21/11/08 Hundertwasser


Incipit :

"Il venait de connaître le goût d'un canon de pistolet dans la bouche et s'en trouvait maintenant enhardi. On n'est jamais aussi fort, que quand on reprend vie de l'autre côté du fleuve désespoir."

Sourires de loup, Zadie Smith.


Logorallye : Géhenne, vol-au-vent, lacis, birème, ambroisie, quintessence, infrangible, bouif




Texte de M

IN MEMORIA


Il venait de connaitre le gout d’un canon de pistolet dans la bouche et s’en trouvait maintenant enhardi.
On n’est jamais aussi fort que quand on reprend pied sur l’autre rive du fleuve désespoir.
Dès son arrivé à Buenos Aires à la recherche des informations sur la vie de son père il se trouva devant un silence infrangible.
Sa grand mère lui racontait l’histoire qu’elle avait imaginé sur son fils disparu pendant la dictature et il ne connaissait personne d’autre à qui s’adresser.
Tiré et poussé par la force que ce père mort-sans-corps avait crée dans sa vie, il se décida à chercher dans les archives des journaux et les groupes révolutionnaires de l’époque.
Dans ce lacis d’informations et de vieux militants à la mémoire altérée par leurs propres frustrations, il croisa Memo. Dans les soixante ans, grand, lourd, la peau mate, un visage tanné et desséché par la fumée de cigarette, il suivait de ses yeux rétrécis les allées et venues des gens dans la permanence du Parti des Travailleurs.
A trente ans, Memo était militant révolutionnaire et bouif à l’Armée de Terre. Aux premières loges de la géheme argentine, il se souvenait d’une arrestation qui pouvait être celle de son père.
Il lui donna rendez-vous dans un petit restaurant français, « pour adoucir ce qu’il allait lui révéler » précisa-t-il.
En y allant, son plexus était si tendu que l’air n’arrivait pas à circuler et remontait se coincer dans sa gorge jusqu'à l’étrangler.
Le vieux était là, il le reçut l’air aguicheur avec un grand sourire qui montrait ses dents jaunes.
« J’ai commandé un vol au vent », lui dit-il, « moi qui aurait voulu manger de l’ambroisie toute ma vie je dois me contenter de la nourriture française »
Le restaurant était silencieux, une odeur légère de café et de pâte feuilletée lui caressa le cœur.
Mais quelque chose n’allait pas, personne dans la salle, ni au comptoir, il hésita puis poussa sa chaise pour se lever, Memo attrapa son poignet « ici tu es en sécurité » chuchota t-il près de son nez dans un relent de tripes et de tabac brun.
D’un coup, il sentit son ventre se soulever et son visage chauffer, il renversa la chaise et couru vers la porte, on lui fit un croche pied, et il se trouva étalé par terre avec le canon d’un pistolet dans la bouche et une grosse chaussure qui lui écrasait les reins.
« Petit con prétentieux, pour fouiller dans certaines choses il faut avoir des couilles »
Rapidement on lui fourra un sac sur la tète, on le traina en le tirant par les jambes, le sol devint humide et cahoteux, il agitait ses bras en essayant de se retourner, de s’agripper…
Le premier coup lui toucha les côtes, puis l’entrejambe, le ventre, la tête, ça sentait le moisi, le sang, le vomi …
Il ressuscita au bord du fleuve, nu dans la brume la boue et le pétrole, l’eau limoneuse lapait son corps mortifié dans un claquement court et rapide.
Le sang cognait dans ses plaies, sa peau gonflait, ses yeux brûlaient, ses bras bouillaient, son ventre se déchirait et son cœur battait, battait, battait…

« Père qui es quelque part, ne croie pas que je vais t’oublier ;
Je t’offre la mémoire de mon corps chauffé à sang ;
Accorde- moi ta confiance,
Libère-moi du doute,
Permets-moi de pardonner. »




Texte de NL

Texte de la carte:

Je danse de joie. Tout est beauté. Partir ou ne pas partir.

Où est le chemin ?

Titre du tableau : "Venice - Ponte Rialto"


NL

Il venait de connaître le goût d'un canon de pistolet dans la bouche et s'en trouvait maintenant enhardi. On n'est jamais aussi forts que quand on reprend pied sur l'autre rive du fleuve des espoirs.

