10/01/2012 Road Movie culinaire
Pour cet exercice nous allons ouvrir la boîte à souvenirs...
Petite enfance
Il est là, ce goût au fond de ma gorge.
Qu’est-ce que c’est ?
D’où me vient-il ?
Comment vais-je faire pour trouver son origine, pour découvrir d’où
me vient ce goût inconnu ?
Je le découvrirais 10 ans plus tard au cours de mon voyage en
Israël.
Le jeune homme a fendu la
peau du fruit, pleine de piquants. Avec ses doigts, il a dégagé le fruit
orange, boursouflé par des graines et me l’a tendu comme une offrande.
A l’instant où ma langue a
écrasé la chair, ma chair a su que je l’avais retrouvé. Je revenais en pays
connu.
Plus tard
Je te vois, ma mère, les mains dans la farine, malaxant, triturant
les pommes de terre, fabriquant de longs rouleaux, les coupant en losange. Moi,
je te regardais. Il fallait que je te regarde, pour vivre. Tout ce travail
était une promesse de plaisir. Je savais que lorsque tu nous servirais ces
sortes de gnocchis, avec une belle sauce marron, onctueuse (dont tu avais le
secret), je serais transportée de plaisir.
Plaisir disparu, mais jamais oublié.
Au printemps
Le printemps vient d’arriver. La saison de mes fruits préférés. Ma
mère le sait. Elle ne peut pas se retenir. Malgré le coût exorbitant des
premières cerises, je sais qu’elle rentrera un beau matin, me tendra sa main
rempli de cerises et moi, goulument, je lui prendrai ce trésor, mettrai les
cerises une après l’autre dans ma bouche et gémirai de plaisir.
C’est toujours au
printemps
Notre grand plaisir à l’époque, pour mes frères et moi, lorsque
nous rentrions à la maison, après la journée de classe, c’était de nous faire
des sandwichs de fraises.
Nous ouvrions le pain, mettions un peu de beurre, écrasions avec
délectation les fraises sur le pain puis pour finir sucrions tout cela. C’était
prêt. Peu de personnes se doute du goût absolument divin de nos sandwichs de
fraises.
Pour toujours
Je ne peux oublier sur mon palais le goût de cette cuisine d’amour.
Je ressens encore le goût très précis du gâteau au fromage, aux pommes, des
marbrés aux 2 couleurs, jaune pale et marron, des biscuits sablés au chocolat,
des soupes de légumes à l’orge perlé, des ragouts aux pommes de terre, des
patés de viandes….
Je pourrais continuer encore et encore à dérouler le souvenir, que
le temps n’efface pas, des plats cuisinés par ma mère. Mais il faut que j’en
termine là pour que vous ne regrettiez pas cette cuisine que vous n’avez pas
connu.
Si je devais illustrer mon
enfance et en faire un road movie culinaire, il ressemblerait à ces calendriers
perpétuels filmés en technicolor, où les saisons se succèdent sans grande
surprise, à la manière de « on prend les mêmes et on recommence ». Le
film passe en accéléré, les décors sont
identiques, les mines un peu pareilles, certains visages disparaissent,
mais l’animation reste la même, enfin presque.
Les soirs de Noël sont scandés au
rythme d’une musique exotique, peu commune, mêlée d’accent pied noir et d’Ave
Maria. Le sapin est un vrai, un grand, un beau et l’humeur familiale est comme
dans beaucoup de nos maisons, sur le fil, sans filet, à jouer les funambules. On
attend tous un peu fébriles ce moment de ripailles, de partage, images et bande
sonore que l’on déroule ou rembobine toute l’année avec ou peu de nostalgie.
Si j’avais la sainte horreur des
huitres, le temps jouera pour moi, elles deviendront un délice. Plus elles sont
fermes et vivantes, plus vite je les goberai.
Si j’aimais cuite cette fondue bourguignonne,
qui se répète inlassablement sur le centre de table, elle me régalera saignante
en grandissant, accompagnée de ces multiples sauces Amora que je trouvais, à
l’époque, extraordinairement bonnes !
Et ces pauvres cailles qui me
faisaient tant de peine... Je les trouverai exquises sur canapés et n’en
laisserai qu’une carcasse fine et dépouillée de toute chair.
Quant aux aspics, tremblants et
transparents, que je regarde d’un œil inquiet, ils finiront par plaire à mon palais
réfractaire.
Et puis je n’oublie pas ces bêtes
à antennes, pinces et pâtes sous le ventre baignant dans une sauce rousse... La
fameuse langouste, le meilleur de tous les plats, la reine de la table.
