23/03/10 Et vogue la galère...


Grands voyageurs devant l'éternel, les portugais ont rapporté de leurs voyages, des mots et le goût des épopées.
Voici une liste de mots issus du portugais, pour un logorallye lusophone :

Caramel ; de caramelo : glaçon, autrefois bonbon.
Marmelade ; de marmelo : coing.
Caravelle ; de caravo : sorte de Barque.
Vigie ; de vigiar : surveiller, guetter, épier.
Fétiche ; de feitiço : sortilège enchantement.
Pintade ; de pintar : peindre.
Zèbre ; de zebra : équidé sauvage.


Mots importés par les Portugais :
Mangue ; du tamoul d’Inde, man-gay : fruit à chair jaune.
Jaguar ; du tupi d’Amérique du sud, januare ou jaguara : grand mammifère au pelage moucheté.



Pour nous donner le pied marin, voici l'incipit de Moby Dick écrit par Herman Melville.
« Appelez-moi Ismael. Voici quelques années – peu importe combien – le porte-monnaie, vide ou presque, rien ne me retenant à terre, je songeai à naviguer un peu et à voir l’étendue liquide du globe. »

Marie Raphaele

« Appelez-moi Ismaël. Voici quelques années – peu importe combien- le porte-monnaie, vide ou presque, rien ne me retenant à terre, je songeai à naviguer un peu et à voir l'étendue liquide du globe. »
J'avisais un café près du port de Brest. Je savais qu'à cet endroit j'avais une chance de trouver un capitaine qui pourrait m'accepter rapidement à son bord moyennant rétribution. J'avais sur moi uniquement quelques souvenirs de mon père : une montre-boussole en or, une paire de jumelles et une lettre de recommandantion signée de la main du Roi de France.
En arrivant à l'intérieur du bouge, je vis plusieurs tablées. Certaines me parurent beaucoup trop avinées pour être sérieuses. Je misai sur une équipe plus discrète, un peu en retrait. Un des gars portait un singe sur l'épaule, son voisin avait une tête solide avec un regard franc.
Je me lançai.
J'expliquai que je souhaitais quitter le pays rapidement et que j'avais de quoi payer mon embarquement.
A ma surprise, celui que je supposai être le capitaine ne parut pas intéressé par cette dernière information. Il m'interrogea sur ma motivation :
« - Tu as déjà navigué? me demanda-t-il ses yeux gris plantés dans les miens.
  • Non, mais je sais que c'est mon destin. Je suis géographe et je veux connaître les contrées lointaines que d'autres ont découvertes et que je reproduis sur des cartes.
  • Hum ... Nous partons vers les Indes cette nuit, à la marée. Si tu te sens capable, je t'accueille. Mais attention, sur mon bateau tout le monde travaille beaucoup et dort peu. »


