20/11/2011 Sur les traces de Raymond Queneau

I/ Litotes

« Courir les rues » de Raymond Queneau (1967)


Il pleut
un compagnon maçon passe à côté de moi
il est en compagnie d’un autre compagnon maçon
tout d’un coup le compagnon maçon numéro 1 s’écrie
merde ! j’ai oublié ma veste au restaurant
et il court sous la pluie
chercher sa veste au restaurant sous la pluie
comme quoi un compagnon maçon peut être distrait
même s’il pleut

Temps d’écriture : 60mns

Proposition d’écriture :        Sur les traces de Raymond Queneau

1/ Vous écrirez une scène familière de votre quotidien.
2/Vous décrirez une scène que vous saisirez dans l’instant, au café ou dans la ville d’Uzès.

Objectifs : Neutraliser son vocabulaire/Appréhender l’immédiateté

Contraintes :                                                                              
1/ N’employez pas le « JE ». Juste le pronom personnel moi, le mien ou me ou m’.

2/Vous revêtirez votre écriture d’une apparence simple comme le suppose la litote. Votre vocabulaire sera donc le plus simple possible. Vos tournures de phrases également.

3/Jouez sur les répétitions comme Queneau.

4/Observez plus ou moins le même nombre de phrases.




Texte de Ko



Dans le jardin

Mon jardin n’est pas petit. Il y a quelques étourneaux  sous les arbres. Il y a même pas mal de ces bestioles sous les arbres et dans les arbres et dans l’air. Zut ! le ciel s’obscurcit au moment où on entre dans le jardin ; un battement d’ailes se fait entendre. Ce n’est pas marrant le battement d’ailes de quelques milliers d’étourneaux dans mon jardin vu qu’il n’est quand-même pas si petit.


Saisir l’immédiateté (avec litote)

Le vent souffle un peu fort sur le parking. Une dame arrive juste avant moi devant la caisse automatique du parking, le ticket à la main. Elle reste pourtant un peu à l’écart et il semble qu’elle n’ose pas faire des remarques sur ma position, plus près de l’appareil qu’il le fallait.  Quand c’est mon tour de payer, c’est en fait son tour d’introduire son ticket dans la fente, mais elle n’avance pas. Mon pas en arrière et un signe de ma tête l’invite à avancer. En se grattant le nez avec le ticket elle se met, d’un pas hésitant devant l’appareil. Après le règlement elle part, faisant un petit mouvement dans le dos, comme en s’agenouillant et en sifflant m’rci !





Texte de Francine



Dans le métro, c’était nègre et latin
J’avais la tête de celle qui s’entête
De celle qu’a la main près du sac à mains
Quand Barbès est apparu enfin.
Au bout d’une allée de faux buis
Se découpant sur champ d’azur et d’argent
J’ai trouvé le bruit, les odeurs, la couleur
Et j’ai grincé d’un air farouche.
Là-haut, rue des Aubépines,
dans les bistrots,
Du fond desquels la vérité n’avait jamais pu remonter,
Je venais rêver en tout innocence.
C’était il y a longtemps ou peut-être encore hier
Quand mes yeux ont cessé de porter le poids des regrets
Quand enfin j’ai vu le bout du pays où les nuages sont infinis.
Hier encore, j’avais vingt ans, je gaspillais le temps en croyant l’arrêter,
Rebelle comme un cri d’enfant qui brandit sa rage de vivre.
Loin d’une vie lisse et grise comme un béton ciré,
Je n’avais pas vu le doute en moi s’immiscer.
Le moment viendra, tout changera de place,
Il suffira d’un signe, un matin.




Texte de Jean-Paul


1-     Scène familière du quotidien

                                          Maigrir en une leçon.

Pour maigrir, mon voisin m’aide comme personne.
Il habite l’appartement voisin du mien.
Les murs trop minces, et nos balcons seulement séparés par une grille symbolique, permettent que bruits et voix passent de l’un à l’autre de ces appartements.
Au réveil, je m’installe sur ce balcon, mon petit déjeuner devant moi. C’est l’instant où j’entends mon voisin entrer dans sa salle de bain.
Il commence par des reniflements de cheval, qui vidangent ses sinus d’un boisseau de purulences. Il descend ce butin dans sa gorge, et d’un énergique raclement  le remonte dans sa bouche, où il le rassemble avec soin avant de le cracher en une seule crêpe de morve qui claque sur l’émail du lavabo.
S’ensuit une longue et grasse toux de fumeur, grâce à quoi il moissonne deux autres centaines de grammes d’une bronchite tabagique que j’imagine jaune et bien gélatineuse, et qui s’en vont claquer pareil sur le lavabo.
Du coup, je ne me sens plus aucune faim. Je remise au frigo le petit déjeuner auquel je n’ai pas touché. Quatre cents calories soustraites à mon régime.

