5/03/2011 Le portrait en littérature

Cet atelier s'est déroulé sur une journée.
Deux propositions étaient au programme :


1/ Croquis prosopographique (portrait statique)


Sans le nommer et sans dévoiler non plus des détails trop évidents, vous décrirez un personnage célèbre en vingt-cinq lignes maximum, dans le but de faire deviner de qui il s’agit. Ce peut être un personnage réel, fictif, vivant ou mort.


1/ Votre emprunterez à l’autobiographie, en faisant s’exprimer votre personnage. C’est lui qui se décrit et vous pouvez apporter autant d’éléments biographiques que vous le voulez.


2/ Le titre que vous donnerez à ce portrait statique devra mettre en avant l’une des caractéristiques de votre personnage.


L’objectif est d’être suffisamment subtil pour ne pas révéler de but en blanc votre sujet, en jouant sur la pertinence descriptive.


Texte de Dominique

Le baladin

"Poire Williams à 40°", tête un peu embrumée, léger vague à l'âme, mes doigts se rétractent sur les touches du clavier.... Le concert s'achève sous les applaudissements. Ca a été long pour les gens de m'accepter, moi le fou- râleur, l’espèce de loup solitaire, toujours à contre-courant. Brigitte, nos textes déjantés, nos chansons d’avant le déluge... "rocker".... poète..... Ma révolte s’inscrit dans chaque mot, dans chaque note. Le grain de ma voix c’ est aussi le grain de mon âme. Il y a des moments sur scène où je fais n'importe quoi, tout ce qui me passe par la tête, c'est dans ces instants là, que je suis le plus sincère. J'ai transmis ce "virus" à mes enfants : l'amour des mots, de la musique, du public.... Déclencheur de frissons, amoureux de la vie, amoureux d’une cigarette... je t’en prie, serre-moi contre ton corps, pour me faire oublier l’idée de la mort...


Texte de Monique


J’assume !

Oui, je me regarde tous les matins dans la glace de ma salle de bain
Oui, je guette la moindre ride, le moindre cheveu blanc
Oui, j’ai de grandes ambitions
Oui, je sais que ma forme physique est un de mes atouts
Oui, je me force à faire du sport pour être photographié en vélo
Oui, j’aime les femmes surtout celles qui font dire aux gens :
« T’as vu la belle pépée qu’il se fait ! »
Oui, j’ai une famille encombrante à laquelle il faut trouver des points de chute
pour ne pas l’avoir à charge
Oui, je fais venir ma mère pour une photo quand j’ai besoin d’une caution filiale
Oui, je fais venir mes enfants pour une photo pour montrer ma belle descendance
Oui, mes ancêtres, utiles pour une fois, m’ont donné une vision monarchique du monde
Oui, je ne suis français que depuis une génération mais je n’aime pas qu’on me le rappelle
Oui, je préfère des amis enrichis dans le business aux petits cons
 qui n’ont que les droits de l’homme à la bouche
Oui, je me regarde tous les soirs dans la glace de ma salle de bain
et je me dis « t’es le meilleur ! ».

(Pour des raisons éthiques et esthétiques, inutile de mettre sa photo, d'autant que tout le monde sait qui c'est.)



Texte d'Evelyne

Une force tranquille


C’est sans doute un grand désir d’autonomie qui me pousse à me déplacer le plus souvent à pied accompagné de mon bâton pour assurer mes pas. Autonomie encore, qui me fait porter ce genre de vêtement simple que l’on peut fabriquer soi-même et qui se fait remarquer lors de mes voyages en Occident. Inlassablement ma silhouette fluette porte l’assurance de mon engagement : tranquille j’avance vers mon idéal de justice et de paix. Avec assurance mon regard traverse les cercles de mes grosses lunettes et se pose sur l’avenir de mes semblables et de mon pays.


L’énergie qui m’anime est immense. Mes racines sont profondes et beaucoup plus étendues que ce petit corps frêle qui a vu le jour sur cette terre. Peu importe l’apparence ; la pensée, l’énergie mises au service du plus grand nombre ne s’arrêtent pas au reflet du miroir.


La flamme dans mes yeux noirs, le sourire bienveillant offert en cadeau sont et resteront, peut être, ce que j’ai transmis à ceux qui m’ont accompagné ; un espoir de Paix.




Texte de Francine


L’homme en noir



Dans la lumière blafarde du petit matin, je m’étire et me tâte le haut du crâne. Ma dense chevelure s’étiole depuis quelques temps déjà, mais je garde mon auréole de blancheur immaculée. Mes doigts, déformés par l’arthrose, descendent lentement le long de mon visage. Mes sourcils broussailleux en bataille protègent mes yeux toujours vifs et aigus- ce regard d’aigle qui m’a valu tant d’animosité des critiques rétrogrades et incultes. Les quelques cils que l’encerclent sont brûlés et épars. Mon nez autrefois droit s’épate et s’amollit, des poils indisciplinés essayent de s’échapper de mes narines frémissantes. La bouche qui s’amusait tant à mordre et embrasser se rétracte, et par moment, les commissures laissent échapper des postillons que mon public reçoit comme une offrande. Le menton toujours volontaire tremblote et semble se désolidariser du reste de ma face.


