02/12/08 La Malle


Une malle mystérieuse, quelques objets imposés ainsi qu'un début de scénario et les plumes se délient vers des récits sans frontière.



Texte de Sonayâ

Voici les mots dont j’ai hérités de Virginie :


« La malle s’ouvre sur un tas de reliques ; un casque pointu, un carnet d’aquarelles, une photo prise dans les tranchées et des lettres poignantes. »



Le 16 juin 1954 :

« Le grenier : cela faisait des années que je n’y étais pas remontée.

Il est tôt, et les premières lueurs de l’aube traversent doucement les toiles d’araignées et dévoilent des spirales de poussière. Le bric-à-brac est au calme ; tous ces souvenirs laissés là, imperturbables au temps qui coule.

Je suis assise devant la malle de papa. Il est mort il y a une semaine, et maman m’autorise enfin à ouvrir cette malle.

Elle m’a dit : « Voilà la clef, je t’autorise à l’ouvrir aujourd’hui. Ton père m’a toujours répété : « Tu ne lui donneras la clef que quand je ne serai plus de ce monde. » C’est maintenant chose faite hélas, paix ton âme, mon cher Alphonse. Voilà la clef ma fille. »

Je suis assise devant la malle de papa, et toutes ces choses toujours tues et cachées se trouvent dedans je pense. J’ouvre précautionneusement la malle.

Avant que je ne discerne son contenu, je suis frappée par l’odeur qui en émane : une odeur de passé et de tragédie, une odeur d’émotions non exprimées à cause de la stupeur qu’elles génèrent…

Il y a d’abord un casque pointu, un casque de poilu ; il est tout rouillé et une antique tache de sang le décore lugubrement sur les bords ; une souillure délavée mais toujours sinistre. Je le prends ce casque, le manipule avec respect, quand une photo dissimulée dedans tombe, virevolte doucement vers le fond de la malle : elle est jaunie, cornée, mais encore bien nette : un homme au visage émacié et convulsé par la douleur, au visage ravagé par la vermine, les poux et l’horreur extrême : cet homme émacié et sûrement rongé par l’étisie grimace un sourire forcé mais résigné ; il y a beaucoup de sang sur son surplus ; il lui manque un bras et une jambe. Une cigarette roulée au tabac gris – j’imagine, pendouille sur sa lèvre, humide et sanglante. Il y a de la boue partout. Il est abrité sous une tente de fortune détrempée, au beau milieu de l’enfer. Des corps l’entourent. Sont-ils vivants ? Sont-ils morts ? Tout est gris et jauni. En tout cas, cet homme, ce n’est pas mon père, mais qui est-ce ?

La photo a chu sur un carnet, rempli de dessins à l’aquarelle - mon père a toujours aimé dessiner : j’y trouve des portraits de cet homme, et au bas de l’un deux, une phrase est inscrite à l’encre : « Aujourd’hui j’ai fini la boîte à cigarette que j’avais commencée il y a deux semaines. Mon pauvre Marcel n’est pas vaillant, il maigrit à vue d’œil et il m’inquiète ; il vomit beaucoup et tremble de plus en plus…chiennerie de guerre… ». Il y a beaucoup de portraits de Marcel, mais aussi d’autres soldats ; toutes les expressions possibles et imaginables du visage. Mais il y a aussi beaucoup de croquis d’oiseaux, de chats, d’arbres, de paysages, et ils sont tous signés de mon père, et tous datent de cette sale guerre de 14. Papa avait 23 ans quand ils l’ont obligé à rejoindre le front. Comment a-t-il pu en revenir vivant ? Irrémédiablement abattu et détruit, mais vivant.

Sur la dernière page du carnet, je trouve un autre phrase de mon père : « Marcel est mort aujourd’hui. Ce satané obus l’a déchiqueté, mon Marcel. Il meurt. Sam notre photographe vient de lui tirer le portrait…son dernier hélas ! Il meurt et je ne peux rien y faire. Oh ! mon Marcel, que vais-je pouvoir dire à Rosalyne ? Que tu es mort, oh ! mon dieu ! mais comment y survivras-t-elle ? Tu vas mourir car malgré tout mon savoir médical, je ne peux pas te sauver. Tu meurs, nom de dieu ! Maudite guerre ! maudits soient les hommes ! maudit soit la guerre ! »

Cet homme, sur la photo, c’est Marcel. Papa ne m’en a jamais parlé. Ma mère m’avait expliqué que depuis que depuis son retour de la guerre, il était muré dans un mutisme maladif, inconsolable : non, mon père n’a jamais beaucoup parlé.

