30/11/09 Histoires de livres

Ces livres qui nous ont ouvert la voie de la lecture

« Un jour j’ai sorti un livre, je l’ai ouvert et c’était ça. Je restai planté un moment, lisant et comme un homme qui a trouvé de l’or à la décharge publique. »

Charles Bukowski, préface de Demande à la poussière de J.Fante


Texte de Véro


La rencontre avec le livre

Le vendredi était le jour des courses. Quand ma mère rapportait sa pile de magasines, nous, ses enfants, n’avions pas le droit d’y toucher.
Je ne sais pas pourquoi elle avait fini par m’acheter le Journal de Mickey. Etait-ce parce que ma grand-mère paternelle avait décelé mon handicape et lui avait confié qu’il fallait me faire lire ? Était-ce parce que j’aimais le touché du papier glacé des Paris Mach, Elle et autres presses de luxe, que pour avoir la paix, elle s’en procurait un pour moi toutes les semaines.
Je le prenais. En admirais la couleur, le dessin de la couverture. Feuilletais les pages. Survolais les bulles. Me consacrais à la mise en images. Et puis je le posais sur le Tea-Wagon de la cuisine et attendais.
Le Tea-Wagon était une table en forme de demi-lune qui séparait le laboratoire culinaire tout carrelé de blanc des murs au sol, de la salle à manger. La bonne savait, qu’après avoir rangé les courses, et avant le repas du soir, elle allait passer un moment avec moi. Autour du Tea-Wagon, il y avait deux chaises en osier. Nous nous y installions. Au début, j’étais attentive… au journal, aux images. Après quelques pages, souvent, j’arrêtai de regarder avec elle, et les yeux mi-clos j’écoutai. Les paroles des dialogues coulaient à mes oreilles, réveillaient ce que j’avais observé quelques instants plus tôt. Le moment était délicieux.
Je ne lisais pas. Avec les livres de la bibliothèque rose de ma grand-mère, mon plaisir était de les voir dans mon étagère bien rangé, après avoir été écouté, bien entendu !
Quand à l’école, il me fut incontournable de lire, je ne faisais que le strict nécessaire : les résumés d’histoire, de morale et de grammaire. Si je lisais tout comme je disais, je souffrais après pendant des jours de visions où les pages des livres m’apparaissaient devant moi. Ce n’était pas agréable. Je gardai mon secret et trouvai toujours une échappatoire pour ne pas lire.
A l’adolescence, la lecture théâtrale déclencha une véritable passion, et je me lançais dans ce laborieux univers. Anouilh m’attrapa les boyaux avec le monologue d’Antigone. Unesco bouleversa mes convenances avec Le Roi se meurt, Molière me fit rire avec les tours de Scapin, Arthur Miller eut ma préférence avec ses drames humains et familiaux des années soixante aux Etats Unis.
La poésie prit ma plume. Mais, un jour pudiquement je prêtai mon cahier à un de mes premiers amants. Il me revint avec des stickers de Mickey et des commentaires. Dans la cheminée, j’ai brulé l’amorce de cet échange littéraire en me jurant de ne plus jamais écrire de poésie !
Mais ce fut pourtant lui qui, sans y prendre garde, m’ouvrit la porte du cabinet interdit. Il me prêta des livres de sciences fiction. A vingt ans, je travaillais de nuit pour une maison de retraite, et c’est là je pris conscience de l’utilité de lire : ça maintenait éveiller. L’été tirait ses couleurs vers l’automne, les aides soignantes étaient toutes revenues de leurs congés payés, la science fiction tomba dans le gouffre de l’oubli.
Pour être tout à fait sincère avec le sujet, je dois révéler un détail. Ma mère lisait beaucoup de romans, elle partageait ses lectures avec mon frère. J’avoue n’avoir jamais pu achever aucun de ces livres… il faut l’avouer la lecture m’ennuyait.
Pourtant le père d’une amie, à l’adolescence me fit découvrir un auteur Georges Duhamel. J’aimais son style simple, ses descriptions du monde d’un autre siècle, ses prises de positions. Cette rencontre me donna l’impression de partager sa vie, de la comprendre. Et même de la vivre ! J’allais jusqu’à bruler un billet de 500 Fr devant des camarades. Quelle jubilation ! le livre était initiatique !
Pour revenir à cet amant peu respectueux de mon verbe, il me fit un autre cadeau, et celui-là changea ma vie. Une après-midi, alors que j’allais chercher dans notre chambre un T-shirt, je vis posé là un livre étrange. Son format était peu commun. La frise qui bordait la couverture surprenante. Le titre provocateur : « l’herbe du diable ou la petite fumée »
Je tombais en amour, en transe, en extase. Je riais, je pleurais, je craignais pour l’auteur. Je vivais chaque détail. Je n’étais plus ici et pourtant je l’étais encore, mais j’étais là-bas avec cet étudiant d’UCL qui cherchait des plantes de pouvoir et qui rencontra beaucoup plus.
Prise d’une fièvre qui m’était alors inconnue, je courus toutes les librairies pour avoir la suite. Mon handicape me força à prendre un crayon de papier et à suivre chaque ligne, chaque mot, chaque point. Je surlignais, annotais, encadrais. Je rentrais en écriture-lecture comme on rentre en religion, le livre devint mon maître. Il guida mes pas vers des mondes inconnus. Je ne craignais pas de m’y perdre, car pour revenir, il me suffisait de me sortir du livre et je retrouvais mon quotidien ! Mais peu à peu, il fut teint par ce monde étrange des sorciers de l’ancien Mexique.
Aujourd’hui lire reste toujours une mission. Je lis quand j’en ai besoin. Et les mots lus se transforment en mots dits ainsi naissent mes histoires, celles que je raconte, celles que je vis, et celles que je rêve.




