29/11/2010 La substitution


« Les vieux ne parlent plus où alors seulement parfois du bout des yeux. »                                                        Jacques Brel
                                                                                 

Cette figure de style provoque un effet de surprise fondé sur l’utilisation d’une formulation attendue, dont on remplace certains mots par d’autres, que l’on n’attendait pas.

En l’utilisant, Brel évoque avec plus de force la vieillesse.
La faculté de parole des « vieux » leur est progressivement retirée, comme un mouvement inexorable vers la mort.

Vous n’êtes pas forcés de reprendre cette phrase mais vous garderez le thème des « vieux » pour élaborer un texte autobiographique ou imaginaire afin de vous entraîner à substituer …

Il s’agit de camper un personnage, une figure d’un autre âge avec des expressions authentiques et des positions vis-à-vis du monde, farouchement enracinées.




Texte d'Henry



Les vieux pécheurs du bout du quai.


Les vieux pécheurs du bout du quai ne parlent plus, ou alors parfois du bout du pied lorsqu’ils poussent à la mer un bout de corde que la marée a laissé.

Les vieux pécheurs du bout du quai regardent la mer de leurs yeux délavés et jettent un galet roulé dans l’écume de la vague qui bat le quai.

Les vieux pécheurs du bout du quai restent là face à l’horizon qu’ils ont franchi jadis, chevauchant les flots sur leur vieux  rafiot.

Les vieux pécheurs assis en rond au bout du quai ne se regardent jamais, c’est à la mer qu’ils racontent l’écho de leurs vies.

Les vieux pécheurs du bout du quai sont là simplement pour passer le jour, passer à d’autres leurs souvenirs qui tournent en rond.

Les vieux pécheurs ne quittent jamais le quai tant que le soleil n’a pas passé le phare qui jette l’ombre sur le quai.

Les vieux pécheurs du bout du quai ne parlent que pour eux, ils déroulent leur histoire longue comme la jetée et monotone comme la houle qui va et qui s’en va  contre le quai, flux et reflux au rythme des marées.

Les vieux pécheurs du bout du quai, dos ronds et casquettes vissées se ressemblent comme des oiseaux d’une même couvée, bleu de chauffe et œil lointain, ils se relaient sur les bancs du bout du quai qui n’est qu’un arrêt dans leur tour du port journalier.

Pour l’étranger ce sont toujours les mêmes les vieux pécheurs du bout du quai.

Car si certains arrêtent la promenade, d’autres débarquent à terre pour qu’il y ait toujours des vieux pécheurs au bout du quai.




Texte de Francine



             Assise sur son banc préféré, Mémé Charlot sourit béatement. Le châle comme un linceul de roses mordorées enserre ses frêles épaules et quelques soubresauts nerveux font tressauter le tissu lamé.


Comme tous les après-midi elle est là, fidèle à son rendez-vous adolescent. Il viendra à seize heure et comme chaque jour, dans son polo bleu ciel, mâchouillera un brin de menthe, laissant entrevoir la blancheur de son sourire. Elle dodeline de la tête, tripotant machinalement son mouchoir de dentelle, étouffe un petit rire coquin et se caresse le bout du nez.

Cela fait aujourd’hui soixante-cinq ans que Mémé Charlot a rencontré Marcel. Marcel aux yeux de braise qui danse comme un dieu et mordille tendrement le lobe de son oreille. Marcel qui n’est jamais arrivé jusqu’au banc sous le pommier en fleurs. Marcel qui a imprudemment traversé la voie ferrée pour ne pas être en retard à son rendez-vous amoureux…

Dans le parc de l’hospice, la surveillante claque des mains pour signifier la fin de la liberté, que le goûter est servi dans le réfectoire, et que les cheveux blancs doivent se mettre en route pour réintégrer la touffeur du bâtiment.
Semblables à des oisillons tombés du nid, les petits vieux sont perdus et se cherchent du regard pour retrouver le chemin de leur demeure.
Mémé Charlot attend son prince charmant. La surveillante fait signe à une jeune aide-soignante de tirer l’énamourée de sa rêverie et de la conduire telle une condamnée à grossir le troupeau des âmes mortes.

Le parc se vide doucement, retrouve sa jeunesse, envahit par le chant des oiseaux et les liserons volubiles qui tendent vers les cieux leurs fleurs encorollées.







Texte de Mistraline



« La vache qui crie », il disait toujours ça le papé quand il nous voyait tartiner cette pâte blanchâtre sur du pain frais. Un air de dégoût au coin des cils il ajoutait :

-         Entendez comme elle crie la vache quand elle voit cette substance fétide entrer dans vos bouches.

 Nous on le regardait en mâchouillant la dite substance tandis que l’aversion plissait sa peau, marbrée de longs sillons creusés par le labour du temps. Ces rides là semblaient acquiescer à son mécontentement. D’une voix de rocaille il répétait :
-       La vache qui crie, la vache qui crie, est-ce que c’est du fromage ça !?

-         Dis vieux kroumir, lui lançait alors la mamé Angèle, toi à part ton pélardon sec comme la garigue, tu mastègues pas grand chose va !

-         Tant que j’aurai pas plié mon pébroque, je crois bien pouvoir dire ce que j’ai à dire ! lui renvoyait-il.

-         Mon pauvre Gastou, t’es bien qu’un ploum ! concluait la mamé.

-         Suis pas plus pauvre qu’un autre l’Angèle, alors garde tes reliques de pitié tu veux, ponctuait le papé.

Leur jactance pouvait durer des heures, c’était à qui ferait le meilleur mot et clouerait le dentier de l’autre.
Nous on finissait de tartiner nos vaches qui crient et nous retournions jouer dans la paille de l’étable. On grimpait sur la poutre pour se jeter d’en haut sur les ballots dorés. 


Le papé Gastou quand il nous surprenait, il gueulait comme un chien mis à la chaîne. Il voulait pas qu’on froisse la paille de ses vaches. On abîmait tout qu’il disait, il nous appelait les petits salopiots et ça nous faisait rire. On le savait plus rêche qu’un gant de crin mais on avait l’habitude alors on se consolait le soir venu quand il nous montrait comment traire les vaches. Soudain il se montrait délicat, il avait des gestes doux et sa voix graveleuse perdait de sa rudesse. Ses vaches il les bichonnait comme si ça avait été des caniches de compétition. Il nous montrait comment masser leurs mamelles parce que d’après lui ça donnait meilleur goût au lait.

Le temps à passé, on a vu le papé Gastou et la mamé Angèle aller ad patres et s’ils avaient perdu le goût du pain, nous une fois adultes on a délaissés la vache qui crie pour la bonne vieille tome de ferme qui sentait le pré et les saveurs du lait dont on devinait que les pis de la vache avaient été palpés avec amour.

Vache cow  photo vache 01

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