A côté du carnet, je trouve une vieille sacoche en cuir : à l’intérieur, un tas de lettres. Des lettres de Rosalyne, et chose étrange, celles que mon père lui a écrites. J’en lis quelque une.

Marcel était le meilleur ami de mon père et Rosalyne, sa femme.

Dans ces lettres, mon père pleure, déverse tout le chagrin qui na jamais pu le quitter ; il se juge coupable de la mort de Marcel, qu’il n’a pas pu sauver, car trop de sang avait coulé, trop de membres avaient été touchés.

J’apprends que Rosalyne, deux semaines après avoir appris sa mort, avait tenté de se supprimer, puis avait par la suite réussi à se ressaisir et à recouvrer petit à petit l’appétit de vivre. Et mon père qui se répand en gémissements, en culpabilité. Une phrase de Rosalyne me traverse le cœur de part en part, tant celle-ci paraît quiète, stoïque, résignée : « Tu sais, Alphonse, imaginer Marcel vivre sans bras, sans jambe, et avec le cerveau détruit,trépané, c’est encore pire pour moi que de le savoir trépassé. »

Papa ne nous a jamais parlé de cette période horrible, à moi et à Justine, et je suis en train de comprendre qu’il n’aurait jamais pu le faire. Maman était au courant elle, mais il a du lui interdire d’en parler en notre présence. Mon père est mort en emportant avec lui son chagrin. Il a voulu nous épargner en se taisant complètement. Sûrement qu’en parler ne serait-ce qu’un peu l’aurait obligé à tout dire. Oh ! papa ! je suis si heureuse de savoir ça maintenant, et d’en savoir un peu plus sur ce que nous imaginions être une totale indifférence à notre égard. Tu étais si lointain. Si retranché dans tes souvenirs…si tu me permets cette lugubre expression. Mais comment les hommes font-ils pour commettre tant d’atrocités ? Comment ont-ils pu obligé des hommes comme toi et Marcel à aller participer à cette boucherie ?

Un objet attire mon regard et amplifie encore un peu plus cet état de stupeur que ces découvertes me procurent : c’est une boîte à cigarette en bois : elle renferme encore deux cigarettes décrépites, ratatinées et séchées ; sur le couvercle, un fer à cheval a été gravé très précieusement ; sous le fer, les initiales de papa : Alphonse Carusi : A. C. A. C sous le fer. Assez souffert.



Texte d'Anne-Sophie


Ce soir là, Marie-Pierre me transmit le texte suivant :


"J'ouvre la malle et je vois le portrait d'une jeune fille des années 50. Sous le portrait, soigneusement pliée, une robe de bal en soie jaune, longue, fluide, un poudrier et sa houppette, et une croix de communiante. Une lettre décachetée, signée Louis, nous indique un amoureux transi."


...

...

De sa voix légèrement chevrotante, elle m'avait dit de monter dans le grenier et de lui descendre une vieille malle contenant sa jeunesse et ses rêves oubliés.

Alors que je m'aventurais sur une ancienne échelle de meunier, je sentais déjà l'odeur boisée de cet endroit où le temps se suspend et le mystère s'intensifie.

Je n'eus pas de mal à la trouver. Elle attendait, là, d'être enfin rouverte car elle cachait le souvenir endormi d'une belle jeune fille. Délicatement j'ouvris la malle et mes yeux se posèrent avec étourdissement sur les courbes fines d'une silhouette du temps passé, d'une époque d'après-guerre. Elle portait une robe de bal, probablement la même que celle soigneusement pliée dans ce coffre. Mes mains découvrirent l'étoffe de soie jaune, longue, fluide, un poudrier, sa houppette encore douce, et enfin une croix de communiante, comme si elle venait sacrer l'émotion de ce soir là, la rencontre avec Louis. Cet homme, dont la signature figurait sur une lettre décachetée, y avait amoureusement et discrètement témoigné ses sentiments.

