06/06/2011 Ecriture en apnée

Ecrire pendant une demi heure sans relever le stylo, ni se relire, à partir d'une photo vous représentant enfant. Vous allez la détailler, la fouiller et raconter même l'avant et l'après. Les seuls signes diacritiques autorisés sont les points virgule, les points de suspension et les deux points.






Texte de Francine


J’ai déniché dans le tiroir de ma grand-mère un vieil album photo celle que je tiens entre les doigts est familiale je suis avec mes deux frères aînés dans l’herbe ce doit être le moment de la sieste car on voit dans le coin gauche une serviette étendue au sol mon frère Rémi fait semblant de se reposer allonger de tout son long les yeux fermés mais un sourire coquin lui étire les lèvres il est habillé d’un polo manches courtes d’un short et de sandales il est à même les herbes et cela lui ressemble bien de faire semblant d’être sage et de nous ignorer je suis assise à côté de lui entre mes deux frères pour en finir j’ai un petit haut sans manche les cheveux relevés en un semblant de couette sur la tête la frange coupée à ras comme il plaisait à ma mère je tiens dans les mains un livre qui ressemble à un abécédaire car il ne faut pas perdre de temps inutilement j’ai des sandales blanches mais on ne voit qu’un seul pied sur la photo à ma gauche enfin mon frère aîné assis lui aussi semblant me surveiller et s’intéresser à ma lecture il porte un polo à rayures avec le col rouge il est assis de guingois c'est-à-dire le tronc tourné vers m’avant il a l’air sérieux et protecteur nous sommes en bord de Saône prêt pour le bain en rivière attendant la fin de la digestion l’herbe est haute et piquante on aperçoit des peupliers en fond de photo avec une barrière en béton et grillage en frontière un bosquet s’épanouit sur la gauche et entre les branchages on aperçoit des monts verdoyants… Cette photo a été prise par ma grand-mère elle s’occupait de nous presque tous les week-end et nous emmenait souvent en ballade ou en pique-nique c’est le mois d’août le soleil est haut et on doit être obéissant pour que tout se passe bien quand l’heure sera venue nous aurons le droit de nous baigner dans la Saône mon grand-père nous a appris à nager et c’est un véritable moment de joie et d’aventure pour nous : tremper se mouiller la tête tripoter la terre et ramasser des vers de terre pour mon grand-père quand il va à la pèche tôt le matin si sa pèche a été bonne on mange de la petite friture que ma grand-père prépare avec de la farine et du citron on se régale ces jours-là car on peut manger avec les doigts et on se met de la friture partout sur la figure… Les étés dans l’Ain sont souvent chauds et secs il y a des orages qui déchirent le ciel et des trombes d’eau qui délugent alors après on va à la chasse aux escargots avec nos bottes en caoutchouc et des seaux de plage on prend un bâton pour soulever les feuillages quand la récolte donne on met les escargots à baver dans des caisses en bois on les nourrit de thym pour qu’ils aient bon goût et ensuite on les fait jeûner pour qu’ils se vident de leurs saletés ma grand-mère fait très bien le beurre d’escargot mais quand j’étais petite fille je n’aimais pas trop manger ces bebettes racornies





Texte de Monique :


Cette petite rondouillarde sur la photo me rappelle ce jardin que mes parents aimaient tant c'est sûrement un jour d'anniversaire ou de fête quelconque qu'ils m'ont plantée au milieu des cailloux comme ils appelaient cette allée bordée de buis menant à un rosier en parapluie qui remplissait ma mère d'orgueil avec ses toutes petites roses pompon dont les pétales volaient au moindre souffle d'air et se déposaient sur des cailloux clairsemés dont je devais enlever les mauvaises herbes chaque jour mais peut-être qu'à l'âge de la photo je ne subissais pas cette corvée pas plus que celle de cueillir les haricots verts ou les fraises pour le dîner sur la photo c'est encore la petite enfance joyeuse où l'on fait tout pour vous et non plus tard celle où on vous donne des petits boulots à faire alors qu'un album vous attend avec ses belles histoires la photo c'est l'âge heureux mais c'est aussi une crolle sur le dessus du crâne qui devait être la grande mode de l'époque comme le chapeau genre quichenotte chaud et lourd mais contre le soleil ainsi que des chaussettes jusqu'aux genoux alors que des soquettes ou mieux encore des pieds nus auraient suffi mais c'était un jour on on habillait la reine de la fête on voit mal sur cette photocopie de photo mais on imagine la belle robe qu'il ne fallait pas salir alors que sale ou pas le lendemain une maman marie fourbette la laverait l'amidonnerait et la rangerait soigneusement dans un carton avec de la naphtaline alors qu'elle serait trop petite pour l'enfant de l'année suivante mais on gardait tout la chaîne et la médaille témoignent d'un baptême catholique peut-être tardif pour faire plaisir à un parrain ou une marraine pratiquants alors que la famille ne l'est pas mais il y a des cérémonies qu'on pourrait appeler sociales qui font qu'on est comme tout le monde on fait une fête on reçoit la famille les amis on dépasse le budget de départ et les parents en parlent pendant des semaines d'ailleurs l'intérêt d'avoir une soeur aînée de quinze ans c'est que les frais de son baptême sont oubliés depuis longtemps et qu'on n'en parle plus à la table familiale autre intérêt de n'avoir ni une autre soeur ni un frère fait qu'on n'entendra plus dire que pour le prochain on fera moins cher et qu'on a trop compté sur les parrainages qui n'ont apporté que quelques dragées pour lesquelles des disputes ont surgi pour le règlement de leur facture...