Nous prîmes la mer en ce jeudi 3 avril 1627.
C'est ainsi que je découvris une immense caravelle de près de 80 pieds de long, à trois mâts. Je savais que ce bateau était à la fois rapide et maniable.
Je traversai le pont pour aller dans la cabine exigue, équipée d'une couche sommaire et d'une petite table.
La capitaine me fit visiter le bateau et me familiarisa très vite avec le vocabulaire de base : grand mât, mât d'artimon, beaupré, trinquet. C'est sur l'un deux que se perche la vigie pour scruter alentours.
Ensuite il m'indiqua la cambuse. C'était à moi de tenir lieu de cuisinier, le précédent étant resté à terre cloué par le scorbut. Je dus me servir en victuailles pour confectionner mon tout premier repas à bord. Dans l'obscurité et dans une odeur aigrelette, une grande cage - remplie de poules caquetantes, canards déconfits et autres volatiles - faisait un raffût de tous les diables.
J'optai pour deux pimpantes pintades dodues. En allant plus bas vers la cale, j'aperçus un lot de confiture et choisi de la marmelade pour agrémenter la volaille.
Pendant plus de deux mois, ce fut tout mon quotidien. Moi, le petit géographe, j'avais ma chance, je marchais sur les traces des plus grands navigateurs.
Alors que nous croyions attaquer avec sérénité la Mer Rouge, les flots commencèrent à frapper furieusement contre la coque du navire. Les vagues passaient au-dessus du pont faisant pleurer à chaque coup de boutoir le mât de misaine. Pendant 6 jours et 6 nuits, nous n'avons pas dormi, essayant de sauver les voiles, le matériel. Un grain plus violent que les autres balaya le gouvernail et un trou béant se forma sur le pont. La situation devint critique. Le dernier tonneau d'eau potable passa par dessus bord. Puis le calme revint aussi vite que la tempête était apparue. Un soleil radieux
nous inonda.
Le calme, très calme. Tout à coup un cri d'oiseau déchira le silence désolé. Une mouette. « - Terre! cria la vigie, terre à bâbord à environ 30 milles! »
De loin, un minuscule point apparu à l'horizon. Puis une côte apparut, dodue, feuillue, bienvenue.
A mesure que nous approchions, nous vîmes un sol noir se dévoiler. Ce qui nous semblait être à première vue un ilôt isolé était simplement un écran cachant une multitude d'autres ilôts volcaniques.
Nous accostons sur un rivage moins accidenté que les autres et disposant d'une baie bien protégée.
Nous essayons de faire le point avec le capitaine qui pense être légèment en-dessous de l'Egypte. Mes talents de géographe ainsi que ma boussole démontrent le contraire, je pense que nous avons beaucoup dérivé pendant la tempête et avons été poussés vers le sud-ouest.
Nous débarquons et inspectons les environs : pas de village visible simplement le bruit de fond d'une cascade d'eau. Ouf! Nous ne mourrons pas de soif.
Tout à coup, un drôle de hennissement nous accueille. Le cheval le plus extraordinaire que j'ai jamais vu me passe au ras du nez. Il est petit, puissant et rayé de noir et blanc. Je crois avoir admiré cet animal sur une peinture naturaliste d'un explorateur revenu d'Afrique. Il appelait cela un zèbre.
Pendant quelques jours nous poussons notre exploration plus avant dans la forêt luxuriante qui nous entoure. Nous nous gorgeons de fruits aux couleurs incroyables et pêchons de magnifiques poissons inconnus. Le paradis sur terre nous enveloppe généreusement. Une île vierge de tout humain, quelle aubaine et quelle dérision pour un géographe en mal de reconnaissance!
Le capitaine essaie de rafistoler son bateau pour explorer les autres îlôts.
Nous n'avons pas vu arriver ces drôles d'embarcations.
« Zoubaa! » Une lance atterrit à quelques centimètres de ma tête. En une poignée de secondes, une troupe de mini bonshommes nous encercle et nous force à monter dans leurs pirogues. Nous dépassons plusieurs rochers, contournons un récif corallien et nous débarquons.
Après plusieurs kilomètres de marche dans la végétation dense, nous apercevons un ensemble de huttes faites en branchages. Au centre du village, un patriarche d'une belle couleur crème brûlée nous attend, silencieux, les yeux mi-clos.
Bientôt un groupe d'hommes amène une longue tige d'une plante inconnue puis des femmes la prennent puis la tiennent au-dessus d'un feu. Une odeur sucrée monte lentement. Et là, une clameur venue des profondeurs de leurs entrailles sourde : « Caramelo! Caramelo! », scandent les voix de plus en plus fort, de plus en plus vite.Un sorcier revêtu d'une peau de jaguar tacheté tremble de tout son corps.
Je transpire abondamment, tout l'équipage et moi avons très peur.
Les chants s'élèvent. Nous nous retournons ne comprenant rien. Soudain, le sorcier s'approche avec un bâton trempé dans la mixture de la mystérieuse plante.
« - Nam! M'ordonne-t-il.
  • Nam! »
Je comprends que je dois avaler le poison. Je ferme les yeux. Moi, Jérôme Lepigocher, je vais mourir en terre inconnue. Adieu! Lentement j'ouvre la bouche, aspire une dernière goulée de vie et je lèche. Un feu d'artifice explose en moi. Le paradis m'envahit. Je souris, c'est bon, c'est doux, c'est suave.
Quand je rouvre les yeux, le sorcier secoue ses bras en l'air et hurle : « - Ismaëlo! Ismaëlo! »
Je sais maintenant quel est mon destin. Je suis devenu Ismaël, le signe, le fétiche tant attendu par cette peuplade. Le capitaine me regarde d'un drôle d'air, il ne sait s'il doit éclater de rire ou pleurer. Je suis Ismaël et j'ai découvert le caramel.
Le petit géographe français est devenu quelqu'un d'autre, un être important. J'ai fait une découverte, pas de celle qui rend riche ou célèbre mais celle qui rend fier bien malgré moi!