Et puis, tout à coup, tout semble beau, coloré, il se sent heureux, libre. Adieu ce lacis duquel il croyait ne plus pouvoir sortir. Dans sa tête, mille images fourmillaient, mille envies et tout autant de désirs. Mais d'abord il avait faim. Ce qui lui ferait le plus plaisir, c'était, et de loin, un vol-au-vent. Exactement comme celui que sa grand-mère préparait. Croustillant dessus et plein de bonnes choses à l'intérieur. Ce vol-au-vent, mieux que l'ambroisie, la quintessence même du bonheur. Finis les birèmes et compagnie, géhenne et autre embrouille. Si il avait rencontré nombres de déboires, si maintes fois il avait fait de mauvaises rencontres, tout cela l'avait, pensait-il, rendu infrangible. Il savait aussi aussi, qu'il devait devenir quelqu'un, arrêter les années galère. Il se dit, que devenir bouif, en reprenant la boutique familiale, serait déjà un bon début. Avec toutes ces pensées et bonnes résolution en tête, il marcha d'un pas alerte vers un avenir prometteur.




Texte de DB

Texte de la carte :


"Comme tu peux le voir, j'entre dans une vie à laquelle je n'avais jamais pensé. Dans les grands fauteuils, c'est l'heure du thé. Comment expliquer l'inexplicable de tout ceci.
Mister Humus te salue en couleur..."



Titre du tableau : "Mister Humus aérobic, 1981"

Il venait de connaître le goût d'un canon de pistolet dans sa bouche et s'en trouvait maintenant enhardi. On est jamais aussi fort que quand on reprend pied sur l'autre rive du fleuve "désespoir". Il avait réussi à abattre ce minable. Le pistolet s'était enrayé, un coup de pied bien placé et la situation s'était inversée.

Sa dernière heure n'était pas encore venue ! Il avait du fric plein les poches, ses entrées dans les endroits les plus sélects de la ville.... "Mister Humus", derrière ce patronyme se cachait une personnalité trouble. Il était prêt à tout pour arriver à s'introduire auprès de ce "Mister". Il était prêt à se renier, à renier ce pourquoi il avait vécu jusqu'à ce jour. Il voulait découvrir ce qu'était devenue sa fille âgée de 12 ans, disparue depuis six mois maintenant. Il était sur une piste. Il ne voulait pas lâcher, même si le chemin qui menait à Angélique n'était qu'un lacis inextricable, il ne lâcherait plus maintenant. Morte ou vive, il devait savoir !


Il s'arrêta dans un bar de nuit et commanda un whisky, sorte d'ambroisie à ses yeux. Il ferma les paupières et attendit que le liquide se dilue dans ses veines et lui apporte un regard plus neuf sur la situation. Quelle birème tout de même ! L'alcool commençait à faire son effet : il sentait la quintessence de cette nuit et de tout ce qu'elle pouvait lui procurer. Il se sentait infrangible, sur de lui. Il fit le point : "Mister Humus" possédait un petit atelier de cordonnerie rue du Général de Gaulle. C'était un bouif, mais il savait que cette boutique n'était qu'une couverture. Derrière l'air placide de cet enfoiré de Mister ; comme il l'appelait, se cachait une âme sombre. Il avait entendu parler de ces réseaux spéciaux où quelques privilégiés friqués pouvaient se brancher via internet et regarder en direct une personne souffrir et mourir sous leurs yeux. Une géhenne en live ! Il savait que "Mister" était à la tête de cette barbarie. Dans cette affaire il voulait agir seul, s"approcher suffisamment près de cette ordure et l'abattre. Couper cette tête gangrenée ! Il n'avait pas prévenu les flics qui, il en était sur, auraient fait capoter l'affaire avec leurs gros sabots.
Maintenant qu'il était introduit dans ce milieu très marginal, qu'il partageait des vols aux vents et autres mets avec ces messieurs de l'ombre, il pensait qu'il aurait assez de force pour arriver à ses fins et peut-être sauver sa fille et d'autres gosses. Il se pensait assez malin.


Alors qu'il commandait un autre whisky, il sentit le métal froid d'un canon de revolver sur ses reins. Il ferma les yeux. C'était fini cette fois, il n'y aurait pas de deuxième chance, il le savait. Ou avait-il merdé ? Il suivit l'homme qui le menaçait. Sa dernière pensée fut pour Angélique. Il y eut une détonation. Il s'écroula sur le macadam, du sang se répandit autour de lui.