Texte de M


FRICHES DE LECTURES

Marron, noir, gris, je caresse les tranches des libres de la bibliothèque de ma mère, certaines sont douces, d’autres râpeuses, ma main ondule de dos en dos.
J’ai cinq ans ma mère est au ciel et elle me regarde.
Ses livres sont un indice de son existence, ses restes, sa chair immuable, compressée, imprimée. Des milliers de feuilles délicates alignées et serrés les unes contre les autres.
J’hésite, je n’ose pas déranger cet ordre parfait qu’est l’alignement d’angles à 90 degrés.
Avec l’indice en crochet je tire un livre vers moi, mais avant de le sortir complètement du rang je m’assure que l’espace qu’il occupait ne soit pas envahi par les autres livres, je fais glisser sur ma joue sa couverture blanche et glacée et je le range.
Je prends encore un et encore un, et encore un… je les ausculte, je tâte l’épaisseur du papier, je renifle leur reliure, leur odeur, musquée par fois, me monte au nez.
A chaque prise leur exhalation m’imprègne, mes sinus sont comblés, elle me happé à la gorge, je suis de plus en plus prés, de plus en plus proche du cœur, de l’énigme, de son cœur, mon cœur bat (…)


J’ai 10 ans, mon père c’est remarié, sa femme a apportée avec elle des caisses des Selections du Reader’s Digest et des libres, elles sont entreposés dans sa chambre.
Outre ses balancements de hanches tout à fait nouveaux dans ma famille, ma curiosité est irrésistiblement attirée par ses boites remplies de lectures potentielles.
Comment les approcher ?
Je serre mon ventre, je me concentre pour devenir transparente et pieds nus je me glisse entre deux battants de porte pour atteindre le filon.
J’inspecte minutieusement chaque titre, je ne veux pas manquer quelque chose.
Les articles des Sélections en deux colonnes et petits caractères sur des pages tassées qui se décollent, me gavent de fadeur.


Je remarque un livre, épais, lourd « Pour qui sonne le glas »* je trouve ce titre joyeux, j’imagine les cloches a toute volée annonçant la fête, donnant la bienvenue a quelqu’un, je pars avec lui serré contre ma poitrine.
La femme ondulante me taquine « Tu vas lire ce livre » ?
Je me lance, il ne me fait pas peur, je lis, je ne le quitte plus.
Je ne sais pas ou ça se passe, j’attends le moment ou les cloches sonneront, mais avant il y a les républicains, les franquistes, les amoureux, un pont qu’il faut faire sauter, la trahison, les russes, les allemands, la fuite, la solitude et a la fin, tout a la fin le glas qui sonne et je pleure incrédule, sans comprendre, sans accepter (…)


*En espagnol « Por quien doblan las campanas »
En espagnol il n’y a pas l’équivalent de « glas » qui évoque la mort sans ambigüité.
Dans cette phrase le sens de mort est donne par le mot « doblan », qui couramment veut dire plier, tourner, doubler, redoubler, mais que dans le contexte énonce une façon particulière de faire sonner les cloches.



Le train de banlieue est bondé, c’est l’heure des travailleurs.
Il y a encore quelque temps tout était prétexte pour entamer la conversation avec ses voisin de siège, aujourd’hui on évite les regards, de temps en temps on s’adresse un sourire triste mais on ne se parle plus, on ne sait pas qui écoute, on ne sait pas qui ou quoi peut nous attendre a la descente.
Moi je lis, j’ai déniché, je ne sais plus ou, un roman d’espionnage qui se passe a Alexandrie avant la deuxième guerre mondiale.
Alexandrie, un nom extraordinaire, sa sonorité m’évoque l’abondance, le mystère ...
Je me retire dans mon bouquin.
Les intrigues amoureuses et politiques autour de l’ambassadeur d’Angleterre figurent un monde illusoire, figé et opaque, je ne m’attarde pas, je préfère suivre les personnages de la ville blanche a la ville rouge, entre les hauts murs en brique qui cachent le soleil, gorger mes yeux des bleus et d’ocres lumineux, m’enivrer avec les odeurs d’épices et de ragout de mouton.
Envouté je disparais dans le ventre de la ville basse, je musarde dans ses boyaux frais et sombres je veux que ca dure longtemps, longtemps, mais le train s’arrête et je quitte Alexandrie pour descendre.
Je suis à Buenos Aires en 1976 et le glas sonne et sonne.

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