18/11/08 Le loup Mongol

Texte fendu extrait du Loup Mongol, d'Homéric.
Logorallye : Agrarien, cachexie, bluette, orateur, subvertir, cosmogonie, haquenée.

Texte de Pierre


Steppe


Nous avions quitté la grande steppe, alors que, déjà, le doute envahissait les hommes, dont les plus hardis grognaient sourdement, après s’être assurés que les capitaines étaient occupés à autre chose que cette surveillance qui redoublait depuis notre dernière défaite.
Nous avions laissé les femmes, leurs haquenées et les enfants aux Onggirat, traversé l’Argoun, vaincu les cimes et les premières neiges, perdu le quart de notre grain subverti par le charançon, empoisonné les puits de nos ennemis, perdu le souvenir même de nos mères lorsque se leva, à l’aube d’un matin blême, un soleil cachexique sur le paysage des Étangs Bourbeux. De princes, alors, nous devînmes vassaux. Nul combat possible. Esclave fut notre nouveau sort. Nous étions venus mourir au royaume des seuls moustiques.

Ô mon fils, toi que la vie a doté du talent d’orateur, toi qui m’as rendu cent pour un des espoirs de mes jours, jamais ne te livre à ces funestes paysages où l’homme n’aspire plus qu’à rendre le souffle sous la morsure de cette engeance.
À notre arrivée, iris, flèches d’or, jonquilles, pourpres et libellules dardaient pourtant mille bluettes aux abords des marais … Moins d’une semaine s’était écoulée quand les arrières de notre armée parvinrent jusqu’à nous. Mais nous, déjà proies du délire, les vîmes arriver, bleus, violacés, blancs ou roses, épargnés encore par le moustique qui daignait nous laisser quelque répit tant que le disque d’or nous écrasait encore dans la chaleur du ciel, et l’eau nous torturait de n’être point celle de notre mémoire, qui coulait au printemps, sur la steppe de notre enfance.
Nous errions, tels une armée déchue. Nous avions, depuis longtemps déjà, enterré nos armes et achevé nos derniers chevaux, refusant de les voir impuissants se tordre de douleur, le ventre éclatant sous l’assaut du marais. Ses touffes jaunies et de la plus insignifiante appétence n’avaient pas réussi à vaincre la soif d’eau pure et saine.

Dis-moi, ô mon fils, moi dont les yeux ne voient plus même dans l’âme de mon chien, quelle cosmogonie peut nourrir les questions qui restaient tout le jour en suspens sur nos têtes ? Après la soif, la faim ; après la faim la maladie ; après les chevaux les hommes et, pour ceux, infortunés qui ne périrent point, vient le temps du froid. Nous en fûmes réduits à exposer la vase sur les os des chevaux pour bâtir des abris de fortune et j’ai, moi qui te parle aujourd’hui, recueilli dans le crâne de mon compagnon quelques gouttes du précieux liquide de rosée qui s’y déposait dans ces matins d’angoisse.
L’eau ainsi recueillie et bue provoqua chez nos hommes un sursaut de vie mais je revois encore, au temps où je te parle, les yeux de ces chiens de bataille, qui suivent les armées pour se repaître de nos cadavres, cherchant les meilleurs os. Nous attendons la fin, râlant ou nous taisant, et eux, comme au-dessus d’un nid de perdrix, comme ma vieille mère aux œufs de ses volailles, nous mirent, à quatre pattes et les infortunés qui n’ont pas rendu l’âme, assistent à ce tableau et pleurent.
Et tandis que ta mère filait ses quenouilles, nous traquions la couleuvrée, dernier gibier à nous permis ; aussi ces fleurs mauves dont les tubercules ont un effet apaisant. Il n’y avait plus d’oiseau des marais à l’endroit de ces maudits jardins, pas même de ces renards noirs qui courent nos forêts pour gober les couvées tardives.
Chevaux ! Chevaux ! Ils ont tendu leurs côtes à nos caresses, des chanfreins maintenant nous servaient d’oreiller et jusqu’au dernier cri dévoré par les mouches. Nous mangions, ultimes minutes de nos vies épuisées que nos rois les moustiques suçaient sans jamais faiblir comme j’ai jadis sucé le lait de nos chèvres après les grandes chevauchées.
J’ai jeté, jadis, après avoir trop bu non pas de ce lait-là mais de celui de l’orge alors que j’avais baratté l’ensemble du troupeau, un grand vase de crème fraîche ainsi obtenu. Je n’étais pas malin, et j’étais jeune alors et j’ai pleuré plus tard. Blanc, et son troupeau en pays Onggirat l’était aussi, était jadis mon père qui m’avait prévenu : « cette crème perdue, tu l’as déjà mangée et ne la mangeras pas, et ne la mangeras plus. »

