10/02/09 Réussite


Quelques images alignées...

L'esprit vacille tel un funambule...
Mais les textes se tissent au fil du hasard.



Texte d'Anne-Sophie

Série d’images

J’étais assise à une table, seule, sans heure, sans cette trotteuse qui houspille mes jours et mes nuits, j’attendais, là, libre de toute contrainte, que cette assiette de noix de St Jacques viennent enfin me retrouver et se laisser déguster. Dans cette salle de restaurant du bord de mer, seule ma table et celle de 4 retraités animaient le gris de l’hiver.
Cet après midi là, je pris le temps de marcher dans le sable, de humer l’air salé, de ramasser les coquillages de l’été dernier, et une plume de cette mouette qui danse avec le vent.
Je m’arrête à une petite boutique, petite galerie d’art hors saison qui affiche noir et blanc, des œuvres contemporaines sans début ni fin et que je scrute sans rien trouver de concret.
Je jette un œil aux aiguilles de mon poignet et elles me rappellent que ce soir un grand spectacle m’attend mêlant grâce et féérie aux saveurs d’Orient.
Mais chuuuuut, ce n’est pas le encore moment, même si les heures se bousculent et ma montre frétille, je préfère freiner l’ardeur et rêver devant une vitrine parsemée de pierres scintillantes.
Je continue ma balade, le long des restaurants souffreteux du froid et du Nord arborant quelques tables en terrasse, même les salières déguisées en fantôme illustrent le désert de ce bord de mer.
Je passe devant des cartes postales qui me parlent d’un juillet d’une autre année et je réalise que le soleil n’est pas toujours absent et que la transhumance des moutons annonce la renaissance des jours meilleurs. M
on regard s’arrête sur une en particulier, qui m’étonne, celle d’un homme sur le point de tomber mais seuls ses pieds maîtrisent le point de chute. Qu’il tombe ou qu’il ne tombe pas, il joue avec son corps.
Même si le risque persiste, même si l’échec est probable, le jeu vaut la peine.
La phrase éclate, elle crève le sens


Texte de Marie-Pierre


Dimanche : C’est le début de ma semaine de cuisine. Pas question de traîner à ne rien faire, il faut aller aux halles et faire la queue aux étals bio (et qu’est-ce qu’il y a comme monde maintenant !). Bon, qu’est-ce que je vais bien pouvoir trouver comme gros plat qui dure au moins deux ou trois jours et qui plaise à mes mecs difficiles. Je pourrais aller voir ma copine Corinne, mais je n’ai pas envie de poisson. Patates douces, panais, potiron, voilà le sens de ma journée.
Lundi : Légère comme une plume, et pourtant je vais bosser. Je roule. Devant moi, la lune, pleine, se détache juste au-dessus des Cévennes enneigées. Derrière moi, le disque du soleil, orange, apparaît dans mon rétroviseur. C’est trop beau. Où est mon appareil photo ? Je laisse mes pensées flotter, je suis bien. Ma journée va dans le bon sens.
Mardi : Journée fragmentée, incertaine, une réunion qui s’étire interminablement, grisâtre. En ce moment, j’ai des envies de blanc, de noir. Ce soir, je peindrai le bureau en gris, puis de grands carrés noirs et blancs sur les murs. Au milieu, un grand taureau noir et des photos colorées qui prendront tout leur sens.
Mercredi : Ce n’est plus un jour de danse, mais ça le redeviendra peut-être. Je vieillis, mais je crois encore à tous les possibles. Naïveté, inconscience ? Peut-être. Mais je profite de mieux en mieux des plages de liberté qui me sont offertes, ou que j’ai appris à m’accorder. Et j’essaie de poursuivre dans ce sens.
Jeudi : La richesse, ce n’est pas une bague luxueuse. Le luxe, c’est l’espace, les relations humaines, savoir profiter de la vie, les petits plaisirs à la Philippe Delerm, quoi. (Ca me rappelle quelque-chose). Bon, je deviens bête avec ma philosophie de quatre sous de ménagère de plus de cinquante ans avec ses sens en éveil.
Vendredi : Pourquoi est-ce que fais peur à tout le monde ? J’ouvre la bouche et ils se jettent à terre en pleurant. Allez, relevez-vous ! Je ne mords pas. Quoique…si vous insistez, je vais vous démolir. Mais non, je rigole… Quel sens ont mes menaces ?
Samedi : Je le savais ! Ce n’était pas le bon jour pour aller chez Ikéa ! mais regardez-les tous ! (regardez-nous tous) à faire la queue pour entrer dans le parking en attendant qu’une place se libère, à faire la queue pour rendre les achats malvenus (« on a le droit de se tromper chez Ikéa »), à faire la queue aux caisses, et encore au service des livraisons. Monsieur Panurge, nous allons dans le même sens.
Dimanche : Hors temps. Pause. Lâcher-prise. Enfin le calme, la solitude désirée. J’oscille, libre de toute contrainte, je me laisse porter par le souffle de mon vent intérieur. Et enfin, la phrase éclate, elle crève le sens.



