait calme, pondéré, serein. Maladroits, nous avons enfilé nos coupes vent. Réfugiés dans la cabine de pilotage, angoissés, secoués, nous assistions impuissants au déchaînement infernal des éléments. Les bourrasques assaillaient le bateau, le mugissement assourdissant du vent couvraient les cris de l’équipage. Le tonnerre gronda, un éclair rouge, violent zébra l’horizon noir, un déluge brutal, glacé, mordant s’abattit sur les 2 matelots détrempés. Le Capitaine lança la puissance des moteurs contre les rafales. Le bateau tournoya comme une feuille prise dans un trou d’air, mais courageux, vibrant, haletant,  il escalada les masses d’eau déferlant sur le pont. Nous étions au cœur des rugissements stridents, intenses de l’esquif. Tant bien que mal, il glissait vers la côte protectrice. Le Capitaine, goguenard devant notre air affolé, se moqua :
« Sacré grain n’est ce pas ? »
Nous avions même oublié d’avoir le mal de mer.
Nous avons regagné le port sain et sauf. Dès que le moteur fut coupé, la tempête s’apaisa, les nuages s’effilochèrent. Le ciel, comme le marlin, redevint bleu.
Précurseur, ce coup de vent fut le premier d’une longue série. Cependant, le soleil au dessus de la plage restait invariablement brillant, éclatant, l’horizon dégagé.
J’ai repris l’avion le mois suivant, seule, puzzle éparpillé au vent. Retour à la case départ. De mes bagages dépassait un bout de paréo. Entre les dents acérées du marlin, les débris de mon rêve déchiqueté.
Sacré grain, n’est ce pas ?
Marie-Hélène




LE SEL ET LE FEU

           Eté 1993. Des bataillons de cigales battent la mesure du matin au soir. Nous sommes à Port Camargue et la brise marine ne pourrait rafraîchir la fournaise qui plombe le petit appartement. La moiteur ambiante dilate nos rancœurs et délite nos résolutions. Nous sommes réunis pour passer une semaine de vacances inoubliables ; c’est la première fois que nous partons tous ensemble, ce sera la dernière.

Dans le ciel, le soleil règne en maître ; à terre, ma mère règne sur son monde. La chaleur accablante ne semble pas l’atteindre, avec une alacrité effrayante elle nous mène tous à la baguette. Chacun courbe l’échine et obéit sans broncher à ses directives dictatoriales.
Les jours se suivent et se ressemblent: dès sept heures le soleil frappe nos visages endormis. La chaleur de la nuit imprègne chaque pièce, nous suffoquons dès les premières heures de la journée.
Ce matin, l’air est irrespirable, il brûle ma gorge, enflamme mes joues, gonfle mes jambes et mes pieds, alourdit ma tête et ma pensée. Dans le ciel invariablement bleu, le soleil omnipotent incendie l’atmosphère. Nous sommes à fleur de peau, à fleur de nerfs, à fleur de larmes.

Une étincelle aura suffi pour mettre le feu à la poudrière - une petite gifle spontanée comme une combustion. Après, tout s’enchaînera très vite : j'enverrai voler vingt-quatre œufs, le litre de café, les céréales dans leur lait et le bol qui les contenait. Je sentirais les brisures de biscottes sous mes pieds, les brisures de verre de la cafetière, un bidon de Soupline éclaté à la force de ma rage et surtout je percevrais la peur de ma mère, acculée.
Je la vois reculer, s’agripper, se débattre, appeler, menacer et supplier en vain. Rien ne m’arrêtera. Je ne sens que ma force qui circule à nouveau, je sens le feu, les flammes et la lave réanimer tout ce qui était à l'agonie. Une perle de sel glisse entre mes lèvres, ma dernière larme d'enfant.
Mistraline

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