12/09/2011 Papilles sensibles


Thèmes de l’année :


Cinq sens pour écrire
Rire et écrire
Se forger un style
Sur la trace des écrivains




Place aux herbes pour une reprise tout en douceur...



Consigne du jour :

Postulat de départ : Si l’amour était un met, lequel serait-ce ?

• Et si derrière chaque met se cachait un sentiment… 
Bonheur, allégresse ou jalousie, quel goût avez-vous ?

Proposition : Imaginez un personnage pour qui ce qui se mange serait l’incarnation d’un sentiment.
Contrainte : trouver au minimum sept mets à convertir.





Texte de Mistraline



A Beure, non loin de Besançon, se trouve une petite pâtisserie digne de la chocolaterie imaginé par Roald Dhal.
Le passant qui en longe la vitrine, s’il n’est pas tenté d’y pénétrer, ne peut guère résister au plaisir d’admirer la mosaïque de sucreries qui s’y déploie. Entre une garnison de choux à la crème joufflus et un escadron de mignardises émouvantes, les papilles se tiennent aux aguets.

Nous ne sommes pourtant ni chez Pierre Hermé, ni chez Ladurée mais chez Maître Lechou, un petit artisan amoureux transi de douceur.

Si il s’applique à pâtisser avec amour, sa femme qui gère la boutique, tient la caisse d’une poigne hors norme ; la douceur est à Mme Lechou ce que la misère est aux Betancourt : une illustre inconnue.
On peut supposer que c’est la cause directe de l’affection excessive de Mr Lechou pour ses gâteaux. Car cet homme là ne se contente pas de transformer en miracle gustatif tout ce qu’il touche, il en parle avec des mots à vous rendre baba d’admiration.
On vient ici pour se régaler à la fois des mets et des mots du pâtissier; si ce n’était sa femme la gorgone qui en garde l’entrée, on croirait avoir trouvé ici le paradis d’Epicure.

Quand il pose une nouvelle plaque de macarons sur le marbre du comptoir, aussi prévenant qu’une sage femme, il les dispose lui-même dans la vitrine et les emmaillote d’un regard où brille le paternaliste.
-                          « Je vous ai livré la tendresse, vous pouvez dès lors en abuser », aime t-il annoncer avec emphase aux clients amusés.
Maître Lechou n’a pas son pareil pour convertir les émotions et les sentiments humains en pâtisserie. A l’écouter vanter la générosité du pain perdu,  la sensualité du chocolat et l’amour qui sait prendre la forme de tous les pains du monde, on finit par penser comme lui…
On passe au crible religieuses et millefeuilles avec l’œil intrusif d’un freudien chevronné.
Mais seul Mr Lechou a ce don inné de déceler la candeur juvénile derrière le fraisier, la modestie assumée du chausson aux pommes ou l’arrogance pétaradante des meringues. En l’écoutant, nos yeux salivent devant les tableaux gourmands imaginés par ce pâtissier qui s’applique à démontrer que derrière chaque met se cache un acte d’amour.
Cette notion est cependant bien trop abstraite pour Mme Lechou qui perçoit les élucubrations fantaisistes de son mari comme un affront à sa foi cartésienne...
C'est peu dire que femme-là exècre la douceur autant que les relances des impôts!



Le talent de son prodigieux mari la laisse aussi froide que la banquise - bien qu’aucune douceur ne la fasse jamais fondre. Mais maître Lechou s’ingénue coûte que coûte à flatter ses sens en déclinant son art de religieuses ventrues en éclair luisants, à la manière d’un homme amoureux comme au premier jour. A croire que le sucre qu’il touche chaque jour s’infiltre dans ses pores et distille en lui, la douceur nécessaire pour contrer l’amertume légendaire de Mme Lechou. Qui, et c’est un comble, n’a jamais vu autre chose que le bénéfice derrière les formidables financiers de son mari.