J’ai le poil rêche et toujours mal rasé, mon corps efflanqué traverse les années et mes bras tendus au devant de la scène semblent happer l’atmosphère et retenir les mots que ma gorge éraillée laisse s’envoler tels une prière en cadeau à la vie, à l’espoir et à l’éternité.


Mon grand corps décharné serré dans la tenue noire que j’affectionne scande la mesure des mots et des textes de mes chansons qui s’inscrivent dans cette terre en perpétuel recommencement, et que les hommes ignorent comme le bûcheron admire la chute de reins de la femme inaccessible.




Texte de Mistraline

L’homme à barbe



Ma mère s’appelait Amalia et mon père Jakob...



Le 5 Mars 1902, j’avais 46 ans quand l’empereur François-Joseph I me remit le titre honorifique de professeur extraordinaire. Quand je me regarde maintenant, sous cette célèbre barbe noire devenue argentée, je ne vois que cette mâchoire qui verrouille mon sourire.

Aucun des portraitistes m’ayant photographié n’aura eu le plaisir de voir mes lèvres se desserrer, ni même se fendre d’un rictus.
Je suis l’homme qui ne rie jamais.
A peine s’entrouvrent-elles pour aspirer une bouffée de cigare que je garde vissé aux doigts en permanence.

Mon front ne fait pas défaut à mon statut de génie, il occupe un tiers de mon visage et ma calvitie renforce son aspect rond et bombé. On a fini par dire que j’avais pris la grosse tête. J’ai toujours eu une tête imposante mais il est vrai qu’en vieillissant, la chose est allée en s’accentuant.

Ce faciès oblong et austère a gagné en rondeur avec l’âge. Mes petites lunettes, rondes elles aussi, ont adoucies non seulement mes traits, mais davantage mon regard pénétrant.
Mon nez à lui seul est l’héritier d’un peuple.

Ne vous fiez pas à mon allure de vieil homme respectable qui pose fièrement;  j’ai fait du sexe, mon fond de commerce et le responsable de tous vos maux.


2/ Cueillir le réel (Portrait en action)


Le meilleur moyen pour faire le portrait d’un personnage c’est de le montrer en train d'agir. Le portrait en action nous éclaire toujours davantage sur le caractère du personnage. Mais il ne faut pas se contenter de le faire agir, il faut lui donner une épaisseur tant physique que morale.


Consigne :


Vous décrirez quelqu’un que vous connaissez mais pas un proche. Un commerçant, votre électricien, le voisin … Vous le montrerez tel que vous le voyez sur son lieu de travail ou de vie. Vous ne disposez que d’un physique, il vous faut inventer le caractère de votre modèle, en le montrant pourquoi pas ailleurs que dans ce cadre professionnel ou habituel ?


Vous pouvez choisir une focalisation externe ou omnisciente.


1/ Introduire le personnage dans un contexte par la présentation rapide de sa fonction, de ses habitudes…


2/ Décrire ce qui est le plus frappant chez lui, insister sur ce qui le caractérise vraiment et commencer à lier le physique au moral.


3/ Apporter les détails qui vont compléter le portrait et confirmer la tonalité d’ensemble.


L’objectif est de donner vie à un personnage à partir de données dont vous disposez sur une personne bien réelle. Vous allez devoir vous projeter pour donner l’illusion du réel.


Texte de Francine


Quand le panonceau était dans l’escalier, on savait que Madame Bastide était en plein service. Cette brave femme portait bien son nom. Dès sept heures du matin, elle balayait, lavait, astiquait, et notre montée d’escalier était la plus propre de la cité. Propre, c’est ainsi qu’on pourrait décrire notre concierge. La mise en plis impeccable encadrait des yeux malicieux et pétillants qu’enjolivaient des lunettes cerclées de soleil qui s’acharnaient à glisser le long de son nez court et retroussé. Elle avait le teint rosé et deux touches de blush le rendaient transparent. Ses lèvres charnues qu’un perpétuel sourire remontait aux commissures donnaient une touche pulpeuse à ce charmant minois.



Le décolleté savamment assagi, laissant apercevoir une dentelle coquine, tressautait à chaque mouvement. Même une serpillière à la main, elle gardait une grande dignité et une sérénité qui irradiait tous ses locataires.


De sa voix mélodieuse, elle nous saluait et ne manquait jamais de prendre des nouvelles de toute la maisonnée.


Si le facteur était pressé, c’est avec civilité qu’elle le remplaçait et ajoutait un petit mot gentil si un paquet était à monter. Quand venait le temps des vacances, elle était toujours la première à se proposer pour arroser les fleurs ou lever le courrier.


Chaque matin, de son pas souple et chaloupé, elle sortait Ninette, la petite chienne de la dame du troisième, et si un enfant se trouvait orphelin à la porte de son domicile pour cause de grève inopinée des instituteurs, elle récupérait la marmaille et avec son tour de taille avenant, on savait que le quatre heure n’était pas que promesse !