                                    2 – Scène à saisir dans l’instant

                                                     Sacs de courses.

Tandis que j’écluse ma bière sous les murailles tutélaires du Palais des Papes, la femme de la table voisine montre un à un ses achats à son compagnon. Ce chemisier de chez Naf Naf, amusant, tu ne trouves pas ? Cette robe de cocktail Escada, moi j’adore ces couleurs. Les sandales Louboutin, un peu chères, mais elles complètent si bien n’importe quelle robe pour une soirée un peu chic. Ce que je préfère, c’est cette jupe Jimmy Choo : un rien provocante, et pourtant pas vulgaire du tout. Pour tous les jours, j’ai pris cet ensemble DKNY, à la fois léger, pratique et très
Elle s’interrompt, observe la fillette malingre qui veut lui vendre une rose, et qui s’entend répondre Non non non


Texte d'Evelyne


Au café

Dimanche
Dehors c’est mouillé, trop mouillé
Le café se boit serré, non pas allongé
Pas d’eau dans le café, se dit le client
Et le serveur annonce « un café serré »
Non, le client n’ira pas en terrasse
Et le café, c’est décidé sera dans la tasse
Sans eau ajoutée.

Restituer le souvenir

Le repas de midi
12h30-13h
Besoin de manger quelque chose
Le temps est compté
Etre précis, organisé, rapide
Expédier la plat du jour
L’eau dans la casserole, le poisson dans la poêle,
L’huile d’olive dans la salade
Les pâtes dans l’eau
Allo ?! Non, pas le temps !
Zut ! la casserole déborde
Promis, demain c’est le restau.




Texte de Marie-Hélène


C’est l’automne. Sur le trottoir, un balayeur avec sa pelle et son balai entasse les feuilles mortes au milieu du trottoir. Soudain un écolier passe en courant. Il éparpille les feuilles à coups de pieds, sous les yeux étonnés du balayeur et de son balai, debout sur le trottoir.
Les écoliers ne sont absolument pas casse pieds.




Textes de Dominique


Scène familière


Un matin,
Comme tous les matins...
Le chat entre dans la chambre,
Comme tous les matins,
Le chat saute sur le lit
Comme tous les matins,
Le chat miaule plaintivement,
Comme tous les matins, 
le chat insiste...
Comme tous les matins,
Deux volontés s’affrontent...
Comme tous les matins
Le chat est le plus fort...
Comme tous les matins,
Le chat repart la tête haute, le ventre plein...
Comme tous les matins,
Il est six heure du matin...


Scène immédiate


Il est grand,
Il porte  une casquette,
Son allure est celle d’un ado...
Il mange un pain au chocolat.
Il regarde la vitrine d’un magasin.
Son pain au chocolat tombe.
Il a l’air désespéré...
Il regarde furtivement à droite et à gauche
Il se penche et ramasse le pain au chocolat.
Il surprend mon regard.
Il m’adresse un sourire timide.
Un sourire d’ado... 
Le vieux «jeune-homme» de soixante-quinze ans s’éloigne à grands pas....





Textes de Mistraline
13h25

Le ciel n’est plus gris
Des voix d’enfants résonnent
C’est la pause-déjeuner à l’école
La récréation touche à sa fin
On me crie bonjour des quatre coins de la cour ;
La sonnerie retentit.
Les maîtresses tapent dans leurs mains.
Les enfants se regroupent en file indienne
Et montent en classe en chahutant.


Sur le trottoir

Il commence à pleuvoir
Deux voitures bloquent le passage
Face à moi, un couple âgé.
La femme ouvre la marche
Elle me regarde, elle hésite.
L’homme la dépasse.
Me regarde à son tour.
Hésite à s’engager.
Recule d’un pas.
Il pleut plus fort.
L’homme s’avance.
Soudain ils se précipitent.
Se faufilent entre les voitures.
Me dépassent.
Partent.



