16/06/09 Des mots-valises de Finkielkraut


Mamour-propre, jadisponible, maussadjudant, fliction, kidnapper et snobéir... ça ne vous évoque rien ?
Nous allons vous raconter...



Texte de Mistraline

La déconvenue de Lucien Chiffon

Dans cette histoire policière, la fiction dépassait la fliction.
Lucien Chiffon, hélas, en perdit le nord et son latin…
Il s’était retiré tout une après-midi dans son bureau miteux ; avait consciencieusement tiré les stores pour se prodiguer à l’abri des regards indiscrets d’innocentes caresses sensuelles.
Chiffon n’avait jamais su trouver l’inspiration autrement. C’était pas le genre de la maison, ni conventionnel, ni académique, il était sans nul doute un petit chef ronchon mais atypique. Dans sa carrière il avait traité plus d’affaires qu’aucun autre commissaire de la nation. Il avait un flair de hyène affamée, une suspicion maladive pour tout le genre humain et une logique résolument personnelle ; quoi qu’il en soit, pour sa dernière affaire, il pédalait dans le taboulé.
L’incident avait eut lieu chez des bobos rageurs, des petits pédants, des rebelles de pacotille que Chiffon appelait : les pisseux capricieux. Une bande de m’as-tu vu pétrie d’orgueil et de manières ridicules, tout juste bons à se répandrent dans des petites sauteries chicos afin de snobéir en masse.
La dernière en date s’était bigrement mal terminée…
Un petit con s’était pointé avec une arme de destruction massive en laisse ; un molosse aux origines impénétrables, qui avait massacré, et l’appart et les bobos.
Chiffon avait découvert un intérieur immaculé de tartares de mollets.
Jusque là, rien d’extraordinaire… si ce n’est le chien.
Ce qui chiffonnait le maussadjudant concernait le comportement de l’animal devenu fauve en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Tous crocs sortis, il avait bondi au moment du dessert, pour engloutir le nappage du gâteau. Son petit dessert achevé, il s’était retourné avec férocité sur la clique bourgeoise endimanchée et l’avait dépecé.
L’autopsie révéla qu’il ne s’était pas contenté de manger les bobos, il avait aussi mangé leurs enfants !
Sauf que ce soir là, des enfants il n’y en avait pas…

Chiffon patinait sa peau de caresses pressantes ; se palpant et pétrissant sa chair grasse en quête d’élucidation. Il parcourait son petit corps d’empoignades subtiles et d’effleurements apaisants ; sans cesse il s’activait, entre la transe et l’absence, s’agitant au rythme de l’esprit vacillant.
Pourquoi un chien grassement nourri se serait jeté sur le nappage du gâteau ?
Mamours-propres ou pas, Chiffon semblait dans une impasse. Des chiens tueurs d’enfants, il avait déjà vu ça, mais un clébard se jetant sur l’assemblée après une pâtisserie au chocolat, ça n’était pas monnaie courante.
Le pauvre homme avait beau s’astiquer, il ne trouvait rien de reluisant, rien qui aurait pu éclairer sa pensée, aucune idée lumineuse, le noir total.
La science délivra son verdict.
Après analyse, il s’avéra que le nappage contenait, outre du chocolat et de la cannelle, de la chair d’enfants.
Autant dire que les cannibales des beaux quartiers s’étaient fait croquer menus par un sujet canin appâté par la chair humaine !
Cependant l’affaire ne fût jamais bouclée. On ne retrouva pas le cordon bleu.
Lucien Chiffon se mura dans d’obscures ratiocinations et condamna à jamais toutes les suggestions de sa mémoire. Car sa mémoire cachait des ogres grands toqués, de fins gourmets cuiseurs d’enfants, qu’il délaissa pour s’alzeimer sous d’autres cieux.




