05/12/08 Fantasmagorique !


Sur le mur de ma chambre quelle ombre dessine (...) la fantasmagorique projection de sa silhouette racornie.

Lautréamont



Texte de Catherine Lanos

...D'abord, il y a le noir. Plus exactement un noir d'encre, féroce. Celui qui est si opaque, qu'on se sent comme englué, embourbé, noyé dans je ne sais quel glue étouffante. Et alors, on ne respire plus, tétanisée par une sorte d'impuissance horrible, comme du plomb fondu qui descendrait dans son corps. On se bloque dans une sidération silencieuse, fragile, abandonnée dans un désêtre palpitant, paniquant d’effroi devant l’inconnu. Vite on doit se ressaisir, allumer des lumières, appeler les autres à la rescousse. Incanter quelques litanies pour mieux défigurer l’angoisse Mais on ne peut pas. On est seule, abandonnée face à l'innommable qui nous terrasse et nous submerge - on le sait depuis la nuit des temps, depuis la nuit des contes habités d'ogres, de vampires de monstres tentaculaires aux allures de gorgones terrifiantes. Alors, on devient d'un coup vulnérable, vulnérée par l'impuissance absolue de sa fragilité et de sa solitude empoissée d’un noir d’encre.


J'avais environ une dizaine d’années. Mes parents avaient loué pour les vacances d'été un appartement dans un vieux château en Bourgogne, quelque part au coeur de la vallée de l’Ouche, terre des fées et berceau de la Vouivre. Mais ceci est une autre histoire... Ma cousine et moi étions alors très excitées par la perspective de passer quelques semaines, version princesses et contes de fées, dans une bâtisse décrétée hantée, non sans hésitation ni délice... Dès notre arrivée, la propriétaire du château qui vivait seule avec son fils, et dont soit dit en passant, le mari s'était pendu quelques années auparavant, nous avait proposé une visite du château. Quelques enfants du village nous avaient rejoints, plus intéressés par les minois des nouvelles venues que par la perspective historique. Cela va sans dire, nous en étions très flattée. Un peu trop peut-être….
Je me souviens comme si c'était hier de la salle d'armes située au premier étage juste au dessus de nos chambres. Pour y accéder, nous devions emprunter un petit escalier empierré et glissant que l'on attrapait par l'extérieur. La propriétaire que nous surnommerons plus tard Marilyn, à cause de sa chevelure blonde platinée et de son sourire désespéré, nous raconta que dans cette pièce décorée de sombres meurtrières, un meurtre horrible s’était déroulé. Le seigneur du lieu s’était pendu après que sa femme et ses deux enfants aient été assassinés dans un accès de folie meurtrière par un voisin envieux, la veille de son retour de guerre. Enfin, c’est ce que l’on en avait retenu, trop occupées à jouer les pin up de service. Pendant plusieurs siècles, la salle avait été maudite et son accès interdit. La légende disait que les soirs de pleine lune, un chevalier en armure sanglante arpentait de son pas gémissant les dalles empourprées … à la recherche de l’assassin de sa femme.
Une idée stupide, saugrenue, du genre de celle qu’on regrette d’avoir un jour formulée, nous traversa l’esprit. Et pour mieux épater les quelques garçons qui nous entouraient, nous décidâmes que ce soir justement, nous irions nous promener dans l’antre interdit. A minuit bien sûr ! Promis, juré, craché !

Et nous tombâmes dans la peur…

Ce soir-là un vent fantomatique et mugissant s’était levé, déliant les branches des arbres séculaires comme autant de nœuds de sorcières malfaisantes. La lune, pleine ce soir là, jouait les blafardes à profusion d’œillades malsaines. Nous avancions tremblantes main dans la main comme pour conjurer le sort de nos doigts emmêlés et moites. La lampe de poche électrique scotchée sur nos cœurs dessinait dans l’air des SOS de détresse. Bon sang, nous avions juré ! Nous devions avancer coûte que coûte malgré nos jambes tremblantes.

