07/11/2011 Des figures et du style



1  /Logorallye à partir de trois phrases tirées de la colère des aubergines de Bulbul Sharma.


Mots à inclure dans votre récit :


Train – sifflement plaintif- gare – de mauvais gré - petits cris aigus – gémissements – chiots nouveau-né - grand-mère – scruter -  les pommes de terre – choisir - regard impitoyable – détailler -  les candidates au mariage - ses fils - La femme aux cheveux gris – mettre cap sur -  se frayer un passage - l’océan des bagages – évoquer - une énorme baleine.
2/ Seuls cinq éléments peuvent être retirés de la liste.
3/ Donnez du style à vos images et faites de belles figures... Au moins une !



Texte de Jean-Paul
La troisième candidate  (Petite fantaisie indienne)


Au milieu de la foule, le plus souvent la grand-mère tractait son mari, mais parfois le poussait, le vieux ayant perdu la vue en raison d’un diabète survenu peu avant sa retraite, et qu’il avait traité comme il traitait son épouse depuis toujours, c’est-à-dire par le mépris.
Elle prenait sa revanche désormais, surtout s’il arrivait qu’on eût à sortir de la maison, comme c’était le cas aujourd’hui. L’occasion était alors trop belle de le bousculer en toute impunité. Dès qu’elle le mettait en branle, le vieux larguait de petits cris aigus, parce que son dos, parce que ses hanches, parce que ses genoux, parce que ses. Et elle de lui couper la parole, Si seulement tu étais moins gros, si tu ne bouffais pas des kilos de riz, des poulets entiers, des plateaux de pâtisseries, et j’en passe. Le vieux rouscaillait, Je croirais entendre le docteur, ma parole.
Après quoi il passait des cris aux gémissements. Ces gémissements, ne manquait-elle pas de remarquer, rappelaient à la vieille la période où il sévissait comme sergent dans un commissariat de Cochin. Et où c’était à de pauvres gueux, voire à des infirmes de naissance, de lâcher les mêmes plaintes parce qu’il les malmenait pour un samoussa ou un mangoustan dérobés à un étalage.
Si tu veux qu’on prenne ce train, grinça-t-elle, faudrait t’activer. Tu te laisses traîner comme une baleine harponnée au milieu de la mer, et moi aussi ça me fatigue, figure-toi. 
C’est qu’il faisait très chaud, c’est qu’il faisait très soif. Les tchaïboys écoulaient en un clin d’œil tous les verres de thé dont ils avaient garni leur plateau. Des tranches d’ananas, des quartiers de jaquiers ou de duryans se vendaient mieux que des petits pains. Des auréoles de sueur s’imprimaient sur toutes les aisselles, chemises ou saris.
Devant eux, un groupe de Sikhs discutaient en ourdou. Fiers et dignes comme toujours, parce que de race guerrière et le sachant, leur turban impeccablement drapé, leur barbe et leurs cheveux jamais coupés pris avec non moins de soin dans des sortes de filets. Ils progressaient, avec leur habituelle assurance et un calme infini, en direction du train, qui sans doute les conduiraient jusqu’au terminus de cette ligne, Jaipur, d’où une correspondance les déposeraient dans leur ville sainte, Amritsar, tout en haut de la carte. Très très long, épuisant voyage.
Néanmoins, leur calme infini finit brusquement quand la vieille, remorquant toujours son mari, tenta d’enfoncer et de dépasser leur groupe. Tout le monde se servit de l’hindi, langue nationale, pour s’engueuler à qui mieux mieux.
Le plus âgé des Sikhs envoya en pleine face de la femme quelques qualificatifs bien sentis, plutôt secs, prouvant que l’on peut à la fois être Sikh et sec.
Même dans cet inénarrable cirque, ce capharnaüm à nul autre pareil qui préside à la vie des chemins de fer indiens, on commençait à remarquer la dispute.
Rien d’étonnant, donc, à ce qu’un uniforme galonné se dressât bientôt face aux deux parties. Vous, hurla-t-il, oui, vous, la femme aux cheveux gris, qu’est-ce qui vous prend de vouloir resquiller ?
Mon mari est officier de police en retraite, lui cria la vieille. Qui, tout en braillant à pleins poumons, tentait mais en vain d’imiter la distinction propre aux Sikhs.
Ceci ne vous confère aucun  droit de plus que les autres passagers, lui hurla en retour l’uniforme galonné.
Et si je vous dis que je suis une grand-mère ? essaya la vieille.
Mais il lui fut aussitôt rétorqué que les grands-mères étaient légions, autour d’elle. Pour autant, elles prenaient la file sans broncher, elles.
Elle plaida encore qu’une autre femme venait de les dépasser en douce, portant dans ses bras un chiot, pas un nouveau-né humain insista-t-elle, mais un animal, de surcroît impur. Or personne ne lui avait barré la route, celle-ci, alors pourquoi ne les faisait-on pas monter en priorité, elle et mari, son mari surtout, vieux diabétique privé de la vue, arthritique, podagre, rendu impotent par l’obésité, rendu obèse par l’inaction puisque aveugle à présent, et auquel faire la queue dans ces conditions risquait bien de causer une fatale poussée d’hypertension, sans compter que
Dites-moi, railla le contrôleur à galons, puisque contrôleur il était, dites-moi, c’est vraiment dans un train que vous voulez monter ? A votre place, moi c’est plutôt vers un hôpital que je me