Elle était disons un peu enrobée, mais cela ne l’empêchait pas de vaquer à sa besogne avec justesse et célérité. Par tous les temps, elle portait des chaussures ouvertes sur des ongles peinturlurés assortis à ses robes gaies et colorées, dansantes et chatoyantes. Je pense que c’était pour ne pas cacher ses jambes qu’elle avait fort belles pour une personne de son âge.


Son âge je ne saurai le dire, Madame Bastide était comme sa loge, immuable, et je regrette le temps de la conciergerie qui donnait âme et chaleur à nos immeubles tristes.






Texte de Monique





On l’appelle « Cause toujours ! »


Ce qui frappe quand on voit Lou Politis sortir de son bureau, c’est son changement d’attitude à vue dès qu’il aperçoit un électeur potentiel. Tout d’abord, il se redresse. Puis un automatisme interne bien réglé lui plaque un sourire étudié sur le visage et détend sa main droite qui fend l’air vers la victime, consentant ou non à cette empathie feinte.
S’il s’agit d’un ami, il l’emmène au café mais pas n’importe lequel. Celui qui, à chaque campagne, lui sert de permanence et, surtout, ne lui fait pas payer les nombreux cafés qui jalonnent sa campagne.
S’il s’agit d’un hésitant qu’il réussit à entraîner vers le café, il a mis au point le petit numéro suivant : il se poste au comptoir, assez près de la porte, un nouveau venu est toujours bon à séduire. En attendant les deux cafés, il s’en va serrer des mains en salle usant, si besoin est, de tapes dans le dos. Il ne perd pas de l’œil l’électeur hésitant et revient vite vers lui, glorieux de toutes ces accolades. Si tant est d’ailleurs que ce dernier, écoeuré par tant de racolage, ne soit pas déjà parti.
Mais rien n’arrête Loulou puisque son prénom Jean-Loup est devenu Lou puis Loulou. Il prend les deux cafés tels des appâts pour la pêche à l’électeur, et sort sur la terrasse. Il y hèlera peut-être un passant-électeur mais il espère surtout que des amis y seront attablés et qu’il pourra s’asseoir avec eux reposant ses jambes usées par des kilomètres parcourus en ville depuis des années.
Avec eux, pas besoin de se fatiguer à promettre des choses qu’il sait ne pas pouvoir tenir : la rocade, le ramassage correct des ordures et tant d’autres demandes rarement suivies de réalisations sauf celles qui peuvent lui apporter des voix des voix.

Il y a des fins de journée où prenant l’apéro chez un copain d’école devenu un plombier très recherché, ce dernier est souvent sévère avec son politicien d’ami : « Pourquoi que tu te représentes ? Tu devrais laisser la place à un plus jeune, de chez nous, bien sûr. Il se tapera le budget déficitaire, la mort des PME, la fin des subventions, les jeunes sans boulot. Toi t’en as rien à foutre de tout ça ». Il montre les copains occupés à préparer le barbecue, leurs femmes qui installent la table, les enfants qui courent partout : « Y a que toi qui a choisi ce métier de con mon pauvre Loulou ! ».



Texte de Dominique

Il y a foule ce matin dans le petit bureau de tabac : une queue part du fond du magasin et s'arrête devant la caisse ! Une clientèle bigarrée composée d'autochtones et de nouveaux arrivants, allemands et hollandais pour la plupart.



Mathilde les regarde avec une moue d'impatience. Elle distribue des cigarettes, des cartes postales, des journaux, encaisse de l'argent, rend la monnaie, sans sourire, sans faiblir, sans pâlir. Elle aborde les gens d'un signe de tête, ne répond que pas monosyllabes, ne se donne pas la peine d' "un au-revoir", d' "une bonne journée"


Jeune femme, blonde, menue, vêtue d'un blouson de cuir, des bagues à tous les doigts, des percings, sur le visage, elle mâchouille un chewing -gum et jette sur ce petit monde un regard méprisant, regard qui la caractérise....


Mathilde s'ennuie dans cet espace clos, elle sait pertinemment qu'elle ne se fait pas des amis en agissant de la sorte, mais sourire sur commande, c'est au-dessus de ses forces.


Mathilde, c'est une amoureuse de la vie, de la nature. Elle adore partir en rando avec ses chiens, dormir à "la belle". Elle pensait que son mec, avec le fric que lui rapporte "le tabac", emploierait quelqu'un. Mais non, du blé il en veut toujours plus, alors c'est elle qui s'y colle lorsque Pierre doit s'absenter. Ce magasin c'est sa punition, son purgatoire sur terre. Mais elle l'aime son mari, elle se doit de lui rendre service de temps en temps, de plus en plus souvent malheureusement.


Dans le village, elle passe pour une pimbêche. Elle s'en fout. Lorsqu'elle sent des regards vénéneux posés sur elle, elle fredonne "la mauvaise réputation " de Brassens.... Ca l'amuse de passer pour une autre !


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