Et nous tombâmes dans la peur…

L’escalier devant nous n’en finissait pas de gravir d’épouvante la nuit. Chaque marche nous donnait envie de fuir vers nos chambres dont nous devinions –en vain- la bienfaisante douceur protectrice. Enfin, nous entrouvrîmes la porte. Refusant de franchir le seuil béant, nous restâmes quelques instants, pétrifiées, devant la noirceur palpitante de ce monde enténébré. Tout d’un coup, il nous sembla entendre un bruit bizarre, lugubre, un peu comme un raclement. L’angoisse nous saisit. Nous dévalâmes les marches avec l’horrible sensation que ça nous poursuivait. C’était là, tout près, ça allait nous emporter, nous planter un couteau dans le dos, n’est-ce pas ? D’un élan commun, nous bousculâmes la porte de notre chambre, avant de nous précipiter sous la couette, le cœur chaviré de hurlements silencieux. La suite, on l’a oublié, je crois. Pourtant encore aujourd’hui, lorsqu’il m’arrive de dévaler les marches sombres d’un escalier, j’éprouve le besoin irrépressible de me retourner pour voir… si personne ne me suit.


Texte de Mistraline


Imaginez une maison qui vous épie à travers ses fenêtres béantes.
Une maison qui craque et qui grince comme une plainte échappée d'un souffle égrotant.

Une maison où règnent parfois des silences inquiétants.
Mes premières années se sont déroulées dans un lieu semblable, une maison d'ogresse pour tout dire ; celle de mon arrière-grand-mère, la matriarche.
La vieille bâtisse exhalait des relents de poussière humide, la moisissure de ses caves profondes imprégnait chaque pièce, certaines plus que d'autres.

D'épais murs fissurés abritaient mille secrets alimentés par le passage des templiers à une époque reculée. Nous vivions observés par des bustes austères aux yeux inquisiteurs, nous étions poursuivis par des courants d'air intempestifs et entourés de sons de pas émis par un grenier fermé à double tour et condamné depuis belle lurette.

C'était une maison où nous marchions avec la sensation perpétuelle d'une présence sur nos talons, jusqu'à sentir un souffle sur nos nuques. Le genre de maison qui a plus de recoins sombres que de pièces lumineuses.

Et le soir venu, il fallait se coucher et parvenir à s'endormir sans trop respirer pour étouffer la chamade affolée des battements du coeur ...
La petite pièce rectangulaire où nous dormions ne ressemblait pas à une chambre, c'était une salle à manger qui avait été aménagée pour permettre à la matriarche de vivre au rez-de-chaussée. Deux bustes de consul romain encadraient une cheminée glacée qui n'avait jamais vu aucun feu crépiter. La couche, recouverte d'un dessus-de-lit jaune moutarde à franges torsadées, faisait face à l'antre de la cheminée.

La nuit venue, je dormais d'une traite, blottie contre l'aïeule.
Mais une nuit, je me réveillai, aussi lucide qu'en plein jour ; les yeux écarquillés, je tentai de percer l'obscurité et n'y parvenant pas, je laissai mon regard se perdre ou se fixer au gré des sensations. Je percevais quelque chose, mes yeux étaient à l'arrêt sur un point crépusculaire; tout ce noir m'engloutissait, me happait, j'étais comme aspirée par les ténèbres. Assise sur ce lit à ressorts, le corps raide comme un pieu, je vis la nuit se rougir de deux yeux incandescents qui me pénétrèrent jusque dans la poitrine.

J'expulsais un cri. Le cri de la peur.
L'arrière-grand-mère se tourna vers moi en ronchonnant :
- " Il n'y a rien, dors !! "
Diable, comment dormir après ça !
Je fermais si fort mes yeux que j'en avais mal au crâne, je serrais aussi mes poings pour me donner du courage mais le petit coeur tambourinait à tout rompre et la peur transpirait sur mes joues échauffées.

Depuis lors, plus question de fixer l'obscurité.
Il est des ombres qu'il faut savoir ignorer...



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