Texte de Dominique


Emilie poussa un soupir de soulagement : son dessert préféré figurait sur la carte.... Son goût pour le sucré ne s’était pas amoindri avec l’âge... Bien au contraire ! Certes, elle faisait attention à sa ligne et ne s’autorisait un écart que très rarement, mais ce soir.... Tous ses belles résolutions s’étaient envolées ! Elle survola les insipides crèmes caramels et autres flans à la vanille et radieuse commanda un «banana split». Elle vouait une quasi-adoration à ce mets délicat entre tous. Son compagnon ne put s’empêcher de sourire devant les yeux pétillants d’Emilie lorsque la serveuse apporta le dessert tant convoité : dans une coupe en forme de barque, une banane coupée en deux entourait amoureusement trois boules de glace, une à la vanille, la seconde à la fraise et la dernière au chocolat. Toutes trois étaient nappées de chocolat chaud et recouvertes d’une onctueuse crème chantilly. Un biscuit en forme d’éventail accompagnait ce plat extatique. Emilie admira ce petit chef d’oeuvre puis elle saisit délicatement sa cuillère et l’entama tendrement. Lorsque le chocolat se déposa sur ses papilles et se mêla à sa salive, elle ferma les yeux de bonheur. Elle vécut un moment de pur plaisir. Elle fut parcourue d’un frisson quand la vanille vint se mélanger au goût généreux du chocolat. La fraise par sa finesse et sa simplicité, l’emplit d’affection. La banane charnelle et amicale la laissa alanguie. Elle goûta la crème chantilly, cette mousse légère, élégante et voluptueuse fondit dans sa bouche et la ravît. Elle s’amusa à mêler les goûts différents et uniques de chaque ingrédient avec un plaisir renouvelé. Elle croqua dans le biscuit, une impression de sécurité, un sentiment rassurant la ramena à la réalité. Elle regarda Pierre et éclata de rire. « Comme tu es belle et sensuelle ! Je suis presque jaloux de ton dessert...»  Emilie sourit et lui prit la main : « Laisse-moi finir et je serai à nouveau toute à toi...»
L’ivresse se dissipât peu à peu... Elle commanda un café, l’odeur du breuvage la replongea pendant un court instant dans une sorte de béatitude, son goût amer la ramena définitivement «sur terre». Elle s’étira, satisfaite et comblée et vint se lover dans les bras de son compagnon.



Texte de Monique


Honoré quitta son médecin furieux. Sa dernière phrase lui trottait dans la tête : « Je vous avais prévenu, si vous dépassez les cent kilos Monsieur Legros, vous êtes foutu ! ». Et dire qu’il avait choisi ce jeune con comme médecin traitant. A chaque visite, installé dans la salle d’attente, il guettait le moment où cet homme jeune, longiligne allait appeler son nom assorti d’un beau sourire. A sa dernière visite Honoré avait éclaté : « Qu’est ce que vous voulez, j’aime manger, j’aime tout ce qui se mange. Tant pis si c’est névrotique, je suis heureux de fabriquer de bonnes choses, à ma façon, de les manger et de les partager !

En sortant de chez vous, je vais droit chez le pâtissier qui fait, le vendredi, ce qu’on appelait chez moi des pets de nonne. Encore tièdes, croustillants…j’ai du mal à ne pas emporter tout le contenu de la corbeille. Une fois chez moi, je m’installe dans la véranda et je déguste cette petite pâte sucrée qui fond dans la bouche accompagnée d’un chocolat brûlant. C’est ce délicieux mélange qui me console de vos noires prédictions.

Ne croyez pas que, ce soir, je me priverai ni d’apéro et de quelques toasts à la tapenade ni de mon dîner. Je fais moi-même ma tapenade avec des olives préparées que je vais chercher chez un ami. Rien que la balade dans l’oliveraie, le coup de rosé avec mon copain, je rentre heureux et prépare cette mixture noire, roulant sous la langue, juteuse au point que je me tache souvent le polo. Je prends l’apéro avec ma femme dans le salon mais je suis encore dans l’oliveraie à imaginer Racine jeune citadin goûtant les olives sur l’arbre et les recrachant !