Je réalisais alors avec étonnement que ma tante avait rencontré très tôt et renoncé à jamais à l'amour. Derrière sa sévérité et ses yeux d'acier, avait vécu autrefois une jeune femme douce et désirable.

Qui était donc ce Louis ? Pourquoi ne lui avait-elle pas succombé ? Pour quelles raisons secrètes conservait-elle encore les bribes de cette passion ?


Je descendis ses effets en silence et attendis patiemment qu'elle m'en parle.

Les minutes passaient, et je voyais un visage adouci par l'émotion, transfiguré par la renaissance de cette malle aux souvenirs jaillissants.

Dans un sanglot, elle murmura à demi mot, qu'à cette époque lointaine Louis se devait de rester marié pour la réussite de sa carrière, renonçant ainsi à leur liaison, à leur amour dérobé.


De cette déception elle ne put jamais se remettre et croire à nouveau aux sentiments d'un homme. Elle se résigna définitivement à l'âpre solitude, jusqu'à ce jour, cet instant furtif, ces petites minutes où semblait revivre dans l'azur de ses yeux baignés de larmes la flamme d'un coeur sensible et fragile, amoureux certainement encore.



Texte de : Marie-Pierre, à partir du papier bleu de Fabien


C’est l’histoire d’une petite fille. Elle s’appelle Nadège. Elle est née dans une cabane construite dans une clairière, au beau milieu de la forêt. Son père est chargé de l’entretien de cette forêt. Il débroussaille, ramasse les branches mortes, élague les arbres trop envahissants. Sa mère est une femme simple. Elle ne sait pas lire, mais fabrique elle-même son pain et cuisine au feu de bois. Nadège accompagne son père dans les bois, apprend à poser des collets et à dénicher des oiseaux. C’est une vie rustique, à la limite de la sauvagerie. Elle rêve d’un autre monde, sans oser vraiment l’imaginer.

Ce monde lui saute brutalement à la figure, le jour où son père l’emmène à la ville. Elle est choquée par la circulation des voitures, le bruit ambiant et surtout la proximité d’une foule d’inconnus. Son père lui explique qu’à partir de maintenant elle ira à l’école et sera logée dans une pension. Et il lui achète quelques fournitures scolaires : cahiers, crayons, un minuscule mais adorable taille-crayon en métal brun et surtout une magnifique sphère terrestre.

La pension se révèle d’une certaine manière plus sauvage que sa forêt natale. Une discipline de fer, des surveillants toujours au bord de la crise de nerfs, la toilette collective. Mais l’école est une véritable révélation. Nadège découvre qu’au-delà de sa forêt et même de cette grande ville, il existe encore un monde immense et mystérieux. Elle passe des heures, penchée sur sa sphère terrestre à découvrir de nouveaux pays.

Bien sûr, elle apprend rapidement à écrire et surtout à lire et dévore rapidement les ouvrages d’astronomie de la bibliothèque. La lune la fascine particulièrement, à tel point que pour la récompenser de son travail scolaire, elle reçoit un pendentif en ambre en forme de lune.

Elle est loin maintenant de la cabane de son enfance, éclairée à la bougie. Mais elle se sent seule et n’arrive pas à se lier d’amitié avec les autres pensionnaires. Un jour, de la poche d’un élève, tombe une photo quelle ramasse discrètement. On y voit un petit chat gris, noir et blanc. Elle tombe immédiatement amoureuse de ce joli chat et décide de lui écrire des lettres pour lui confier ses peines et ses joies, lettres qu bien sûr elle ne postera jamais.

Quand elle quitte la pension pour gagner sa vie, elle achète une malle dans laquelle elle rassemble les quelques souvenirs qu’elle veut garder de son enfance : la sphère terrestre, le taille-crayon, le pendentif, la bougie qui lui rappelle les veillées aux chandelles dans la maison de la forêt. Et la photo du chat, qui, sans le savoir, a été son confident pendant toutes ces années d’apprentissage.

La lettre qu’elle range dans la malle est la dernière qu’elle a écrite. C’est une lettre d’adieu, adieu à l’enfance. Elle se tourne vers une vie nouvelle et demande au chat de lui pardonner son abandon.