Texte Mistraline



je pose pour la photo de l’école primaire
quel âge ai-je… cinq ans je crois… je me souviens bien de cette journée de peinture j’avais choisi la couleur rose fuchsia pour me représenter la couleur rose fuchsia pour barbouiller l’intérieur de ma main gauche… geste qui me venait systématiquement lors de l’activité peinture : quand les autres peignaient sur leur feuille moi je peignais ma paume
j’aimais la douceur du pinceau la tiédeur de la gouache sur ma peau et ce mouvement rotatif que j’accomplissais comme un geste à haute valeur initiatique
sur la photo on me voit clairement répandre le rose vif et pétillant dans le creux de ma main je ne regarde même pas l’objectif ma tête pivote vers la gauche et mes lèvres sont entrouvertes
je porte une blouse rose pâle des sandales vernis noires ainsi que de grosses chaussettes en laine ornées de motifs scandinave vert sapin ; je me souviens que ce jour là il pleuvait une pluie de printemps qui explique sans doute pourquoi je portais de telles chaussettes…
mon œuvre picturale est suspendue derrière moi sur une bâche de protection kaki on est loin d’un Van Gogh c’est une grosse tache rose ramassée dans la partie supérieure de la feuille grosse masse placide entourée d’éclaboussures qui signalent un éclatement
c’est la seule couleur a avoir retenue mon attention à croire que j’étais déjà fort sélective...
un joli col Claudine dépasse de ma blouse immaculée ce qui me semble bien louche aujourd’hui ; mes cheveux châtains sont coiffés comme ils l’ont souvent été à cette époque : frange droite tracée au cordeau par les doigts redoutables de ma mère armés des ciseaux
pas plus bas que la nuque pour la longueur et les oreilles bien dégagées
j’ai l’air si sage diablement sage avec ce petit regard évaporé qui laisse croire que je ne suis qu’à demi éveillée ; la photo révèle bien cet aspect rêveur où je suis comme absorbée vers un ailleurs ailleurs qui me caractérise encore aujourd’hui
j’ai beau être le modèle sur cette photo ma mine contemplative dénonce mon absence flagrante du moment présent je pense sans doute à l’avant ou à l’après sonnerie à moins que je ne sois aux prises d’une belle chamaillerie car plus je m’observe et plus je me revois en train de parler à quelqu’un ; mes lèvres en mouvement indiquent clairement que je devais être ne train de parler comme à mon habitude
c’est une photo que j’ai retrouvé il y a quelques années pour moi qui n’ en avait pour ainsi dire pas ce fut un vrai bonheur




Texte de Dominique


La petite fille est intimidée : un monsieur est venu dans la salle de classe la prendre en photo avec ses camarades... sa maman l’a bien coiffée aujourd’hui... sa blouse a été lavée la veille et repassée le matin même... l’institutrice a disposé un bouquet de fleurs sur un bureau et a ouvert un livre d’histoire... la petite fille aimerait bien enlever le bandeau qui lui comprime les oreilles : elle ne ne supporte pas avoir quoique ce soit sur ses cheveux mais si elle le fait elle se fera gronder par sa mère qui la veut très jolie sur la photo; elle n’a pas l’habitude de voir sa maîtresse  Madame Galichet aussi gentille et différente : tout est différent aujourd’hui... la disposition du bureau dans la salle de classe... les élèves à la queue leu leu qui attendent leur tour d’être immortalisées sur la photo... le monsieur a un appareil posé sur un trépied et une grande couverture noire : il se cache dessous et actionne une petite poire avec sa main... Il dit à chaque fillette « Attention ne bouge surtout pas et souris car le petit oiseau va sortir » puis une lumière jaillit... quand ça a été son tour la petite fille a regardé avec attention mais elle n’a pas vu d’oiseau... elle a demandé à ses copines si elles l’ont vu ce petit oiseau mais ses copines se sont moquées d’elle et elle ne comprend pas pourquoi;  Mme Galichet dit «chut» car dans la classe il y a une atmosphère un peu légère : des élèves pouffent de rire et d’autres s’agitent; on était en pleine dictée quand le photographe est arrivé et personne n’a l’habitude de ce genre d’intermède... la petite fille regarde par la fenêtre : elle a très envie de faire pipi mais elle n’ose pas demander de peur de se faire rabrouer... vivement la récréation : elle espère de tout son coeur que cet évènement ne va pas décaler cette récréation tant attendue... tout le monde a été photographié... le monsieur discute avec Mme Galichet et explique que les photos seront prêtes dans quinze jours puis il fait sortir la classe dans la cour de l’école et dispose des chaises et des bancs; il demande à l’institutrice de se mettre sur la droite et propose aux élèves les plus petites de s’assoir sur les chaises et aux plus grandes de monter sur les bancs... il s’installe devant la classe avec son appareil posé sur le trépied et se cache à nouveau sous sa couverture noire avec sa poire dans la main : « Attention le petit oiseau va sortir... souriez » la lumière jaillit à plusieurs reprises... enfin c’est terminé; Mme Galichet et le photographe remportent bancs et chaises sous le préau puis elle tape dans ses mains : « récréation : vous pouvez jouer pendant un quart d’heure »... la petite fille pousse un soupir de soulagement et se précipite vers les toilettes où elle peut enfin vider sa vessie... elle n’est pas la seule à en avoir envie car toutes les toilettes sont occupées... enfin libérée la petite fille rejoint sa meilleure copine et lui demande de jouer avec elle au «jeu des métiers»... des camarades se joignent à elles : le jeu commence....




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