28/10/08 De zéro à vingt ans


De la naissance au plus bel âge !
En quelques lignes



Texte de Marie-Pierre



1958 : ET BIS REPETITA : Naître un 19 avril, comme ma mère et mon grand-père, ce n’est pas neutre. J’ai mené mon enquête chronologique : le jour de la conception, c’est le 14 juillet. Il faut dire que les festivités sont rares dans les campagnes bretonnes.

1959 : A L’ETROIT : Un petit pavillon d’une pièce-cuisine en banlieue parisienne. Une chambre avec un grand lit et un lit-cage dans lequel je m’ennuie. Je déchire consciencieusement le papier peint autour du lit pour m’occuper.

1960 : LA PECHE A LA LIGNE : Pendant les vacances en Bretagne, j’accompagne parfois mon père qui va pêcher des truites dans le Scorff. Il me fabrique une canne à pêche avec un bâton, un hameçon et un fil.

1961 : NOEL : Le sapin éclairé, la fête de famille, celui que tout le monde attend. Existe-t-il ? Oui ? ou non ?

1962 : LA SIESTE : Ce sont les petits qui font la sieste, moi, j’ai quatre ans et je n’ai pas du tout envie de dormir à l’école, et même pas dans un lit ! Ca se termine par un rinçage de tête sous le robinet.

1963 : LA COLO : Ma première colonie de vacances (la première d’une longue série ). Je suis la plus jeune. Premier repas : des carottes rapées. Je déteste. J’éclate en sanglots.

1964 : L’ECOLE PRIMAIRE : A l’école primaire de filles, la blouse est obligatoire et les pantalons interdits. Ma maîtresse s’appelle mademoiselle Priou. Je reste à l’étude et rentre seule chez moi. La clé est attachée par une longue chaîne à mon cartable.

1965 : ANNIVERSAIRE : On me demande quel cadeau je désire, avec l’assurance de l’obtenir. Je demande un lapin ou un poney, et je reçois ainsi un lapin blanc que je nomme Pouffy, le premier de mes nombreux rongeurs apprivoisés.

1966 : CERISES : On a changé de maison. Il y a un jardin avec trois cerisiers. Le mois de juin, je le passe perché sur une échelle ou dans les branches à me baffrer de cerises avec mes cousins.

1967 : VELO : Le dimanche, mon père m’emmène avec mes cousins pédaler à travers les champs. Ca cahote, on prend des gamelles, mais on adore ça. On prend avec nous du pain dur qu’on distribue aux canards du moulin de Jarcy.

1968 : CICATRICES : On est en mai, tout est arrêté, la France s’inquiète. Ma mère est assise sur le perron de la maison, ma cousine lui saute dans les bras, elle perd l’équilibre et roule dans les marches. On la soupçonnera bien sûr d’avoir traîné sur les barricades.

1969 : ENTREE EN 6ème : Plus de blouse, premier blue jean, des garçons dans la classe, la guerre des aliments-projectiles à la cantine. Mais ma mère me lâche les baskets pour mes devoirs, grâce aux maths « modernes » auxquels elle ne comprend rien.

1970 : TOUKIE : C’est mon premier chien, un Boxer brun gé qui devient comme ma sœur. Elle m’accompagne partout sans laisse, se plie à tous mes caprices et mange les steaks qu’on me prépare pour mon repas de midi et dont je n’ai pas envie.

1971 : ESPAGNE : En juillet, nous partons à sept dans une vieille Taunus, mon oncle, ma tante, mes quatre cousins et moi. Après une première nuit à Bordeaux, nous partons pour Santander passer des vacances en groupe, comme je les aime toujours.

1972 : ETUDES : Je suis confinée à la maison, avec l’obligation de travailler, alors que mes copines sortent, se rencontrent, s’amusent. Je m’ennuie, seule devant mon bureau.

1973 : EN CACHETTE : Trop c’est trop ! J’ai envie de sortir, de draguer. Je commence à trafiquer mon emploi du temps, mais je ne suis pas encore au point pour les mensonges.

1974 : LA MOBYLETTE : Il faut traverser la ville pour aller au Lycée. J’ai droit à une Peugeot blanche à phare carré. C’est la liberté. Je peux encore mieux échapper au contrôle parental.