II/Amplification et Contre-emploi


« Mon beau Paris »  de Raymond Queneau

Maisons lépreuses
maison cholérique
maisons empestées

bâtisses fienteuses

immeubles atteints de rougeole
de scarlatine
de vérole

pavillons chlorotiques
pavillons scrofuleux
pavillons rachitiques

hôtels particuliers
constipés

baraques

Taudis


Temps d’écriture : 50mns
Proposition :
Queneau déploie ici le champ lexical des maladies qui provoquent le dégoût et utilise l’amplification pour évoquer les quartiers en mauvais état de son beau Paris.
A votre tour vous choisirez un domaine précis pour traduire votre vision des maisons, de l’architecture, de la ville d’Uzès.

Objectifs : Observer le même ton décalé/Amplifier le vrai


Contraintes :                                                                                               

1/ Pas plus de trente vers. Six mots maximum par vers.
2/ Employez un champ de comparaison pertinent.
3/ Choisissez votre propre structure de répétitions.




Texte de Ko


Uzès ville de rêve


Fenêtres bandées

Façades blindées

Places ombragées

Voûtes obscures

Marché éblouissant

Foule qui joue à colin-maillard

Boulevards ophtalmiques

Trottoirs à orbites

Pierres de toutes les couleurs grises

Maisons à lunettes

Voitures à œillères

Automobilistes myopes ou presbytes

Ville lumière



Texte de Francine

Les rues d’Uzès
Les rues ruelles
Les rues étroites
Les rues qui tournent
Les rues circulaires
Les rues se lovent
Les rues encerclent la place
La place aux herbes
La place belle et claire
La place et ses pavés carrés
La place rectangulaire, close
La place aux maisons régulières
La place structure organisée.




Texte de Jean-Paul



                                              Azur et soleil à Uzès
                                   (en hommage à Raymond Queneau)


Ciel à ensevelir un clochard oublié
                Oiseaux hallucinés par le froid
Arbres chauves confits dans l’arthrite

                Oiseaux que recroqueville la faim
Arbres hurlant en silence leurs reproches
                Ciel à irriguer les déprimes

Arbres aux branches implorant les nuages
                Ciel à étrangler un tunnel
Oiseaux qui couinent leur déréliction

Et nous courbés sur nos feuilles
                A pousser et pousser pour accoucher
Ou plutôt avorter du Queneau

Ah Raymond Queneau
                       Raymond Quenouille
                                        Raymond Quelconque
                                                        Raymond Quedalle
Degré zéro de l’écriture
                                    Contrefaçon d’ersatz d’écrivain

Sous cette terne désespérance
                                    De l’automne glacé
Raymond Queuedep’loton
                                    Oulipeaud’balle
                                                          Tu nous auras un peu fait *** .

                                              ------------------------

(Note de l’auteur : le verbe *** en fin de texte est laissé au choix du lecteur, qui a devant lui une vaste palette, dont « rêver », « marrer », « bâiller », et bien d’autres encore).



 Texte d'Evelyne


Ville ducale au XXIè siècle

Façades cossues
Façades opulentes
Façades luxueuses
Façades somptueuses
Vitrines fastueuses
Vitrines prospères
Vitrines haut de gamme
Arrière cour décrassée
Arrière cour florissante
Touristes fortunés





Texte de Marie-Hélène


Uzès ville vieillesse

Rues pavées d’un autre âge
Rues désarticulées
Rues courbées
Balcons rouillés
Balcons ankylosés
Porches décrépis
Porches vieillis
Porches souvenirs
Façades ridées
Façades jaunies
Façades blanchies
Colonnes démodées
Colonnes reliques
Colonnes mémoires
Château hanté
Ville musée, belle de sa maturité.



Textes de Dominique

Elégante Uzès
Maisons maniérées
Maisons distinguées
Maisons célèbres
Boutiquiers affables
Boutiquiers courtois
Aux manières délicates
Places exquises, gracieuses
Architecture incomparable
Rues raffinées
Atmosphère décalée
Un rien snob, un rien supérieure 
Vieille noblesse, émérite, reconnue
Hors pair, hors ligne, extravagante
Eclat discriminant
D’une réalité dépassée.




