06/04/10 La substitution


Quelques titres de livres, délivrés, qu'il vous revient de retrouver, nichés entre les lignes des textes qui suivent.
Et une figure qui substitue un mot à un autre pour créer l'inattendu !

Texte de MARIE-PIERRE

C’étaient des jours de colère. J’entretenais cette colère, je la grattais comme une plaie à vif et cette blessure sans cesse ravivée me procurait un plaisir pervers. J’avais beau écrire le livre des peines, cela ne suffisait pas à éteindre ce brasier, ces mille éclairs qui m’éblouissaient et me faisaient perdre la saison. J’avais très froid, j’errais, âme perdue au fond de mon mal-être, en partance pour un voyage au bout de la folie. Je grelottais de malheur, mon corps se liquéfiait, me devenait étranger.

J’atteignais la terre des ombres… Chaque jour durait mille ans. Parfois, tes recommandations me revenaient en mémoire : « Surtout, ne le dis à personne ! ». Et le souvenir éphémère de ce silence imposé me faisait de nouveau basculer dans la déraison.

Je pénétrai dans un monde inconnu, peuplé de créatures étranges et menaçantes. Elles m’assuraient que si je n’allais pas recueillir des pleurs pour Algernon, elles me feraient mourir à petit pas dans des souffrances invisibles. Je m’enfonçais dans un abyme sans fin. C’étaient des jours de désespoir, de non existence. J’étais un fantôme hagard, j’errais, famélique, à la recherche d’autres âmes perdues. Mais celles-ci me repoussaient avec terreur et m’envoyaient au cœur mille lances. J’en éprouvais encore de la douleur, car subsistaient en moi quelques lambeaux d’humanité.

Pourquoi vivre des haines ? Qu’avais-je fait pour mériter mille morts ? Ce voyage au bout de la vie m’épuisait. J’étais sur le point de tout dire, renier la promesse que je t’avais faite, devenir parjure. Mais une vie entière n’aurait pas suffi à éteindre ma honte. Alors j’ai écrit le livre des remords, en espérant que tu irais cueillir des fleurs pour ma tombe.
Mille couteaux m’ont transpercé l’âme et mon ultime voyage fut en terre des oublis.


Texte d'Anne-Sophie



Elle avait 18 ans, une vie devant elle, mêlée d'insouciance ou de sérieux, mais une vie, sa première, celle qui ferait naître les suivantes.

Aux quatre coins de ses yeux brillaient mille soleils. Cet été là, elle partit vivre quelques mois à New York, un petit job en poche, une adresse et trois sous.

Elle avait œuvré en silence, ses parents ne savaient rien. "Ne le dis à personne" se répétait-elle incessamment. Chaque jour elle préparait sa valise avec minutie qu'elle planquait ensuite sous son lit. Elle y avait mis le parfum que ses parents lui avaient offert pour son diplôme, ses livres et vêtements préférés et puis surtout son appareil photos.

Elle ne voulait pas leur dire, leur confier son angoisse car elle craignait de sentir la leur dans leur regard. Elle avait peur d'affronter leurs doutes tandis que les siens la submergeaient presque.
Elle préférait les laisser vivre des jours de colère après son départ plutôt que de partager avant, des jours de tristesse. La date approchait, la frénésie l'envahissait, son envol se dessinait enfin malgré ses craintes.

Quand le matin fut venu, elle leur écrivit une lettre tissée d'amour, de culpabilité et d'une envie irrésistible de voler de ses propres yeux.

C'est une fois dans l'avion qu'elle découvrit dans une des poches de son sac, une carte peinte, une simple aquarelle délicatement signée "des fleurs pour Algernone".

Au dos cette carte, quelques mots :

"Que la lumière jaillisse toujours de tes sombres nuits.

Voyage au bout de l'ennui mais des voyages à cent vies.


N'oublie pas nos langues maternelles, celles qui t'ont porté jusque là : la confiance, l'ardeur, la curiosité et l'amour.


Maman."



Texte de Marie-Raphaële



Ne le dis à personne,

J'ai déposé des fleurs pour Algernone,

Une gerbe de mille soleils pour célébrer une vie sans pareil,

Une âme pure, détruite, ne ressemblant à nulle autre merveille.



Moi, le chien perdu sans collier, je n'ai su te préserver,

Je suis devenu la bête humaine qui a ouvert le livre des haines.

A force de vouloir te garder, je n'ai vécu que jours de colère et regrets.

Ne le dis à personne, le vie glisse entre mes chaînes.



Je t'ai emmené en voyage jusqu'au bout de la folie,

Nous avons flirté sur de sombres rivages aux confins des interdits.

Ne le dis à personne, j'aspire désormais, à découvrir la Terre des oublis,

Je n'ai su être ton mari, laisse moi devenir ton meilleur repenti.



Texte de Martine


Les fleurs pour Algernon poussent-elles sur la terre des oublis?

Zoulou courant la savane sait-il qu'il vit une enfance africaine ?

Le parfum des langues maternelles longtemps nous emplit et nous comble.

Les chiens perdus sans collier des jours de colère s'en prennent-ils à la vie? A qui la faute, s'ils n'en ont pas le mode d'emploi?

De ce voyage au bout de la vie, tu ne sortiras pas vainqueur, toi l'homme aux mille lunes, aux milles joies vibrantes. De ta main fébrile tu as barré sur la page de titre du "Livre des haines" le mot "haines "et vaillament tu l'as remplacé par le mot "amours".

Tu viens de choisir. Respect!



Texte de Mistraline


Une vie ?

Qu’est-ce qu’une vie ?

Un fusil sur lequel on affûte son âme ?

Ne le dis à personne mais parfois ça n’est rien d’autre qu’un voyage au bout du déni - triste voyage au bout de l’ennui.

Le fil est émoussé mais l’on devient tranchant.

Si le corps est prisonnier, la pensée s’exile aussitôt ailleurs, cherchant mille soleils pour éloigner l’esprit, des jours de colère, des jours de galère, des jours de misère. Autour de nous, c’est le branle bas du nazdaq.

Peut-on vraiment rejoindre la Terre des oublis ?

Là, rien ne nous attends ; ni tâche, ni besogne, ni projet, ni personne.

Là, où l’on oublie même nos langues maternelles. Celles qui depuis la naissance nous aliènent, chargées de mots à la dérive qui viennent se fracasser par vagues successives contre les récifs fragiles d’une psyché houleuse.

Comment quitter la brèche précaire qui nous dissimule aux yeux du monde ?

Prendre le risque de vivre, alors que vivre est un risque de mort !

L’équation est cruelle, d’autant que la vie est un long fleuve tourmenté qui se gonfle ou s’assèche sans souci des marées humaines. L’homme est un élément du fleuve, il est sujet lui aussi à des variations cycliques, à des sautes d’amour qui lui font détester ce qu’hier, il aimait et mépriser obstinément ce par quoi il est naît.

C’est ainsi, aussi douce qu’amère, la vie est une amande déguisée en dragée.

Certains la savoure, d’autre la broie sans la sentir passer mais quoi qu’il en soit, chacun s’y d’émaille un peu les dents.

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