1975 : DR JEKIL AND MISTER HYDE : D’un côté, je suis l’élève studieuse, avec une allure de première de la classe. D’un autre, je suis avec un groupe de musiciens, je fume et fais plein de choses interdites, sans que mes parents ne se doutent de rien.

1976 : CONCOURS : En même temps que le Bac, je me présente à des concours pour des écoles d’ingénieur en agriculture : Beauvais, Angers, le Vaudreuil en Normandie ; surtout une école où je n’habiterai plus chez mes parents.

1977 : LE LAIT DES VACHES : Mon premier stage dans une exploitation laitière à Saint Thégonec. Je réalise que pour produire du lait, la vache doit avoir au préalable eu un veau. Comme niaiseuse on ne fait pas mieux !

1978 : LA VIE EN COMMUNAUTE : Le Vaudreuil ville nouvelle : 350 habitants dont 300 de mon école, plus des ouvriers du chantier. Des chambres de huit mètres carrés ; mais une vie en groupes animée, parfois agressive ou passionnelle, des amitiés, des haines. LA VRAIE VIE ENFIN !




Texte de Sonhayâ


Et bien, ce n’est pas une mince affaire…c’est un gros travail de mémoire…remonter le temps, le film de notre vie ; être spectateur de sa vie et non plus acteur. En être détaché pour la narrer sans tomber dans du mauvais pathos…bon, c’est parti :





« 1976 : 0 an : Il y a un monde, dehors.



Sortir ou ne pas sortir ? J’entends les ahanements de la sage-femme. De très loin me parvient l’écho de ses gouttes de sueur percutant le ventre agité. Mon père aide la sage-femme et ahanne lui aussi ; ma mère commence à être fatiguée. Longtemps après, je sors.



1977 : 1 an : Ce monde est bruyant, mais il y a aussi des sons agréables.



J’aime beaucoup la boîte à musique près de mon lit ; la mélodie est douce. Ma lionne est près de moi, la peau de chèvre au fond du berceau, sur mes pieds. Il y a une lumière veloutée et bleutée. Je suis repu. Les ombres au plafond m’amusent. Maman et papa m’ont bercé. J’aime être au lit, au calme, car le monde est bruyant.



1978 : 2 ans : On voit loin quand on est sur quatre pattes.



Je commence presque à marcher correctement. Je vois plein de trucs marrants, j’entends plein de sons rigolos que j’essaye de reproduire. Il y a des mots rigolos, d’autres moins drôles, beaucoup moins drôles. Maman et papa sont gentils avec moi. Mais ce monde est bien compliqué et il va falloir s’y faire. Je n’ai pas le choix. J’adore les musiques de papa et maman.



1979 : 3 ans : Au loin parfois, grondent des orages.



Cette fois, la station debout est bien assimilée. J’aime bien aller dans mas chambre et jouer tranquille. Parfois, papa et maman parlent trop fort et n’ont pas l’air contents, alors j’aime bien aller dans ma chambre. Et pourquoi parfois, papa et maman se crient dessus ?



1980 : 4 ans : C’est chouette les legos. (Petite section)



Je suis assez grand pour jouer aux legos ; je comprends que je peux m’inventer des mondes. C’est bien parce que papa et maman se crient de plus en plus souvent dessus. Peut-être qu’ils ne s’aiment pas ? Alors je joue avec mes legos et quand mamie vient, on joue à la dînette et j’aime bien lui servir du thé. Et puis j’aime bien l’école.

1981 : 5 ans : Où j’ai appris que les ventres des mamans pouvaient devenir ronds comme des ballons, ainsi qu’un heureux évènement. (Moyenne section)



Je suis content. C’est super. J’apprends que je vais avoir un petit frère ; j’apprends aussi pourquoi le ventre de maman s’arrondissait. Et puis hop ! mon petit frère arrive. Quand il sera grand, on jouera aux legos, ça c’est chouette.



1982 : 6 ans : De l’observation ou de la joie de la curiosité. (Grande section)



Je suis fasciné par l’observation de mon petit frère : alors c’est comme ça qu’on apprend à marcher ? Je me dis que j’avais du bien galérer. J’aime bien prendre mon petit frère dans les bras, c’est si étonnant un p’tit frère. Mais mes parents commencent vraiment à ne plus s’entendre.