Texte de VA

Texte de la carte : « La spirale frétille et j’ai trouvé l’entrée. Il ne faut pas oublier les tentacules. Bonne chance » Titre du tableau : Homme pleurant des spirales
Éloge au destin

Il venait de connaître le goût du canon de pistolet dans la bouche et s’en trouvait plus enhardi. On est jamais aussi fort que quand on reprend pied sur l’autre rive du fleuve désespoir. La géhenne était maintenant derrière lui. Il avait fini de pleurer des spirales infinies de chagrin. Les spirales avaient été si longuement tissées avec ses propres fibres tout au long de ces longues heures de torture qu’il en avait fait tel un bouif des espadrilles. Le tissu et la corde de ses chaussures lui allaient comme un gant. Il courait de l’autre rive du fleuve, il courait si vite qu’il pouvait rattraper le vent. C’est alors qu’il se souvint de ce jour de Mistral, où, Cours Mirabeau à Aix-en-Provence avec sa mère, il dégusta un vol au vent. Son imaginaire d’enfant sage avait vu sur le plateau du garçon de café stylé, le courant d’air chaud faire le tour de la fontaine moussue. La mousse poussait de ce côté-ci du fleuve. Il ne tomberait plus dans la birème, il le savait. Pourtant il n’était pas au bout de ses peines, car soudain, le sol se déroba sous ses pieds et il tomba dans un lacis. Il y faisait noir comme dans un tombeau. Il prit un moment pour calmer sa peur. Sa respiration devint plus ample, son cœur retrouva son rythme ample. Il se rappela le goût du métal dans sa bouche. Il lui fallait trouver une sortie. Il commença par toucher les murs à tâtons. Il entendit ses poursuivants au-dessus de lui le dépasser. Mère Nature le tenait en son sein comme pour le protéger. Et c’est là qu’il remarqua que ses espadrilles luisaient comme lolypops dans la nuit. Il reprit confiance et arpenta le labyrinthe où mille tentacules de racines d’arbres s’entremêlaient en y laissant toujours une voie libre. Après des heures de marche à pas menus dans le noir, il déboucha dans une grande pièce centrale dont les murs dégageaient une lumière indigo, au centre une pierre comme un autel, et sur l’autel une fiole. Il s’approcha. D’une main tremblante, il se saisit de l’objet qui était infrangible. Il contenait un liquide épais et vert clair. L’homme avait soif. Il but d’un trait l’ambroisie des dieux. Son goût était délicieux, un véritable nectar. Il ferma les yeux pour mieux le déguster. Soudain, il sut. Sa quintessence réveillée par la boisson sacrée des immortelles avait activé son centre, son voyant. Il savait désormais que rien, non rien, ni personne ne l’empêcherait d’accomplir son destin.



texte de
CL


Silence, on tourne…



Travelling back.
-Reprenons la séquence d’hier au moment où, souvenez-vous : « il venait de connaître le goût d’un canon de pistolet dans la bouche et s’en trouvait maintenant enhardi ».


- Silence, on tourne.
La caméra s’approche lentement très près de son visage fatigué, émacié comme fermé.
–Rappelez-vous, c’est la vérité de l’être qui nous intéresse ici…

- On n’est jamais aussi fort que, quand on reprend pied sur l’autre rive du fleuve désespoir, dit-il à voix haute comme pour se convaincre de s’enfoncer dans le lacis de ruelles sordides qui bordent la rive maintenant désertée.

- Silence, on tourne.
La caméra se met doucement à pivoter sur elle-même d’avant en arrière et s’attarde sur le décor clair-obscur comme le ferait une main qui caresserait lentement et avec application la surface rugueuse d’une pierre en lichen abandonnée. Rien de descriptif, mais un long mouvement de balayage pour imprimer une certaine atmosphère déprimante.

Des volutes de fumées acres et mauves s’échappent maintenant des maisons décrépies qui bordent la rue comme des sentinelles impassibles et dessinent dans l’air des rébus cotonneux. Soudain un spasme nerveux le secoue.

- Silence, on tourne.
La caméra le fixe à nouveau avec intensité.

Il songe mi-figue mi-raisin qu’il n’a pas mangé depuis au moins deux jours. Il ne sait plus. De toute façon, il n’a plus aucune notion du temps. La pendule s’est arrêtée avec le goût métallique du pistolet dans sa bouche. Avec effort, il se dirige enhardi vers une enseigne délavée par les récentes pluies acides.

- Silence, on tourne
La caméra pointe son nez vers l’échoppe. Gros plan sur le bâtiment pratiquement en ruine.

-C’est la boutique d’un bouif marmonne-t-il comme pour mieux s’en convaincre lui-même. De fait, il la devine, plus qu’il ne la voit, à l’odeur lourde et fauve de peaux tannées et de cuir encore neuf qui s’exhale dans la moiteur obscure de ce matin qui ne ressemble à plus rien.


- Silence, on tourne.
Va et vient fondu de la caméra entre le décor et le héro. Elle doit filmer quelque chose de difficile : tenter de montrer le glissement du paysage qui devient vivant comme un personnage et le visage du héro qui se métamorphose en paysage minéral.






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