Autour d’eux, les six Sikhs se pliaient en deux, sciés de rire. Comme quoi on peut être Sikh et scié.
La vieille scruta l’uniforme galonné du même impitoyable regard qu’elle décochait au cafard osant profaner sa cuisine. Elle ouvrit la bouche, et on put croire que quelque chose de très vilain allait en sortir, quelque chose d’extrêmement insultant, d’effroyablement humiliant, de définitivement
Or, rien de tout cela. Sur un ton plus suave que le jus de la mangue, avec un sourire de dix-sept centimètres virgule trois, elle se mit à minauder, expliquant qu’elle et son mari se rendaient vers leur village natal afin d’examiner trois candidates au mariage pour leur cinquième fils. Monsieur le contrôleur et Messieurs les Sikhs pouvaient donc bien faire preuve de compréhension, face à la hâte et l’angoisse que deux vieux parents éprouvaient en une telle circonstance. 
On a tous des raisons d’être pressés, cracha l’aîné des Sikhs. Mais la queue c’est la queue, on la prend et on patiente.
Comme quoi il se trouve des Sikh stricts.
Et votre patelin poussiéreux, il s’appelle comment ? rigolait le contrôleur.
La vieille en prononça le nom, mais du bout des lèvres, comme si elle avouait une fuite urinaire.
QUOI ? bondit le contrôleur. Mais c’est MON village natal à moi aussi ! Et il n’est pas si grand que ça !
Et de s’enquérir du nom des candidates. Liste que la vieille lui récita de mémoire.
Par Ganesh, c’est pas possible ! C’est pas possible ! disait le contrôleur, qui avait ôté sa casquette à galons et se grattait violemment l’occiput, à croire qu’il y forait un trou pour faire entrer cette idée incroyable.
Qu’est-ce qui n’est pas possible ? dit le vieil aveugle, qui souffrait de surdité en plus d’entendre très peu et fort mal.
Le contrôleur passa de l’hindi au dialecte du village natal. C’est que je les connais toutes les trois, dit-il. En plus, je reviens de quinze jours de vacances là-bas.
Les Sikhs se turent, n’étant plus associés au dialogue. Ils tiraient une drôle de gueule, on avait là six Sikhs sinistres.
Et vous qui venez de voir ces filles de près, fit la vieille, vous en pensez quoi ? De quoi ont-elles l’air ?
Ces choses, lui répondit le contrôleur, ne peuvent pas se dire d’un homme à une femme, ce serait indécent, donc inconvenant. Mais je peux m’en ouvrir à votre mari, s’il le souhaite.
Et se penchant à l’oreille du vieux, il commença par écarter d’emblée deux des candidates. Elles ne se préoccupent pas assez de leur silhouette, dit-il, sont rondes comme des pommes de terre ou des fours à tandoori, vraiment rien d’excitant pour un homme jeune et robuste. Or nous savons vous et moi que, pour qu’un couple fonctionne dans un bonheur durable, il faut absolument que, lorsqu’il rentre du travail le soir, le mari trouve une épouse qui lui donne envie de, vous m’avez compris.
Je vous ai parfaitement compris, dit le vieux, bien qu’il n’eût connu aucun bonheur durable dans sa vie, et que depuis des siècles sa femme ne suscitait plus en lui la moindre envie de.
Ce sont des choses qu’un homme ne peut discuter avec une femme, surtout une épouse aussi distinguée que la vôtre, chuchota le contrôleur. Certes, certes, dit le vieux. Et la troisième, elle ressemble à quoi ?
Pour fournir ces détails, le contrôleur dessina d’abord de ses deux mains en coupe  des formes féminines plus qu’appétissantes. Puis, s’avisant sans doute que le vieux, en outre d’être aveugle, ne voyait rien du tout, il s’approcha encore plus de son oreille, contre laquelle il plaça sa main en cornet.
L’aïeul se tourna vers sa femme et annonça Voilà, c’est fait. Je sais qui sera ta future bru.
La vieille dévisageait son mari avec rancune, elle semblait lui reprocher ce triomphe. Je sens que tu me regardes sans bienveillance, ajouta le vieux. Je le sens avec mes antennes, inutile de nier. Tu as pris l’habitude de me traiter comme un fardeau, or si à l’instant je n’avais pas été là, tu aurais perdu bien du temps, à visiter les trois familles avec qui tu as pris des contacts. Sans compter l’argent fichu en l’air pour les cadeaux d’usage dans ce genre de visite. Là, plus besoin de chercher, nous avons le tuyau grâce à ce Monsieur, que je tiens à
Mais la vieille le tirait vers l’avant, car Monsieur le Contrôleur venait de murmurer qu’il allait leur trouver une place de choix, qu’ils devaient le suivre illico, qu’à des compatriotes du même village il ne pouvait refuser ça.
Et il leur fraya un chemin à travers les voyageurs envieux et furibards, englués dans un océan de bagages sous le soleil féroce. La locomotive piaffait déjà, hennissant de petits jets de vapeur, prête à mettre le cap sur - entre bien d’autres lieux – un village pas plus praliné de poussière que les autres, mais un village où une jeune fille, svelte et gracile telles les bayadères qu’on admire sur les bas-reliefs des temples, ignorait encore qu’on venait de lui trouver un mari.