Ces Noëls se multiplient, bercés
par le ronron percutant et fracassant des adultes attablés ou « désattablés »
et je garde en bouche le goût sucré des fruits déguisés que j’avale sans
compter. Pâte d’amande verte ou rose, cerise, noix, pruneau ou dattes, ils
restent un tendre souvenir de petite fille.
Quatre mois plus tard vient avril,
Pâques, son lapin-polenta, sa paëlla ou son agneau de lait que la même ambiance
tonitruante anime. Les uns, les autres, torchons, serviettes, les questions,
les affirmations, les contradictions, les coups de gueule, tous les ingrédients
sont bien présents pour parfaire chaque plat. Alléluia, le Christ ressuscite
irrémédiablement chaque année !
Entre décembre et avril que se
passe t-il alors ? Et bien, j’oscille entre le poulet-haricots verts-tarte
à la confiture des dimanches, ou bien avec un peu de chance cuisse de
dinde-flageolets-tarte tatin, et la semaine je passe au
tapioca-boulgour-fenouil-poisson Pescanova.
Mon amour pour le beurre et
l’ail, je le dois peut être à ces gouters essentiellement composés de
sempiternelles tartines étalées de l’un et parfumées de l’autre, surtout quand
le couteau avait servi à la cuisine quelques secondes avant. Pas de chocolat,
pas de BN, pas de bonbons, mais parfois des lunettes à la confiture, des
palmiers, du pain d’épice... et quand les vaches étaient grasses. A l’époque,
l’industrie agroalimentaire n’avait pas envahie les placards. La simplicité restait
notre credo.
En vacances, j’aimais le jus
d’orange pressé de onze heures de ma grand-mère, la soupe de cresson, la
brioche au beurre achetée le jour même à Casino, les Granola, ce chocolat au
riz soufflé achetés à Mamouth qui me paraissait divin, les glaces maison dans
ces bacs à glaçons en métal doré, et les diaboliques mantecao au saindoux !
Quelques rares évènements sont
venus ponctuer le scénario répétitif, et si je devais les citer, je parlerais
de cet unique couscous qui a réuni amis et enfants. J’entends encore le bruit, les
rires, je vois le plaisir sur les visages et la semoule qui les rassasie. Exceptionnellement
en semaine, venaient des halles, des pieds de cochons en gelée, du museau, du fromage
de tête, ou l’excellent poisson de chez Carmen, qui aujourd’hui encore me font
frémir d’envie !
En bref, si je devais résumer ce
long voyage, cet interminable péplum sans qui la quête n’aurait pu se faire, je
dirais que le pétillant de la vie ne tient qu’à la fantaisie que l’on veut bien
lui donner...
Road Movie de Mistraline
Bien des plats que j'ai mangés ont laissé leur trace au
creux de mon palais, de nombreux fumets sont restés captifs de ma mémoire.
Aujourd’hui il me suffit d’y repenser pour sentir mousser mes papilles et voir
défiler la bobine...
Par exemple, si ma tante avait su que je l’associerais à son
gratin de macaronis, peut-être aurait-elle appris à faire autre chose… Moi
son gratin, je le savourais, je grattais même la béchamel brunie sur les bords du plat en pyrex. Mon
cousin qui mangeait ça un jour sur deux, assistait à mes compliments avec
circonspection… Il aurait donné n’importe quoi pour se soustraire au
sempiternel gratin de sa mère.
Chez mon arrière-grand-mère je goutais de baguette grillée
dans le four, beurrée et saupoudrée de sucre ou de cacao. Je préférais le cacao
parce que le sucre était long à obtenir. Je devais frotter deux sucres l’un
contre l’autre et les réduire en poudre.
J’étais beaucoup moins enthousiaste pour les petits oiseaux comme elle disait. Dès les premières minutes de cuisson je savais ce qu’il y avait dans le four : des étourneaux ! Une fois cuits, ratatinés sur leurs toasts, leur vue me rappelait des momies desséchées dans leur sarcophage.
J’étais beaucoup moins enthousiaste pour les petits oiseaux comme elle disait. Dès les premières minutes de cuisson je savais ce qu’il y avait dans le four : des étourneaux ! Une fois cuits, ratatinés sur leurs toasts, leur vue me rappelait des momies desséchées dans leur sarcophage.
Mais malheur à qui mangeait ses montécaos ! Malgré la
livre de saindoux, ils étaient aussi étouffants que son amour.
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