Texte de Sonâya


Le talangage...
Mon mari, depuis son accident cardio-vasculaire, a hérité d'un bien curieux handicap : de temps en temps dans ses phrases, surgissent des mots qui n'existent pas, et lui seul en connais le sens.Le médecin nous a dit de ne pas nous inquiéter ; son accident a provoqué un certain dérèglement au niveau de la connexion des neurones, en plein dans la zone du langage, mais selon lui, les choses se remettront doucement en ordre, d'ici deux à trois ans...il faut être patient.Moi, je pense qu'Hubert, à force d'écrire des histoires, a développé un imaginaire farfelu, et que l'accident l'a étrangement chamboulé.L'autre jour, quand je suis rentrée de la galerie, où j'avais passé une sale journée à cause de Niccky, complètement speed, qui a voulu décommander son exposition prévue depuis des mois, Hubert m'a fait rire et a réussi à m'ôter tout la fatigue accumulée...oui, je prends le parti d'en rire, vu que finalement ce handicap l'amuse lui aussi. Bref, on était en train de boire un martini et il me sort :- Ah oui, l'école a appelé ; ils ont dit que Félix aujourd'hui, s'était enfermé dans les toilettes pendant la récrée pour se faire des mamours-propres...et j'ai dit à la directrice que ce n'était pas bien grave, qu'il était encore petit, mais qu'il aurait pu fermer la porte des toilettes à clé quand même ! ho ho ho !!- Quoi !!? des mamours-propres ?? hi hi hi ! celui-là faut que tu le notes tout de suite, c'est trop mignon !!- Ah bon ? Encore un mot qui n'existe pas officiellement ?- Oui mon chéri, c'est encore une trouvaille involontaire, mais c'est tellement plus enfantin comme mot ! Si tu le faisais exprès, je dirais que c'est bien trouvé ! hi hi !!Hier soir, je suis tombée sur le titre du roman sur lequel il travaille : " Mémoire d'un jadisponible " : c'est l'histoire d'un homme enfermé dans son passé, qui n'arrive pas à en sortir, et qui n'arrive pas à s'intéresser ni au présent ni au futur...- Dis, mon chéri, tu sais que ça n'existe pas non plus comme mot, "jadisponible", tu crois que Maxime va accepter de publier un livre avec des mots que toi seul comprends ??- Oui, il est d'accord, il est vraiment super ouvert Maxime tu sais, mais à condition que je mettes un glossaire à la fin. Il refuse que j'arrête d'écrire juste à cause de cet handicap passager. Mais en revanche, comme je suis persuadé que ces mots existent, il faudrait que tu m'aides et que tu lises les trois premiers chapitres en relevant les mots à expliquer. Maxime dit que comme mon talangage n'est que provisoire, autant en profiter pour écrire un truc inhabituel.- Ton "talangage" !!? ah d'accord, je comprends, hi hi hi ! oui, je vais les lire, tes chapitres.Il y a une certaine logique dans cette création spontanée mais involontaire de mots. J'ai fini par m'y faire et j'arrive presque toujours à traduire, même si j'ai besoin d'un petit temps de réflexion à chaque fois. Heureusement qu'Hubert travaille à la maison. Mais les gens, les commerçants du quartier sont au courant ; ils prennent ça avec humour et avec un tact qui les honore.Il y a une semaine, Hubert sortait des toilettes, en brandissant un polar de Hankell :- C'est terrible...cette fliction est vraiment terrible !!Ou encore, en rentrant du supermarché :- Ce M. Crabayon, c'est vraiment un maussadjudant, il est toujours en train de pester, de râler, il n'est jamais content."Il parlait du gérant du magasin. Il a du me l'expliquer celui-là de mot, car je n'ai pas réussi à le saisir. Voilà bien les mystères du cerveau : comment " maussade" et "adjudant" ont-ils pu se mêler pour former cet adjectif bizarre désignant ce patron jamais satisfait ?Un soir qu'il improvisait un conte pour Felix, je suis passée devant la chambre et j'entendis notre fils protester :- Mais, papa, pourquoi l'ogre y kidnappe un gâteau, ça veut dire quoi ?- Et bien ça veut dire qu'il attrape les enfants trop curieux comme toi dans son filet, qu'il les emporte chez lui, qu'il les écrase avec sa fourche, et qu'il les étale sur son gâteau, comme si c'était de la crème...ça veut dire ça kidnapper un gâteau..."Je m'entendis soupirer un "mon dieu..." derrière la porte.Ce qu'il ne sait pas Hubert, c'est que, secrètement, je les note toutes ses trouvailles, et quand il sera guéri, je lui offrirai son "dictionnaire de mon handicap", il sera content, comme un gosse. Il sera bien sûr plus complet que le glossaire que contiendra son futur livre...en plus, je ne lui dit pas à chaque fois quand il "talangue"...il va avoir des surprises !!Un mot qui m'a plu aussi, est sorti alors qu'il reprochait à Roxanne, notre fille rebelle de 14 ans, de ne s'intéresser qu'aux fringues et aux dernières modes.- Tu sais, tu veux être snobéissante comme tes copines, mon on ne s'habille pas pour ressembler à quelqu'un ou pour être des pubs ambulantes ; tu veux snobéir pour te distinguer alors que vous êtes toutes noyées dans la masse de vos marques, et que vous vous ressemblez toutes, c'est débile tu ne trouves pas...tu trouves pas que c'est "ouf" comme tu dis tout le temps ? "Autant vous dire que j'ai bien rigolé et que Roxanne n'a pas eu besoin qu'on lui traduise ce nouveau mot, vu qu'elle est montée faire la tronche dans sa chambre pendant un bon moment.Depuis un an que Hubert vit avec ce handicap, mon dictionnaire de son talangage est devenu impressionnant, et le temps que mon cher mari retrouve une élocution normale, on aura encore de quoi s'étonner. De quoi s' "exclamarrer" comme il le dit souvent...

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