Texte de Marie-Hélène 


Le train entra en gare et stoppa le long du quai comme une énorme baleine échouée. Le cri strident de ses freins vola dans l’air déjà saturé des annonces des hauts parleurs. Un jet de vapeur chaud comme un nuage d’été enseveli le conducteur dans un brouillard léger.
Le long de ses flancs, les voyageurs pressés se frayaient un passage au milieu des cagettes des maraîchers. Des légumes bigarrés luisaient sous le regard impitoyable du soleil.
Un homme, sobrement vêtu, s’approcha tranquillement d’une montagne de pommes de terre. Ses fils, debout à ses cotés, faisaient le guet. Le plus jeune serrait tendrement contre lui un chiot nouveau né. Une femme aux cheveux gris les suivaient sans se hâter. Poussant de petits cris aigus elle se frayait péniblement un passage au milieu de la marée humaine qui l’entourait. L’homme se retourna et patiemment attendit sa grand-mère. Les gémissements du chiot la guidaient vers les légumes tant convoités. Ils évoquaient des soupes fumantes et odorantes. Pressant le pas, elle contourna un dernier océan de bagages et plongea goulûment les mains dans ce verger inattendu. Un long sifflement plaintif lui fit suspendre son geste. Un policier se dressait à ses cotés, la fixant d’un œil  furibond. De mauvais gré, elle reposa son trésor et, emboîtant le pas à l’homme de loi, ils mirent le cap sur le bureau du chef de gare. Malgré son front baissé, la femme âgée remarqua les œillades effrontées que lançaient les jeunes filles au teint halé  à son petit fils. Alors, reprenant espoir, elle comprit qu'elles feraient d’excellentes candidates au mariage. «  Allons, tout va s ‘arranger » pensa-t-elle, ragaillardie. Elle raffermit son pas, releva le fièrement le menton alors que sur son passage les voyageurs la détaillaient et l’encourageaient doucement en souriant discrètement.