texte de
Pierre


La fourchette

La fourchette braquée vers moi. Elle n’a pas touché ses saint jacques. Putain ! Je lui offre un resto chicos : tables en ardoise, style dépouillé, assiettes acier. Trois noix, salade. Couverts d’argent. Je suis À PEU PRÈS SUR QU’ELLE VA ME PIQUER.
L’air de rien, je désaxe ma chaise pour voir venir le coup, pouvoir attraper son poignet, lui dire, l’air détaché : « qu’est-ce que tu fais ? »
Mais elle ne bouge pas. Telle une apache. Elle est perdue dans la vallée de ses pensées éternelles et moi, comme un con, je n’y suis pas invité. Plume plume ce sera toi qui me piqueras. Je ne sais rien de cette femme. Je suis seul. Je me sens seul. Dans des étendues blanches où rien n’existe que soi.
En fin de compte, on se perd dans des silences, des maisons, des familles, des maisons familiales, habitées ou pas. Des histoires à dormir debout et à vivre couché… Et on est seul.
La vie peut danser autour de nous, ça peut tanguer, fader, boliwooder… Bleu, vert, rouge ou étinceler. Au centre ou sur les côtés. Sur scène ou sous les planches. On est seul. Pas seul ensemble… Seul.
Comme face à ces quatre piques d’une fourchette qui me fait face, sur le plus court chemin de sa main à mon cœur.
Sa main, ses doigts. Sa bague. J’ai tué, pour cette bague. C’est pas une bague, c’est une mine de diamants !
J’ai décalé ma chaise. Doucement. Et j’en ai profité pour épier cette salle. Ces gens APPAREMMENT PRIS par leurs affaires, leurs histoires, leurs amours, leurs foies, leurs nez qui les grattent. Un seul regard, un seul, tombe sur cette bague et c’est 30 ans d’office. T’en auras, des fourchettes aux Baumettes, mais pas comme ça, pas en argent ! J’ai tué. J’ai volé la plus belle bague de la ville. Tous les flics la cherchent. Je te l’offre. Tu la portes, tu l’arbores. Mais si, apache perdue dans tes pensées, tu me piques, alors, tu te vends. Tout le monde la verra et tu plonges avec moi !
Son regard… Ton regard. Tu as compris. Tu te trahis. Tes yeux ont vite fait le circuit. Ta main, la fourchette, mon cœur, la bague, mes yeux.
Et pour moi tu n’es plus que tes yeux. Comme ces femmes voilées. Du blanc et deux trous noirs qui aspirent le monde interdit. Et nous avec. Yallah ! Ca se joue là ! Tu as reculé. Tu saisis l’instrument, tu piques une saint jacques. Tu la portes à ta bouche. Ouverte. Protéger ton rouge. Et déjà, pour toi, je n’existe plus car tu ne m’as pas vaincu.
Je rejoins le troupeau… On va bêler. On va bêleeeer touteee la nuit… On va bêleeeer, bêleeer d’ennui. Je sors. Je résiste au flot, mais ça pousse. Je n’avais plus que toi pour me sortir du rang, mais n’avais rien compris. Je croyais en nous pour détiédir ma vie mais je n’ai rien compris. Je n’ai rien compris. Tu n’es pas là. Tu n’as jamais été là. Je ne sais pas. Je suis seul dans un troupeau de seuls. Je paie. Je pleure. Je sors. Je n’y vois rien. Je marche. Je tombe. Tu es le seul, m’avais-tu dit. Oui. Je suis le “seul” ! La phrase éclate. Elle crève le sens.


Photo 1 : Manger,
Photo 2 : écrire,
Photo 3 : se taire,
Photo 4 : se réjouir,
Photo 5 : briller,
Photo 6 : se terrer,
Photo 7 : se serrer,
Photo 8 : douter.


- Ce plat, communiquait, satisfait, le gourmet, c’est une plume, une femme, un bijou !
- Mais oui… bêle, bêle, joli marmiton ! Quand on t’aura payé, dehors on tombe raide, sur le béton…




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