1983 : 7 ans : Mes parents ne sont pas faits pour vivre ensemble. (Classe préparatoire)



Au moment où je me rends compte sereinement de cette chose inéluctable, je commence à désirer voir papa d’un côté et maman de l’autre, car les deux ensembles c’est terrible. Les disputes sont violentes parfois. Je vais souvent voir mon petit frère Julien et je joue beaucoup aux legos.



1984 : 8 ans : La déchirure affective de Julien et ma première expérience de la mort. (Cours élémentaire 1)



Mes parents se séparent. Moi, je suis content, mais pour mon petit frère c’est fatal. Il en souffrira une grande partie de son adolescence. Aussi, pépé meurt. Le lendemain de sa mort, il vient me dire au revoir dans la voiture ; papa me dit que c’est normal. J’apprends que mourir c’est partir de ce monde pour un autre tout en restant dans le cœur de ceux qui restent.



1985 : 9 ans : La vie yo-yo. (Cours élémentaire 2)



Julien a quatre ans. Il est gentil mais quelquefois il détruit mes scènes legos. Mais ce n’est pas grave. J’apprécie de voir mon père d’un côté et ma mère de l’autre ; c’est chouette, on a deux maisons. Mais mon petit frère lui, il n’aime pas trop.



1986 : 10 ans : C’est bien de savoir lire. (Cours moyen 1)



Cette fois c’est du sérieux. J’ai beaucoup de devoirs ; je suis en CM1 et l’école devient moins rigolote. Je préfère être à la maison écouter de la musique et m’inventer des mondes. Et puis maintenant que je sais lire, je dévore tout ce que je peux. Julien lui adore l’école, et en plus ce chanceux va bénéficier du début des classes « cham » ; il va pouvoir avoir des cours de musique intégrés à sa scolarité dès le CP. J’aimerais bien faire de la musique : j’adore le classique, le jazz, Renaud, Brassens, Brel et Barbara.



1987 : 11 ans : Initiation jouissive au piano. (Cours moyen 2)



L’année prochaine, c’est la sixième et ça me fait peur ; déjà que là, c’est difficile : et puis les maths, j’y comprends rien, heureusement qu’il y a papa : le pauvre, je lui en fait voir…L’école, c’est dur, je fais de mon mieux ; ce qui me réjouit, c’est qu’il y aura deux heures de musique par semaine au collège. J’adore jouer de la musique. J’ai commencé le piano avec Régis, un ami à ma mère. On rigole bien ensemble.



1988 : 12 ans : La Musette de Bach, Olivier & Loïc. (Sixième)



Le piano c’est génial. Régis a dit que je pouvais travailler la Musette de Bach. J’aimerais ne plus aller à l’école. Je commence à recopier des passages de livres dans mes cahiers. Si je pouvais ne faire que du piano, lire et jouer au legos, je serais heureux ; je m’éclate avec les legos « technics » ! Je n’ai pas beaucoup de copains à l’école. Mais j’ai mon ami Olivier (on se connaît depuis qu’on est fœtus) et mon pote Loïc.



1989 : 13 ans : Mon père a une copine. (Cinquième)



Depuis mes six ans, je vais aux Eclaireurs de France ; là-bas, je rencontre Marko (un autre de mes amis chers) qui est maintenant papa et qui vit seul avec son fils.. Mon petit frère a huit ans ; il est impressionnant de savoir. Mon père a une copine et Julien a du mal à l’accepter. Je poursuis l’étude du piano avec un nouveau prof, Paul, un autre ami à ma mère ; il est super lui aussi, et j’aime bien ses cours.



1990 : 14 ans : La première cuite et la famille recomposée. (Quatrième)



Week-ends aux éclés – première cuite lors d’un de ces week-ends. J’aime bien écrire des petits trucs dans mes cahiers de cours et dessiner pendant que je m’évade en math. Avec les potes, on aimerait sortir mais les parents ne sont pas trop chauds. Mon père et Virginia se voient de plus en plus quand on est là ; petit à petit Virginia et Etienne son fils entrent dans notre vie. Etienne a l’âge de Julien. On est tous ensemble aux éclés. J’ai l’intuition que le lycée sera plus agréable que le collège. Mon petit frère est une tête à l’école ; il fait du piano et de la clarinette.