Texte de Francine

La vieille femme aux cheveux gris serrait contre son sein un petit chiot nouveau-né, qui poussait des gémissements en petits cris plaintifs. Elle scrutait au loin, de son regard impitoyable, la petite sirène aux cheveux d’argent. Telle une statue de sel, de son îlot malmené sur l’océan immense, elle détaillait de mauvais gré en bâtonnets réguliers les pommes de terre magiques au bout incandescent qui, selon la légende, devaient permettre à la grand-mère de mettre à l’épreuve les candidates au mariage de ses fils (lesquels de par les mers côtoyaient les énormes baleines). L’aîné s’apprêtait à mettre cap sur la baltique tandis que le second, suivant son train de sénateur, se contentait de se frayer un passage avec un sifflement plaintif au gré des vagues nonchalantes.
Il suffisait d’évoquer une future union pour que les rejetons prennent la mer, choisissant au mieux la solitude, loin, loin de tout engagement. Seule à leurs yeux la petite sirène pouvait les faire rêver, mais hélas le consentement maternel n’était pas pour aujourd’hui.
Trouveraient-ils un jour une gare accueillante hors de la mer houleuse comme l’océan de bagages où le bonheur leur ouvrirait les bras ?



Texte de Anne
La femme aux cheveux gris somnolait la tête appuyée contre le dur dossier de bois dans le brouhaha sourd de la salle d’attente. Des valises fatiguées, des sacs débordants, des couvertures  et des matelas roulés et ficelés jonchaient le sol dans un désordre hétéroclite qu’un vague préposé détaillait d’un regard impitoyable mais impuissant.
 Des petits cris aigus se firent soudain entendre et un petit garçon se fraya vivement un chemin dans le dédale des bagages pour rejoindre sa place auprès de sa mère. Avec précaution, il souleva le couvercle d’un panier d’osier et en tira deux petits chiots nouveaux-nés qu’il se mit à caresser tendrement tout en jetant un regard timide autour de lui. A son grand soulagement, quelques voyageurs lui adressèrent un regard las et amusé et le soi-disant préposé laissa même, de mauvais gré, échapper un demi-sourire.
L’attente se prolongeait pourtant, insupportable.
La grand-mère  laissa brusquement tomber sa tête vers l’avant mais la redressa aussitôt. Ses yeux scrutèrent un moment avec angoisse les visages tournés vers elle puis elle referma les yeux et se replongea en elle-même avec quelques gémissements presque inaudibles.
L’aiguille de la grande horloge sautait infiniment lentement d’une minute à l’autre  dans le silence qui avait fini par s’imposer.
Sur la joue desséchée de la vieille dame une larme roula au souvenir de ses fils aperçus hier bottés, casqués, armés… et de leur étreinte trop rude et trop courte.
Enfin, un sifflement plaintif se fit entendre annonçant l’arrivée d’un vieux train poussif. Les voyageurs résignés se  rechargèrent  alors  gravement  de toutes leurs affaires et  grimpèrent dans les wagons qui allaient les emmener dans une longue et triste fuite.



Texte de Dominique


De nos jours, les candidates au mariage sont beaucoup plus rares que dans ton jeune temps, Grand-mère ! De bon ou mauvais gré, il t’a fallu prendre époux, te frayer un passage dans une jungle inexorable, afin de ne pas te retrouver sur le «carreau» : conquérir un individu, un univers, mettre le cap sur une île capable de t’accueillir. Choisir ton homme non pas par amour romantique mais pour la sécurité qu’il serait en mesure de t’offrir. Et oui, tu l’as scruté, détaillé ton «prince charmant» avant d’y poser un drapeau conquérant ! Sauter dans le train de ta vie de femme t’a demandé beaucoup de force. Tu t’es battue avec énergie afin que ton futur ressemble un tant soit peu à tes rêves. Peu importait si ce futur se résumerait en fait à des corvées d’épluchage de pommes de terre, sous le regard impitoyable d’une belle-mère, vieille femme aux cheveux gris, que tu as réussi à dompter à force de cajoleries... Tu as stoppé ses sifflements plaintifs et ses gémissements : d’ennemie potentielle tu l’as transformée en alliée !
Mère quatre fois ! Tes fils et ton mari se sont mis sous tes ordres... Tel un capitaine, tu as mené d’une main de fer ta maisonnée. Le respect que tu inspires, tu t’es battue pour ! Où est passée la jeune-fille timide qui baissait les yeux et rougissait lorsqu’on lui adressait la parole ? Lorsque tu évoques ton passé, Grand-mère, un sourire se dessine sur ton visage : tu as gagné ta guerre et tu en es fière !

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