09/01/09 Boris Vian

Extrait de " JE VOUDRAIS PAS CREVER ... "de Boris Vian, à partir duquel nous ébranlons nos lyres si souvent muettes.

Je voudrais pas crever ...
Avant d'avoir connu
Les chiens noirs du Mexique
Qui dorment sans rêver
Les singes à cul nu
Dévoreurs de tropiques
Les araignées d'argent
Au nid truffé de bulles
(…)
Je voudrais pas mourir
Sans qu’on ait inventé
Les roses éternelles
La journée de deux heures
La mer à la montagne
La montagne à la mer
La fin de la douleur
Les journaux en couleurs



Texte commis par MERCIEL de ses petites mains

Je voudrais pas passer
Sans avoir retrouvé ma liberté
Avoir connu Guardaia
Le bleu iceberg
L’aurore boréale
Les escaliers de Bénarés
La poussière de Djanet
Et le jardin des Hespérides
Je voudrais pas repasser
Sans avoir compris la vie
Appris les tourments de l’âme
La vérité derrière les sourires
Intégré la beauté
Sans avoir grandi un peu
Démêlé le monde
Compris enfin pourquoi.
Je voudrais pas trépasser
Sans la fusion des âmes
Sans le silence infini
Le vide cosmique
Le chœur des anges
La lueur de l’étoile
La grande harmonie
Le noyau dur de la vie
Je voudrais pas bavasser
Sans savoir pourquoi
Sans sens aux mots
Sans chair aux expressions
Désincarner le discours
Sans mordre dans le vif
Sans vivre par le corps
Sans goûter par l’esprit


Texte de NL

Je voudrais pas partir
Sans avoir aperçu
La neige sur Port-Louis
Les dauphins bleus dans le Gange.
Sans avoir vu les prisons se vider
Un sourire sur les lèvres des enfants de Soweto
Et des majorettes minijupées
Dans les jardins de l'Élysées.

Je voudrais pas te laisser
sans t'avoir emmené
Admirer les libellules jaunes
Qui effleurent les eaux roses
Le soir tombant sur le Maroni
Sans te dire que j'aime
Les fleurs du papier peint
Qui hantent mes nuits sans sommeil

Je voudrais pas mourir
Avant d'avoir connu
Les nuits éternelles
Les jours éphémères
Les plombiers bon marché
Les garagistes honnêtes
Les fast food Georges V
Les Hilton pour quatre sous

Je voudrais pas crever
Avant que tous les jours soient fériés
Que les stationnements soient gratuits
Que les coqs pondent des œufs
Sans avoir parlé aux mygales dorées
Qui tissent des fils d'argent
Dans les forêts de Bornéo
Je n'voudrais pas crever



Texte de DB

Je voudrais pas crever
Avant d'avoir trouvé
la pierre philosophale
Qui détient le pouvoir
De changer l'attitude
De ceux qui nous gouvernent
Transformant cruauté
En bonté magnanime

Je voudrais pas mourir
Sans qu'on ait inventé
Un vaccin qui soulage
Tous les maux de la terre
Transformant la souffrance
En joie et en bien-être
Et sans voir dans tes yeux
briller mille soleils

Je voudrais pas partir
Avant d'avoir percé
Le secret de la vie
Le secret de la mort
Le secret de l'amour
Le secret de la haine
Le secret de la folie
Et le secret des méduses

Non, je ne veux pas crever
Car la mort me fait peur
Et que j'aime la vie
Avec ses dérisions et ses absurdités
Ses rêves brisés et ses plaisirs
Les sourires des enfants
Et les larmes des vieux
Les regrets éternels et la joie d'espérer.


Texte de CL

Je voudrais pas crever
avant de décrocher le croissant de lune
et l’offrir aux enfants affamés.
Avant que Caïn du Rwanda embrasse Abel
dans les collines empourprées.
Cher Jacques, je voudrais pas crever
Sans lancer des bulles de savon
Et qu’elles s’envolent irisées vers tes languides Marquises


Je voudrais avant de mourir
Chercher avec le poète l’or du temps
Et suspendre son vol, le 11 septembre.
Je voudrais que les enfants de la guerre
arborent des mines réjouies
plutôt que de faire des rencontres anti-personnelles.
Je voudrais plus chanter à tue tête
Dans la troupe y- a-pas- d’jambes- de -bois


Je voudrais pas crever
sans voir les gorilles se cacher dans la brume
et les humains cesser de singer
la bienveillance et le respect.
Et aussi que la bonté semée sans OGM s’épanouisse
dans les plaines de Gaza ou les dunes du Sahel.
Je voudrais pas crever sans dire au Petit Prince
qu’il rapplique en ramenant le renard

Je voudrais avant de mourir… de rire…
marcher sur un fil tendu
au dessus du Niagara en folie
juste pour t’inquiéter.
Je voudrais réussir la recette des sablés
sans m’en coller une tonne sur les doigts.
Et que les bébés phoques métamorphosent les sirènes
pour geler les chasseurs en banquise

Je voudrais pas crever
avant de courir avec mes amis les loups,
bondir dans la jungle en hurlant « Ma liberté »
et d’un formidable coup de rein
chevaucher les dauphins
en écoutant Glenn Gould au baladeur.
Et puis brandir une baguette magique
pour dégonfler les dictateurs-baudruches


Je voudrais et ne voudrais pas
Avant de mourir
Perdre le goût de danser avec les mots
Pleurer en cachette en regardant Titanic
Et que tu oublies de me dire que j’habite tes rêves.
Je voudrais pas partir
sans être sûr de n’avoir rien oublié
de l’amour engrangé.



Texte de Mistraline


je voudrais pas gésir
Six pieds sous terre
Sans avoir respiré
Les gousses des îles Bourbon
Battu le mil avec ardeur
chez les Peuls ou chez les Dogons
Et chevauché un Prevalski
Sur les plaines perdues de l’Oural.

Je voudrais pas partir
Avant que tous les hommes
Parlent une langue unique
Et que toutes les femmes
soient reines en leur pays
mères d’enfants chéris
partout où irradie
le soleil et la lune

je voudrais pas périr
avant d’avoir aimé
Plus que je n’ai haïs
Et même pardonné
A ceux qui ont trahi.
Je voudrais garder
Le meilleur et oublier
Le pire.

Je voudrais pas m’éteindre
Sur un goût d’amertume
Pétrie de nostalgie
De rêves inassouvis
J’aimerais pas passer
à côté de la vie …
sauf si elle me décoche
le plus beau des sourires.

Je voudrais pas trépasser
Le minois bariolé
De contusions bleutées
Je voudrais mourir
Comme dorment les anges
Oubliant les soupirs
Un sourire paisible
Afficherait au mieux
Ma dernière révérence.