Par chance ma femme n’aime pas cuisiner mais goûte volontiers ce que je prépare. Quand j’ai pris ma retraite, je me suis découvert une passion pour la cuisine que je n’avais pas imaginée dans ma vie professionnelle faite de déplacements continuels. C’est une nouvelle vie qui commence que j’aurais dû commencer plus tôt.
Ce ne sont pas les amis qui me manquent. Mais même s’ils ne m’aiment que pour ma cuisine, c’est rien que du bonheur de leur faire découvrir un plat, un parfum, une saveur, un bouquet  dont je leur fais chercher l’origine. Je suis payé de ma peine quand je les entends crier dès l’entrée « Qu’est-ce qu’il nous a fait ce soir l’Honoré ? Ca sent bon, super bon ! »

Mon chef d’œuvre, c’est la vraie purée de pommes de terre. Là aussi, j’achète uniquement de la Charlotte même si je dois faire des km pour en trouver dans un mas éloigné. Cuisson douce, « écrasé » à la fourchette, vrai lait que je rapporte du mas, crème et…mais là je ne dirai rien, c’est mon secret. Quand j’apporte le plat rond chauffé au préalable avec cette préparation, je suis sûr de mon effet : « Ah ! Honoré, tu nous a fait ta purée ! ». En bouche, il reste des petits morceaux non écrasés. Tout le monde se tait, déguste car j’ai pris soin de faire cuire un rôti de porc banal mais le cochon n’a pas été élevé aux granulés.

A Noël dernier, je me suis lancé dans un pot-au-feu de poissons. J’ai improvisé car la recette d’un grand chef était faite pour les bobos. J’aime faire simple. De toutes façons à l’arrivée des bateaux au Grau, j’avais le choix ainsi qu’au marché d’Uzès pour les aromates et, toujours, mon petit secret de dernière minute qui me rend si heureux. Quand j’ai dégusté le pain grillé (pas brûlé) frotté d’ail dans le bouillon, on aurait dit que la mer roulait ses vagues sur la table. Pour aller avec les poissons, j’avais choisi un Sauvignon sec à Bourdic ;  il claquait en bouche. J’ai même eu des compliments de ma femme et de sa mère : « Sacré Honoré ! » m’a dit cette dernière qui ne parle que pour dire des méchancetés. Elle en a quand même profité pour me recommander de faire un régime sinon j’allais droit dans le mur. Je n’ai même pas répondu.

Quand j’ai servi le baba au rhum, ce dernier m’étant expédié directement des Antilles, j’ai espéré que Belle-Maman  comprendrait un jour que cuisiner était ma passion, ma vie et que je lui demandais juste d’apprécier ce que je lui servais.

J’ai décidé de ne plus aller voir mon médecin traitant qui va m’expliquer pour 23 euros que mon cœur est fatigué par toute cette bouffe. Je ne « bouffe » pas Monsieur, je mange, je déguste, je me régale, je fais des heureux et, mieux encore, je suis heureux comme ça !».




Texte de Francine


La pâtisserie



Le rideau de fer se lève sur la vitrine encore vierge de Charlot Tatin, le pâtissier de la place centrale. Comme chaque jour, il s’est levé à quatre heures pour préparer les gâteaux et gourmandises qui embaumeront son étal. Pour Charlot, bon vivant aimable et populaire, chacune de ses préparations relèvent d’un goût particulier.
Il commence la journée en croquant à pleine dent dans une belle pomme rouge et craquante dont le brillant lustré de la peau le ramène aux joues rosées de son épouse et à son amour pour elle.
Il dépose tendrement comme une famille dans une crèche, les charlottes entourées d’amour filial de chantilly de douceur aérienne.
Il expose les plats remplis de profiteroles, ces petits choux fourrés de vanille ou de chocolat qui se partagent comme l’amitié.
Au souvenir de ses amis, une pensée coquine pour Annie, la femme de Jacques pleine de sensualité comme ses choux à la crème au sommet desquels le sucre glace forme un nuage de bonheur.
Toujours de bonne humeur, Charlot s’enquiert de la santé de ses clients et de ses voisins, la gentillesse coulant dans ses veines comme ses babas au rhum dégoulinent de sirop abondant et doucereux.
Charlot est un être simple, charmant et nul once de jalousie ne l’effleure jamais. Ce sentiment froid et amer qu’il s’imagine comme de la crème brûlé bien enserrée dan ses ramequins de faïence et qui ne ferait que ternir sa gaieté naturelle.
Enfin comme tous les matins Charlot dépose par habitude sur la grille du présentoir les viennoiseries chaudes et odorantes, croissants aux amandes et brioches dorées qui raviront la clientèle.
La vitrine est prête, la journée peut commencer.







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