Voilà à quoi, mon fils, mon esprit s’amuse ce soir ; j’ai quitté la grande steppe mais lui, erre encore là-bas sur les marais qu’un agrarien peut-être asséchera un jour pour que poussent, des os de nos chevaux et de nos frères, des fleurs, des sources, du blé.




Texte de Mistraline

Nous avions quitté la grande steppe, laissant derrière nous les cousins agrariens et les enfants aux Onggirat, traversé l'Argoun qui se jette en aval dans le fleuve Amour, avant d'atteindre le paysage des étangs bourbeux. A partir de là, vivaient des peuples aux cosmogonies étranges, cependant il fallut composer avec la présence des seuls moustiques.

A notre arrivée, iris, flèches flamboyantes et jacinthes d'eau se déployaient en bouquets bigarrés aux abords du marais. Moins d'une lieue plus loin, des arbustes bleus, violacés, blancs ou roses s'alanguissaient dans la chaleur du ciel, survolés par des nuées de pinsons orateurs au chant soporifique, toute l'eau semblait disparaître absorbée par le sol spongieux ...

Nous errions telle une armée de pauvres hères et dans nos regards opaques ne subsistait nulle trace des bluettes du conquérant. Engourdis par la faim, la fatigue et le harcèlement des insectes, nous traînions avec peine nos carcasses branlantes.

A présent, la végétation ne nous offrait plus que des touffes jaunies et de la plus insignifiante saveur. La soif ne nous lâchait pas, nous fûmes réduits à exposer la vase sur le sol pour y prélever quelques cressons et faire décanter l'eau afin de nous désaltérer avec les quelques gouttes du précieux liquide.

L'eau ainsi récoltée et bue provoqua à l'unanimité de violents spasmes et des douleurs si aigues qu'elles nous mirent à quatre pattes. Subvertis, le bas-ventre malmené par ce qui semblait être des pointes de quenouilles, nous traquions la couleuvrée avec fièvre ! Si cette plante ne pu rien pour la cachexie générale qui s'était abattue sur la troupe, en revanche elle nous soulagea des douleurs, nous savions que ces tubercules possédaient des vertus curatives.

Il n'y avait plus d'oiseaux des marais à présent, nous n'apercevions plus aucune bête sur les troncs et les rondins, pas même de ces renards noirs qui furetaient souvent hors des forêts pour gober les couvées tardives. Nos robustes haquenées, une fois au repos, tendaient leurs côtes à nos caresses, des chanfreins taillés à la hâte se substituaient aux dagues et nous coupions des joncs pour en battre leurs flancs assaillis par les mouches. Nous mangions les oeufs des lagopèdes, de rares baies, quelques racines tandis que les moustiques suçaient sans jamais faiblir nos sangs de guerriers harassés. Nous enduisions nos plaies d'un cataplasme d'argile, y ajoutant quelques simples pressées et le jus de touffe d'herbe fraîche ainsi obtenu. Je n'étais pas encore celle que j'allais devenir mais grâce à ce périple, j'affûtais mes armes de jeune guerrière en accompagnant Aigle Blanc et son troupeau en pays Manchoue, à l'est du fleuve jaune.


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