Anne-Sophie
Je m’appelle Ismael. Voici quelques années – peu importe combien – le porte-monnaie, vide ou presque, rien ne me retenant à terre, je songeai à naviguer un peu et à voir l’étendue liquide du globe.
Une fois de plus, j’avais juste de quoi me payer un billet, ou deux ou trois, enfin suffisamment de kilomètres à parcourir pour m’enfoncer quelque part ailleurs, loin très loin de nos contrées déracinées, bétonnées.
D’abord douze heures direction sud ouest, puis trois heures pour l’intérieur et encore deux heures pour me perdre un peu plus, et enfin une barque, ou plus précisément, un caravo comme disent ces petits bonhommes à la peau tannée, aux yeux amandes et noisettes, parlant une langue, vaguement familière, cousin de l’espagnol, un portugais arrangé.
Avant de partir sur cette rivière tranquille, il me semblait avoir entendu crier une ou deux mises en garde, « vigiar ! vigiar ! ». J’ai réfléchi un moment, j’ai pensé à vigilare en italien, à vigie en français, bref je devais faire attention. Je me doutais bien que sur ma route je ferais la rencontre de quelques animaux sauvages. J’avais surtout besoin de m’isoler, de fuir le connu et de laisser l’inconnu alanguir mon corps et mon âme. J’ai filé l’eau des heures durant, comme un automate, la pagaie dans une main puis dans l’autre. J’évitais branches, ramures, et découvrais un environnement neuf, insolite. Je me sentais enfin seul, désarmé et serein. Je croisais zèbres et pintades à mon grand étonnement. Etait-ce une réalité ou l’effet magique de cette douce fumée bleue que les petits bonshommes m’avaient fait humer en guise de bienvenue…
Pas de caméra, ni d’appareil photo, presque nu, juste de quoi boire et manger pour quelques tours de soleil. Je longeais la lisière d’une terre vierge, j’hésitais à accoster, j’effleurais du bout des doigts la glaise. La curiosité m’affamait tant que je stoppai alors la barque d’un mouvement de bras et sautai sur le rivage. J’enjambai, me faufilai, l’environnement ne paraissait pas si hostile. Il m’offrait ses fleurs, ses arbres, une opulence de verdure, une forêt extraordinairement généreuse. Je me gavais de fruits, tellement mûrs que je portais à ma bouche une marmelade de chair jaune sucrée, la mangue.
J’étais tout à fait conscient que la solitude me rendait beaucoup plus vulnérable, moi l’étranger au beau milieu d’une jungle parfaitement organisée, je redevenais le maillon faible, une proie facile. Mais cette liberté me rendait plus fort, sans aucun doute. Mes voyages me rappelaient sans cesse de n’être rien ou peu parmi ce tout. Il me plaisait de vivre cette réadaptation à la terre, à une vie primaire.
Le bruit du feuillage écrasé sous mes pas faisait fuir les bestioles les plus peureuses. Puis vint le moment, la traversée furtive du serpent au beau milieu de mes jambes. Immobile, sans frémir, sans panique mais quand même l’estomac un peu noué, je détachais lentement la bride du porte couteau et en sortais la lame. Il me regardait presque dans les yeux, tête relevée, je devais réagir vite mais sans précipitation. Au cours de mes voyages, j’avais appris à me battre, me défendre, me camoufler. J’avais longtemps observé le grand Guarany, vieux chef d’une tribu guyanienne. D’un seul coup je tranchai alors la tête de ce python jaune.
Après quelques jours et nuits passés dans ce bush où j’aurais tant aimé croiser le tupi d’Amérique du Sud, le jaguara au pelage moucheté, je revins enfin vers les hommes, le serpent autour de mon cou, le fétiche. Avant même de les apercevoir, ils m’avaient senti arriver. Ils attendaient, là, attroupés. Ma barque filait l’eau, et peu à peu j’entendais enfler leur étrange charabia. A peine le pied posé à terre qu’ils chantaient déjà, m’entouraient de leurs bras pour fêter ma victoire, mon intronisation au sein des leurs. Le serpent avait une grande signification, il me voyait en guerrier.
Ce soir là, autour du feu, je dormis parmi eux, avec au palais la saveur douce du sucre brûlé, le caramelo, et l’étrange sensation de vivre le bonheur dans son plus simple apparat.