Texte deMistraline


Harmonieuse Uzès


Façades arrangées
Façades en rythme
Maisons accordées
Trottoirs en cadence
Bâtisses au cordeau
Maisons au diapason
Monuments euphoniques
Monuments orchestrés
Monuments en sourdine
Place en chœur
En Ré majeur
En Do mineur
Combinaisons de pierres taillées
Symphonie d’arcades
Chorale de verts sur les volets




III/ Exercices de style de Raymond Queneau

"Notations.
Dans l'S, à une heure d'affluence. Un type dans les vingt-six ans, chapeau mou avec cordon remplaçant le ruban, cou trop long comme si on lui avait tiré dessus. Les gens descendent. Le type en question s'irrite contre un voisin. Il lui reproche de le bousculer chaque fois qu'il passe quelqu'un. Ton pleurnichard qui se veut méchant. Comme il voit une place libre, se précipite dessus.

Deux heures plus tard, je le rencontre cour de Rome, devant la gare Saint- Lazare. Il est avec un camarade qui lui dit : "tu devrais faire mettre un bouton supplémentaire à ton pardessus." Il lui montre où (à l'échancrure)
et pourquoi."


"Métaphoriquement.
Au centre du jour, jeté dans le tas des sardines voyageuses d'un coléoptère à grosse carapace blanche, un poulet au grand cou déplumé harangua soudain l'une, paisible, d'entre elles et son langage se déploya dans les airs, humide d'une protestation. Puis attiré par un vide, l'oisillon s'y précipita.

Dans un morne désert urbain, je le revis le jour même se faisant moucher l'arrogance pour un quelconque bouton."



Temps d’écriture : 50mns

Proposition : Travaillez à partir de l’un de vos textes du matin. (Transformez votre litote)

Objectif : Travailler l’accroche stylistique


Contrainte :   Vous emprunterez un style « annoté » : expéditif mais avec le souci du détail ou un style métaphorique avec un potentiel suggestif illimité.




Texte de Ko

Dans le jardin. Beaucoup d'oiseaux. Beaucoup.
Sous les arbres. Dans les arbres. Dans le ciel.
Ciel obscur. Un battement d'ailes énorme.
Beaucoup d'oiseaux dans le jardin. Le jardin est grand.



Texte de Francine


C’est l’automne. Les arbres se dénudent. Les feuilles se meurent et jonchent la chaussée.
Près de la cheminée les dos arrondis ronronnent. Encore une belle journée.




Texte d'Evelyne

Notation

Au café

Dimanche matin pluvieux. Le client entre ; il hésite… terrasse ou salle ? Il commande un café. Son café il le  veut serré. Le garçon annonce « un café serré ! ».
Le client s’assoit en salle, près de la porte. Il boit son café, sans sucre



          
Texte de Marie-Hélène 

Notations

C’est l’automne. Les arbres se sont effeuillés. Sur le trottoir, un balayeur poussif, habillé de vert, un balai un peu déplumé à la main. Une pelle rouillée gît à ses cotés. Le balayeur entasse les feuilles jaunies, une par une, au milieu de l’allée dégagée. Un écolier, écharpe autour du nez, pantalon serré, cartable accroché à l’épaule passe en courant. A coups de pieds violents il éparpille le tas régulier au vent. Le balayeur bouche bée, yeux écarquillés brandit son balai et crie, irrité
« Merde, tu es chiant »
L’écolier se sauve en riant.



Textes de Dominique
Notations
Dans une rue passante d’ Uzès, un homme, soixante-dix bien tassés, grand, maigre, une casquette sur la tête, à l’ allure dégingandée, regarde l’étal d’une boutique en mangeant un pain au chocolat. Ses doigts s’écartent, le pain au chocolat tombe. Consternation, embarras... Il regarde furtivement à droite et à gauche. Il se penche et ramasse son pain au chocolat. Il se relève. Son regard croise le regard d’une femme. Il lui adresse un sourire gêné, donne l’ impression d’être pris en faute. Il s’éloigne à grand pas, tête baissée, son pain au chocolat dans la main....


Texte de Mistraline
Métaphorique

L’astre du jour vient de franchir son zénith.
Un son familier : le bourdonnement de la ruche en culottes courtes.
Me voilà au cœur du rucher.
Des bonjours stridents plantent leur dard dans mes tympans...
Ça s’égosille, ça s’étripe.
Enfin, la récréation expire.
La sirène hurle rappelant les larves à la nurserie et les abeillons, à l’ouvrage.
Les reines de la ruche battent le rappel.
Telles des chenilles processionnaires, l’essaim s’aligne et se distord, s’allonge et s’effiloche, de part et d’autre de la cour.
Ça s’agite une dernière fois, ça remue, ça vrombit jusqu’en classe.
Allez, encore une heure trente et c’est l’heure de la récrée.


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