1991 : 15 ans : Scott Joplin et le rag-time. (Troisième)



Je découvre l’Arnaque de Scott Joplin. Ce rag-time est une révélation. Je trouve dans les partitions de la mère d’un de mes copains de l’époque, un recueil de rag-times ; je me mets au piano et je me dis que je passerai ma vie à jouer du rag-time. C’est ce que je fais en plus de la littérature musicale classique.



1992 : 16 ans : Vivement le bac. (Seconde)



On commence à sortir beaucoup avec les potes. Le lycée me motive car c’est la dernière étape avant l’opportunité de vivre seul. Je m’entends bien avec mes parents mais j’ai envie de les voir quand j’ai envie. Papa est toujours inquiet et maman trop débordante. Bon, ils sont comme ça. Je les aime comme ça. Mais j’ai hâte d’avoir ce bac, voir mes amis. Rencontre avec Mathieu, un autre de mes amis chers : il m’adresse la parole à une fête en me demandant : « t’en veux ? »



1993 : 17 ans : Les joies de la spécialisation. (Première première)



Je suis heureux car en première, je peux enfin faire ce qu’il me plaît : du français, des langues. En plus, la prof de latin accepte l’idée de faire des cours de conversation courante. Je dessine (je suis réinscrit à l’école d’art), je fais du piano : Mozart, Chopin, Beethoven et tutti quanti, des rag-times. Je fais la fête, je sorts, je flirte. Et puis je découvre Erik Satie. Musique, musique.





1994 : 18 ans : Un autre heureux évènement. (Deuxième première)



Je redouble car je n’ai pas un niveau suffisant. Nos fêtes sont de plus en plus intenses. Alcool, fumée, flirts délirants ; on se lâche avec les potes. Très heureux évènement : papa et Virginia ont une fille ; Elodie est née et c’est génial. Mon frère tique et commence à partir en live ; et il nous fait peur.



1995 : 19 ans : Vivement le bac bis. (Terminale)



Année hallucinante. Fêtes à gogo, cours de philo délirants, des états pas possibles. Julien lui, commence les excès en tous genres. ; je ne suis pas un bon exemple. Je décide d’aller à la fac étudier l’espagnol. Musique, écriture de plus en plus quotidienne, dessins et teufs ! Voilà mon emploi du temps…et les révisions pour le bac.



1996 : 20 ans : La bohême. (Première année de faculté)



La fac me fatigue. Je décide d’aller aux Beaux-Arts l’an prochain. L’année de fac à Dijon n’est que cuites, discussions jusqu’à 4h du mat’, des heures et des heures au piano, et beaucoup de correspondances ; je n’ai jamais écrit autant de lettres que durant cette année. Je commence à boire beaucoup et à fumer beaucoup trop aussi ; comme mes amis d’ailleurs. Mais que c’est bien de vivre seul et de ne voir les parents que le week-end : c’est beaucoup plus appréciable. »




Je ne pensais vraiment pas me souvenir de tant de choses : pour moi, c’est beaucoup.

J’ai été obligé de mettre les classes dans lesquelles j’étais car cela me faisait des repères, mais aussi des déclics mnémotechniques. C’est intéressant à la lecture, de voir que certaines personnes ont des souvenirs très précis pour chaque date et d’autres comme moi, des souvenirs globaux.

Mais ce qui m’a plu particulièrement dans cet exercice, c’est le fait d’avoir comblé un vide narratif ; en effet, j’ai commencé la rédaction de mes « journaux de bord » en 1998, et ce soir, j’ai comblé ce qu’il manquait entre 1976 et 1996. Il ne me restera plus que deux ans à combler, et c’est assez enivrant de penser à ça…De 1976 à 1998, j’aurai des petits résumés par année et à partir de 1998 commence l’écriture quotidienne.

C’est une chance admirable que d’avoir fait cet exercice car je n’en aurais sûrement pas eu l’idée tout seul.



Merci Virginie, donc ; ce fut épuisant mais bigrement apaisant.

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