Puis la malle reste fermée, jusqu’à ce que je la découvre après la mort de Nadège, moi le fils qui ai si peu connu ma mère.


Texte de Mistraline


Le petit mot légué par Véronique :


Dans cette malle j'ai trouvé la photo vieillie d'un type d'une cinquantaine d'années, la pipe au bec, l'air nonchalant genre Popeye. Sur la photo, il porte un pull marin classique retroussé sur de gros tatouages.
J'ai aussi trouvé une boussole et un porte-clé en fer rouillé à la forme d'une ancre. Une lettre des soeurs Rampling venant apparemment d'Australie d'après les beaux timbres.

Dans cette maison personne ne venait plus, pourtant au grenier une malle esseulée conservait des reliques ; fatras d'objets oubliés, vestiges d'un temps où les hommes fumaient encore la pipe arborant fièrement des tatouages de marins intrépides sur leurs biceps épais. Tout une vie était soigneusement pliée dans cette malle empoussiérée, c'était celle de Barnabé Bouille. Tout jeune, le brave Barnabé s'était enrôlé dans la marine marchande dans un unique but : voir le monde, en faire le tour, quadriller les océans, arpenter les côtes et sillonner les mers ; atteindre et dépasser les limites ... Un gaillard de son acabit n'eut aucune peine à se faire une place dans la marine. Vif et endurant, il ne rechignait pas à se montrer pugnace s'il était question de juguler les mutineries à bord. Durant trente ans, ce fut un second exemplaire parlant comme personne la langue des océans. Le gaillard était bel homme avec une allure de Général dominant la bataille - sur de lui mais toujours aux aguets - le genre d'homme qui ne se laissait pas surprendre. Pourtant à l'aube de la cinquantaine, atteignant les rivages Australiens, Barnabé Bouille eut la surprise de rencontrer les flèches de Cupidon. L'amour se présentait à lui avec deux visages, ceux des soeurs Rampling ; des jumelles aussi semblables que deux coquelicots dans un champ de blé. Son aventure avec les soeurs Rampling, fut l'un des épisodes les plus inattendus de son existence ; il aima les deux comme si elles ne faisaient qu'une et aucune n'y trouvait à redire car pour voir le beau sourire de Barnabé s'afficher, elles auraient bu boire la mer de Tasman. De ce ménage à trois naquirent quatre enfants, deux fois deux jumelles, Barnabé se retrouva prit entre six filles. La mer lui manqua soudain diablement. Il se mit à souffrir du mal de terre, éprouvant de fréquents vertiges qui n'étaient plus ceux de l'amour. C'était sans compter sur la dévotion des soeurs Rampling qui s'échinèrent pour lui rendre sa superbe. Un soir du mois d'Août de 1962, elles offrirent à Barnabé un petit porte-clé métallique suspendu à une ancre. Lorsqu'il la vit, Barnabé n'osa pas imaginer ce qu'il espérait tant, il joua l'étonné, priant intérieurement pour que l'ancre miniature soit la représentation symbolique d'une ancre grandeur nature. Les soeurs avaient vu juste ! Sitôt à bord de sa nouvelle embarcation, Barnabé Bouille redevint le marin infaillible au sourire d'ivoire. Il leva l'ancre en catimini un matin de Septembre et les soeurs Rampling n'entendirent plus jamais parler de leur beau marin. Elles écrivirent en vain chez sa mère à Toulon mais tel un mirage longtemps imaginé, Bouille s'était volatilisé, sans laisser de trace. Un jour, une belle malle joufflue arriva chez la mère Bouille à Toulon, la pauvre vieille n'avait plus de nouvelle de son fils depuis plus d'une décennie. - " Il a été aspiré dans un triangle de berlue, quelque chose comme ça ", disait la vieille aux voisines avides. Cette malle qui contenait quarante ans de la vie de son petit, elle n'eut jamais la force de l'ouvrir, elle n'eut pas non plus la force de s'en séparer, elle y rangea les lettres des soeurs Rampling et fit monter la malle au grenier. On aurait pu penser pour l'éternité ... Mais il survient toujours quelqu'un pour retrouver ces malles esseulées.

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