24/05/2011 Inventio

Voici un exercice pour inventer une histoire à partir de rien.

Prenez deux mots semblables comme billard et pillard. Listez ensuite deux, trois mots qui peuvent avoir deux sens ou qui sont homonymes. Composez dès lors deux phrases avec chacun de ses mots.
L’une commencera votre récit, l’autre le finira.

Par exemple :
Cette fille avait des yeux vert amande.
Cette bille allait tout droit vers l’amende.


Texte d'Anne-Sophie

Incipit :L’ombre se faufilait, leste et fuyante, de la poupe à la proue d’une barge. 
Excipit : L’ambre se profilait, preste et filante, sous la loupe ni peu ni prou d’un "barje".

L’ombre se faufilait, leste et fuyante, de la poupe à la proue d’une barge. Malgré une lune pleine et rieuse de mille feux, on ne pouvait distinguer si la silhouette enveloppée de noir était plutôt féminine ou masculine. Seuls ses pas furtifs laissaient trainer le doux bruit des chaussons sur le bois du ponton. S’agissait-il d’un vol, d’une surveillance ou de liaisons dangereuses ? La nuit cache ce que le jour dévoile et dans le dédale des rues sombres et étroites qui longeaient le port, je vis l’ombre  s’échapper à grandes enjambées. La cabine du bateau qu’elle venait de fuir était allumée, de la lucarne on devinait deux hommes traitant affaire. Dehors, pas une brise, le moindre souffle, tout juste le clapotis de l’eau sur les coques, à l’intérieur des éclats de voix. Ils étaient tous deux autour d’une pochette de velours noir et observaient l’exactitude et l’extrême clarté des pierres qu’ils roulaient dans leurs doigts. Des diamants ? Peut être, la taille semblait pourtant grossière et la couleur trop foncée. Cette embarcation était arrivée il y a quelques jours et je ne pouvais m’empêcher de venir espionner. Seul sur mon bateau à l’année, la venue d’un nouveau navigant dans cette petite baie de pêcheurs saintois animait mes nuits noires d’insomnie. Chaque soir, j’observais cette même scène de plus en plus près et vérifiais sans cesse alentour que la silhouette ne me surprenne. Une effluve, une démarche me laissaient penser qu’il s’agissait d’une femme. A cet instant là, je la soupçonnais d’être proche, je sentais son ombre furtive comme autour de moi. Je décidais alors de revenir sur mes pas, de rejoindre mon embarcadère quand je la vis sauter sur le pont, se précipiter vers moi, et d’une main teigneuse me bloquer en un rien de temps ventre à terre. Je sentais entre mes deux omoplates la pointe d’un poignard. Lentement je me relevais et dirigé fermement j’entrais dans la cabine, piégé comme un papillon de nuit trop attiré par la lumière. Ils parlaient espagnol, criaient, me posaient des questions auxquelles je ne savais répondre que par quelques rudiments. Ils m’ont forcé à boire une espèce d’eau de vie au gout de bois. Et juste avant que je ne sombre dans l’abime de ce vieil alcool frelaté, rejeté sur le ponton comme du vieux poisson, je vis une dernière image, un dernier objet. L’ambre se profilait, preste et filante, sous la loupe ni peu ni prou d’un "barje"


Texte de Mistraline

 Incipit : Elle avait le pas lourd et nonchalant des rennes dans la neige, c’était une fille grasse au regard gris.
Excipit : Depuis quand je pense à Alwine, je me dis que certaines ont la grâce des reines mais quelque chose pille leur joie et coagule leur peine.

Elle avait le pas lourd et nonchalant des rennes dans la neige, c’était une fille grasse au regard gris. Chaque jour elle passait dans la ruelle, j’entendais alors son pas racler le pavé. Je jetais un coup d’œil dans sa direction et je surprenais son souffle chaud qui se changeait en nuage blanc au contact de l’air froid. C’était comme un voile de mariée, éphémère et pur qui dissimulait sporadiquement ce visage aux pâleurs nivéales.

Alwine vivait seule aux confins du village, c’était une femme sans âge aux prises d’une passion vénéneuse pour Skeggi le flamboyant. Son nom même le prédestinait à cette virilité qui fascine certaines femmes.

Alwine aurait mangé des graviers s’il le lui avait demandé. Et s’il courrait derrière chaque cuisse "la noble amie" s’en accommodait. Rien ni personne n’aurait pu la dissuader de s’enliser dans cette passion dévorante. Ni les coups qu’il lui portait, ni l’absence de considération qu’il lui témoignait. Ici tout le monde pouvait deviner d’un simple regard si Skeggi était passé chez elle car le sourire qu’elle arborait alors était le plus radieux qu’il m’ait été donné de voir. Elle était transfigurée ces matins-là, embellie par le feu sur ses joues, la flamme vive de ses pupilles et le brasier qui sans nul doute consumait encore son corps.
Je la saluais timidement lorsqu’elle passait assez prêt de ma porte pour ne pas avoir à crier, pour ne pas prendre le risque de l’importuner. Elle répondait avec sobriété, hochant la tête de façon imperceptible murmurant un bonjour étouffé par la gêne. Il émanait d’elle un sentiment de honte qui la tenait murée derrière une forteresse de culpabilité. Aussi robuste et solide qu’elle le laissait paraître, il ne résidait pas moins dans son regard la présence d’une charge de peine aussi triste qu’un orage hivernal.
C’est seulement le jour de son décès que le village a vu ce qu’elle endurait. Skeggi la brute, aveuglé par ses pulsions primitives ravivées par l’alcool, l’avait frappée si fort qu’il l’avait rendu à la terre. Au petit matin, le jeune facteur avait trouvée Alwine en bordure d’un champ, sa jupe retroussée sur des jambes qui dévoilèrent à chacun ce corps aux stigmates indénombrables. Je compris pourquoi son pas été si lourd, pourquoi elle avait le regard meurtri et le sourire rare.  Depuis quand je pense à Alwine, je me dis que certaines ont la grâce des reines mais quelque chose pille leur joie et coagule leur peine.


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