Martine


Appelez-moi à votre convenance, ou Va-nu-pied ou Jean-sans-terre, cela m'importe peu et me va comme un gant.

L'année de mes seize ans, je rompis les liens avec ma famille. Pour gagner ma vie, je m'en allais trainer sur les quais de Saint-Malo, en quête de quelque bonne fortune. Parmi les cordages pourris et les rats, j'observais le va et vient des hommes, rendais de menus services et gagnais leur confiance.

C'est ainsi qu'un matelot bonasse accepta de me faire monter à bord. Sans un sou vaillant et sans plus de malice qu'une pintade, je me retrouvais bientôt mousse au service de l'équipage. J'appris, parfois fort rudement les principes de la vie à bord, les privilèges et les hontes s'attachant à chacun des hommes.

Notre navire allait toucher la côte après de longues semaines de navigation. Nous devions remonter le fleuve aussi loin que possible de son embouchure, puis jeter l'ancre. Certains hommes de l'expédition se rendraient alors à terre pour observer les arbres, les plantes, les animaux et en rendre compte. C'est ainsi que trois jours après que la vigie ait crié terre, je reçus l'ordre d'accompagner un petit groupe légèrement équipé. Notre embarcation s'éloigna rapidement du navire pour se perdre dans la végétation. Nous empruntâmes un chenal au dessus duquel les arbres se rejoignaient. Etait-ce d'ailleurs des arbres ou des fougères géantes d'où s'envolaient des myriades d'oiseaux mouches, plumages bleu, pourpre ou caramel, ailes si véloces et si fines qu'on ne les voyait se mouvoir.

Nous posâmes bientôt le pied sur une terre brune et spongieuse comme de la marmelade de coing. Je courbais sous le poids de la boite à dessin dont on m'avait chargé. Nul homme, sans doute n'avait encore abordé en ce lieu. Les animaux ne s'éloignaient guère et il me fut donner de les observer à ma guise pendant que les naturalistes les peignaient. A un moment, il me sembla même apercevoir en sous-bois le pelage zébré d'un okapi ou d'un nigaud avant qu'il ne se détourne et nous montre en partant son postérieur rebondi.

Nous étions au milieu de nulle part et ce n'est pas notre fusil chargé au salpêtre qui nous aurait protégé si d'aventure un danger s'était montré. Nous aurions aussi bien pu confier notre vie aux gris-gris et autres fétiches que nous découvrîmes plus tard à quelques jours de marche. Non, ces lieux sans doute inhabités bruissaient de vie, mais rien ne venait la troubler, hormis nos voix et nos gestes. Respect ou conscience du sacré de l'instant, une certaine retenue nous bridait naturellement.

Ce sanctuaire était bordé de quelques arbres imposants dont les fruits jaunes ou rouges, et juteux se tendaient vers nous pour nos délices. Nous apprîmes plus tard qu'on les nomme "mangues". Nous continuâmes à nous enfoncer dans les terres. Notre petit groupe avait pour de bon quitté la matrice restreinte qu'était le navire.

Commentaires

  1. Bravo Anne-Sophie!!! Superbe texte!!! Quel plaisir de lire tous ces écrits. Merci de m'avoir invité à venir vous lire! C'est excellent.
    Félicitations à tous ceux qui participent à cet atelier et plus particulièrement pour toi, u gros bisou!
    Brigitte

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