02/11/09 CADAVRE EXQUIS


Pour s'essayer à l'écriture à plusieurs mains rien de tel que le cadavre exquis !
Prenons un texte X, poursuivons-le pendant dix minutes, passons notre feuille à notre voisin et continuons le récit d'un autre...

Texte X :« Incontestablement quelque chose me tourment aujourd’hui. Une tension aux contours imprécis se promène dans mon corps comme une drogue qu’on m’aurait subrepticement injectée.
Tout à coup comme ça, en plein mois d’avril, le ciel est devenu gris et nuageux. Au bout de quelques minutes il s’est carrément brisé sur les rues de Tel-Aviv en une averse tiède, tardive, tel un invité paumé débarquant après la fête.
J’ai levé la tête vers ce ciel pâteux et laissé la chaude pluie poussiéreuse me laver et mouiller mes vêtements. Tandis que j’étais comme ça debout, une espèce d’angoisse s’est insinuée en moi, l’intuition qu’il allait se passer quelque chose… »


Alona Khimi, Lily la tigresse



Textes à trois voix :


L’eau coulait de mes cheveux, glissait sur les plumes de mon boa et laissait des traces brunes entre mes seins.
Mon corps était épuisé, en lambeaux, chaque goutte de pluie lui arrachait un frisson. J’enlevais mes talons aiguilles et mes collants, quelques passants me regardaient. Je frottais mes genoux endoloris, mes pieds engourdis me lançaient.
C’était pour aujourd’hui…
Une sacrée trempée qui continuait. Et le boa autour de mon cou s’alourdissait d’eau, d’en haut et du caniveau dans lequel il traînait et lentement m’étranglait.
Mes pieds libérés, mes mains se saisirent vivement du nœud coulant de boa et l’arrachèrent de ma gorge. Cet ultime effort de survie, brutal, entraîna non seulement boa mais aussi tout taffetas, sassafras d’un soir.
Et me voilà nue sous la pluie, emportée par l’eau du caniveau transformé en ruisseau. Nue mais peu à peu complice de ce bain improvisé qui me façonnait tel un galet.
Moi, la fille des rues, la grue des ruelles sombres, la dégrafée du caniveau, je baignais dans l’eau du ruisseau, au sens propre et au figuré. Le déluge providentiel lavait mon corps de ses péchés.
C’était pour aujourd’hui ma certitude s’affirmait.
Et dans le lit gonflé du courant diluvien, je sentais se polir mes hanches et mes seins, ma taille se creuser, mes jambes s’affiner, métamorphose d’une vénus sortant des eaux boueuses.
La fleur du macadam enfin avait éclos, laissant au fil de l’eau les oripeaux de la luxure, transie d’étonnement et de virginité.
L’inondation avait rendu la vie à mon corps de lambeaux qui venait de renaître par la force des eaux.


Autre texte


Tout à coup des grains de sable crépitèrent sur mon visage et mon corps, de plus en plus fort. Un rideau noir se dressait face à mes yeux et je ne trouvais aucun abri.
Et le sable se fichait dans ma peau, ma tête et dans mon corps qui l’absorbait, l’alourdissant. Je titubais vers cette grêle de sable puis m’effondrais, de plus en plus lourde, soudain impotente, incapable de me relever.
Là, à ras de trottoir, transformée peu à peu en dune, le corps lourd, lourd… S’enfoncer dans le sable, disparaître sous le sable.
Mes bras impuissants tournaient d’un mouvement de moulinet de plus en plus faible.
J’éternuais des atchoum de détresse et chaque éternuement désincrustait les grains de mes pores meurtris. J’allais m’ensevelir à force d’absorber la plage !
Je risquais l’asphyxie et je tentais la mort qui devait me veiller comme un vautour au ventre creux.
Entre deux pelletées pour son château de sable, un enfant m’observait. L’air occupé qu’il affichait, lui permit de se rapprocher subrepticement de la dune que je devenais. Lorsqu’il fut assez près, je le suppliai de m’aider. Eternuer était mon seul moyen de respirer.
L’enfant me regarda quelques secondes dans les yeux, puis haussa les épaules avant de déguerpir en courant vers la mer. Mes épaules s’affaissèrent sous le poids de la mort promise. Le sable vint se ficher dans mes yeux, m’obstruant toute vue, tout espoir.
J’attendis l’inéluctable.
Je reçu soudain un seau d’eau salée sur la tête et je vis réapparaître le petit gars, me tendant fièrement son seau vide dans une main et un tube de poivre dans l’autre. Il avait trouvé l’antidote !
Passant une bouée autour de sa taille, il l’attacha à la tige d’un parasol avant de s’allonger de toute sa longueur pour mettre le tube de poivre sous mes narines.
Atchoum !! Un nuage de sable se déposa sur son bras.
Atchoum !! Des grains de sable couvrirent ses cheveux.
Je n’allais pas mourir seule, je pleurais pour nous deux, fort.
De plus en plus fort, les larmes coulaient de mes yeux, ruisselaient sur le sable, le mouillait, l’amalgamait, le tassait, elles faisaient des ondes d’eau salée.
On a commencé à flotter l’enfant et moi, on a quitté la plage, laissé le golfe, trouvé la mer.


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